La CVMO ordonne qu’une audience se déroule par vidéoconférence malgré l’opposition des intimés à cet égard

Oct 6, 2020 9 MIN READ

En s’efforçant de faire avancer les choses face aux nombreux défis posés par la pandémie de COVID-19, la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (la « CVMO » ou, lorsqu’il est fait mention du tribunal, la « Commission ») a adopté une norme de pratique consistant à procéder par voie d’audience électronique (par vidéoconférence ou téléconférence). Dans la décision Re First Global Data Ltd, 2020 ONSEC 23 (en anglais seulement), publiée le 11 septembre 2020, la Commission a précisé qu’elle ne s’écarterait pas à la légère de cette norme de pratique.

Dans la décision First Global, la Commission a rejeté les requêtes des intimés pour que l’audience sur le fond de leur dossier – devant faire intervenir environ 25 témoins et s’étendre sur 40 jours d’audience – soit entendue en personne plutôt que par vidéoconférence. Dans sa décision, la Commission a souligné l’importance que les procédures se déroulent rapidement, même en cas de pandémie, et a précisé qu’un intimé cherchant à éviter de procéder par voie électronique sera tenu de prouver, sur la base d’éléments de preuve convaincante, la probabilité d’un « préjudice important ».

Cette décision est conforme à l’approche adoptée par d’autres instances, qui ont exprimé une nette préférence à l’égard du fait de continuer de statuer sur des affaires même si la pandémie a rendu les audiences en personne impossibles. Le fait que les arguments en faveur des audiences en personne sont rejetés, non seulement parce que les tribunaux tirent le meilleur parti d’une situation périlleuse, mais aussi parce que les tribunaux ne semblent généralement pas convaincus que les audiences en personne sont nécessairement préférables aux audiences électroniques, constitue un point commun à ces affaires. Cela soulève la question de savoir si les audiences électroniques revêtiront une importance croissante, même après que la pandémie sera derrière nous.

Contexte

Le personnel de la CVMO fait valoir que les intimés dans le dossier First Global (les « intimés ») ont, entre autres, escroqué des investisseurs, fait des déclarations interdites et déposé des états financiers trompeurs. Dans ce dossier, l’audience sur le fond devait avoir lieu le 5 octobre 2020 et se poursuivre jusqu’en janvier 2021, s’étendant sur environ 40 jours d’audience. Le 31 juillet 2020, le bureau du secrétaire de la CVMO a publié un avis (en anglais seulement) énonçant qu’en raison de la pandémie de COVID-19, la CVMO ne tiendrait pas d’audiences en personne jusqu’à nouvel ordre, mais que les parties dont les audiences sont prévues seraient contactées pour déterminer si leur audience pourrait se dérouler par vidéoconférence, téléconférence ou par écrit.

Les intimés n’étaient pas d’accord avec le personnel pour que l’audience sur le fond se déroule par vidéoconférence, estimant que l’audience devrait être retardée jusqu’à ce qu’elle puisse avoir lieu en personne. Compte tenu du désaccord des parties, la Commission les a invitées à présenter leurs observations sur la question de savoir si l’affaire devait se poursuivre par vidéoconférence.

La décision de la Commission

La Commission a fini par rejeter les arguments des intimés et a ordonné que l’audience se déroule par vidéoconférence.

La Commission a conclu qu’elle avait manifestement le pouvoir exprès en vertu de la Loi sur l’exercice des compétences légales de l’Ontario (la « LECL ») et les Règles de procédure et formules de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (les « Règles de la CVMO ») de tenir des audiences par vidéoconférence. En conséquence, la question centrale posée à la Commission était de savoir si les circonstances avaient déclenché l’application de l’exception aux auditions électroniques prévue au paragraphe 5.2 (2) de la LECL. Le paragraphe 5.2 (2) énonce qu’un tribunal « ne doit pas tenir d’audience électronique si une partie le convainc que la tenue d’une audience électronique au lieu d’une audience orale lui causera vraisemblablement un préjudice considérable ».

Au départ, la Commission a rejeté la proposition selon laquelle il ne serait pas préjudiciable de retarder l’audience sur le fond jusqu’à ce qu’elle puisse se dérouler en personne. La Commission a jugé que le fait de retarder l’audience sur le fond contreviendrait à son mandat aux termes des Règles de la CVMO de mener les procédures de manière rapide et rentable et souligné les risques et les coûts liés aux souvenirs des témoins s’estompant au fil du temps. De plus, la Commission a noté que l’on ne savait pas combien de temps il faudrait avant qu’une audience puisse être tenue en personne.

La Commission a ensuite fait écho aux récentes déclarations des tribunaux de l’Ontario concernant l’importance pour les organismes judiciaires de tirer parti de la technologie en réponse aux défis soulevés par la pandémie. Elle a expressément adopté la déclaration de la Cour divisionnaire dans la décision Association of Professional Engineers v Rew (en anglais seulement) selon laquelle [traduction] « [l]e tribunal est confronté à un défi sans précédent de préserver les institutions essentielles au maintien de la primauté du droit face à la crise de la COVID-19, et le recours aux audiences électroniques est un aspect essentiel de la réponse de la Cour ». La Commission a également « constaté sur le plan administratif » le fait qu’elle avait déjà mené des auditions par vidéoconférence avec un succès relatif au cours des mois précédents. 

Ayant conclu qu’il est important de tirer parti de la technologie pour faire en sorte que les questions ayant trait à l’application des lois continuent à progresser rapidement pendant la pandémie, la Commission a rejeté chacune des questions particulières soulevées par les intimés à l’égard de la procédure électronique :

  • Gravité : La Commission a exprimé son désaccord sur le fait que seule une audience en personne ferait l’affaire, même si des allégations graves étaient en cause.
  • Complexité : La Commission ne s’est pas laissée convaincre que l’audience ne pouvait pas être menée par voie électronique, bien qu’elle doive durer des mois et faire intervenir de nombreux témoins. 
  • Crédibilité : La Commission a rejeté catégoriquement l’argument selon lequel la procédure électronique entraverait la capacité de la Commission à évaluer la crédibilité des témoins, en citant le récent rejet par la Cour supérieure de justice de l’argument selon lequel l’audition des témoignages par vidéoconférence pourrait affecter la capacité d’un tribunal à tirer des conclusions à l’égard de la crédibilité dans les décisions Chandra v CBC et Davies v The Corporation of the Municipality of Clarington (en anglais seulement).
  • Efficacité : La Commission n’était pas convaincue que la procédure électronique serait trop inefficace, lente ou coûteuse pour être appropriée dans les circonstances.
  • Cohérence : Les intimés ont fait valoir que la cohérence favorisait une audience en personne. Ils ont soutenu que peu de tribunaux canadiens menaient des procès par vidéoconférence, que d’autres commissions des valeurs mobilières canadiennes reprenaient certaines audiences en personne et que, dans le passé, la Commission avait toujours tenu des audiences sur le fond en personne. Les intimés n’ont pas convaincu la Commission.
  • Intimés non représentés par avocats : Bien que l’un des intimés se soit représenté lui-même, il n’a pas fait valoir qu’il ne pouvait pas participer à une vidéoconférence. La Commission a conclu que les autres intimés représentés ayant soulevé cet argument avaient fait des [traduction] « affirmations non étayées et sans doute humiliantes » selon lesquelles on ne peut présumer que les plaideurs qui se représentent eux-mêmes ont les compétences techniques ou le matériel nécessaires pour participer à une vidéoconférence.
  • Services de traduction : Enfin, la Commission a rejeté l’argument selon lequel le besoin potentiel d’un interprète rendait une vidéoconférence inappropriée.

Répercussions

Comme le rejet complet des arguments des intimés dans la décision First Global le démontre, la Commission a l’intention de continuer à faire avancer les procédures d’application de la loi même si la pandémie de COVID-19 l’a obligée à s’écarter des audiences en personne. En l’absence de preuve convaincante de la probabilité d’un préjudice important, les personnes interrogées, y compris celles qui sont confrontées à des allégations graves donnant lieu à des questions complexes, devront s’adapter à des formats d’audience alternatifs. Étant donné l’incertitude quant au moment où la CVMO pourrait rétablir les audiences en personne, les parties qui doivent se présenter devant la Commission dans les mois à venir doivent s’attendre à être entendues par vidéoconférence ou téléconférence et être prêtes à présenter leurs causes de cette manière.   

Les organismes d’arbitrage du monde entier continuent à faire face à des questions d’économie judiciaire et d’équité procédurale dans le contexte d’une pandémie mondiale. La décision de la Commission dans le dossier First Global n’est qu’une des nombreuses décisions récentes, tant au Canada qu’à l’étranger, signalant que le déroulement des procès par des moyens technologiques est la « nouvelle norme ». En outre, étant donné que les tribunaux ont été assez catégoriques sur le fait que justice peut être rendue, et est perçue comme telle, dans le cadre d’une audience électronique, les audiences électroniques devraient continuer à avoir une importance croissante même après la fin de la pandémie.

Nous continuons à suivre les développements concernant les effets de la pandémie de COVID-19 sur la défense des droits et le règlement des différends. Pour plus de renseignements sur ces questions et la clarification des conséquences commerciales et juridiques de la pandémie, veuillez consulter notre page de ressources ici.