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L’annulation d’un verdict au sujet d’un brevet de médicament d’une valeur de 200 millions de dollars est dure à avaler pour les collaborateurs dans le secteur de la technologie

Auteur(s) : Nathaniel Lipkus, Vincent M. de Grandpré

11 juillet 2016

La valeur d’une jeune entreprise est souvent fondée sur sa propriété intellectuelle et la commercialisation de nouvelles technologies, souvent en concertation avec des participants établis du marché. Cependant, les accords de collaboration visant la technologie cruciale sont jonchés de risques, comme l’a démontré de manière saisissante une récente affaire américaine dans le domaine des brevets. Dans l’arrêt Gilead Sciences Inc. v. Merck & Co. (13-cv-04057, N.D. Cal.), un jury a ordonné à la société pharmaceutique Gilead de verser à sa rivale Merck des dommages-intérêts de 200 millions de dollars pour contravention des brevets de Merck visant le sofosbuvir, l’ingrédient actif du produit Sovaldi de Gilead. Sovaldi est un médicament permettant de guérir l’hépatite C, générant des ventes de plus de 10 milliards de dollars par année.

Toutefois, le 6 juin 2016, un juge d’une cour de district des États-Unis a infirmé la décision au sujet des dommages-intérêts en soutenant que les brevets de Merck étaient inapplicables parce qu’elle n’avait pas agi de façon équitable. L’histoire qui se cache derrière l’annulation de cette décision constitue pour les entreprises qui ont conclu des ententes de collaboration une leçon au sujet des pièges auxquels elles s’exposent lorsqu’elles partagent de la technologie confidentielle et des mesures qu’elles peuvent prendre pour gérer ces risques.

La collaboration portant sur la technologie entre Merck et Pharmasset

Pharmasset et Merck avaient conclu une entente de confidentialité afin d’explorer les occasions relatives à l’hépatite C. Pharmasset avait accepté de partager de l’information au sujet de ses principaux agents thérapeutiques, mais pas au sujet de la structure chimique des composés, et Merck avait convenu de se servir de cette information uniquement pour l’évaluation d’une collaboration éventuelle.

Finalement, Merck a demandé à Pharmasset de lui divulguer son composé principal dans le but de faire des essais plus poussés et de mieux cadrer la relation entre les sociétés. Pour calmer les inquiétudes de Pharmasset au sujet de la confidentialité, Merck a offert de « cloisonner » un chimiste qui recevrait l’information sur la structure du composé, empêchant ainsi que cette information soit communiquée à l’équipe interne de Merck travaillant sur l’hépatite C. Pharmasset a accepté l’approche du cloisonnement de l’information.

Au fil de l’évolution de la collaboration avec Pharmasset, un agent de brevet de Merck qui participait à une poursuite portant sur les demandes de brevet de Merck relatif à l’hépatite C a réussi à s’immiscer dans les conversations avec Pharmasset. Plus particulièrement, l’agent de brevet a participé à un appel avec Pharmasset au cours duquel il a affirmé être un employé cloisonné (alors que c’était faux), ce qui lui a permis de connaître le composé principal de Pharmasset.

La conduite de Merck qui a mené à la déclaration de mauvaise conduite

Même si Merck ne connaissait pas le composé de Pharmasset, elle avait présenté des demandes de brevet si larges qu’elles couvraient la structure du composé. Après l’appel à Pharmasset, l’agent de brevet a reformulé les demandes de brevet existantes de Merck pour qu’elles soient axées sur le composé de Pharmasset.

Par la suite, après la délivrance des brevets de Merck, Gilead a acquis Pharmasset et a commencé à vendre Sovaldi, ce qui a mené à la poursuite de Merck pour contravention de brevet. Dans sa défense, Gilead alléguait que Merck s’était appropriée de façon illégale du sofosbuvir de Pharmasset.

La cour de district a soutenu que Merck avait agi de manière inéquitable et avait contrevenu à son entente avec Pharmasset. Ni Merck ni l’agent de brevet n’avait informé Pharmasset que l’agent de brevet n’était pas cloisonné et qu’il s’occupait des demandes de brevet de Merck dans le même domaine. En fait, la cour de district a conclu que l’agent de brevet avait menti alors qu’il était sous serment et avait violé le cloisonnement de l’information et que Merck avait agi en toute connaissance de cause en présentant erronément l’agent de brevet comme un employé cloisonné.

Leçons à tirer

Les sociétés du secteur de la technologie de petite et moyenne taille considèrent souvent la collaboration avec de grandes entités établies comme étant une étape importante qui mènera probablement à une hausse de l’intérêt des investisseurs envers leur entreprise. Cependant, les entités établies ont souvent plus d’expérience dans la gestion de la propriété intellectuelle et elles peuvent être mieux placées pour soutirer une technologie précieuse d’une jeune entreprise. La collaboration entre Pharmasset-Merck illustre de façon dramatique ce qui se passe dans une collaboration portant sur la technologie, mais elle devrait aussi encourager les collaborateurs à conclure des arrangements robustes régissant la divulgation et l’utilisation de la nouvelle technologie qui leur est précieuse. 

On peut tirer au moins trois leçons importantes de l’affaire Gilead Sciences v. Merck :

  1. Il faut se munir de contrats clairs : L’arrêt Gilead Sciences v. Merck démontre le risque résiduel qu’une personne mal intentionnée s’approprie une technologie précieuse. Pourtant, les contrats robustes conclus par Pharmasset et Merck ont permis à Gilead de convaincre le tribunal que l’agent de brevet de Merck avait contrevenu à l’entente des parties et avait abusé de sa confiance. La collaboration entre Pharmasset et Merck comprenait les mesures de protection suivantes :

    a) Entente de confidentialité : Les parties ont signé une entente de confidentialité et l’ont revue au fil du temps pour tenir compte de l’évolution de la situation.

    b) Portée claire du projet : Les parties ont conclu une entente de transfert important dont la portée était étroite afin de faire l’essai d’un certain nombre de composés précis (y compris le composé principal de Pharmasset), comprenant des restrictions empêchant Merck de découvrir leur structure chimique.

    c) Bonne compréhension de l’information sensible sur le plan commercial : Les parties ont démontré qu’elles comprenaient que la structure chimique de l’autre partie était confidentielle et une cloison a été mise en place pour que le personnel qui pourrait constituer un risque de divulgation de l’information sur le composé n’y ait pas accès.

  2. Il ne faut pas abaisser sa garde : Il suffit d’une petite erreur pour qu’il y ait un risque d’utilisation non autorisée de l’information confidentielle. Il est évident que Pharmasset prenait toujours des mesures pour rappeler ses obligations à Merck, notamment par la confirmation préalable du fait que tous les destinataires de l’information confidentielle devaient être visés par le cloisonnement de l’information. Toutefois (en rétrospective), Pharmasset aurait pu conserver une liste des membres du personnel de Merck visés par le cloisonnement et remis en question la nécessité et les raisons pour lesquelles un agent de brevet demandait des renseignements sur la structure du composé.

  3. Il faut porter une attention particulière dans le secteur concurrentiel de la technologie : Lorsque des portefeuilles de technologie se chevauchent, il est essentiel de bien comprendre la position de « départ » de chaque partie afin d’éviter toute mauvaise conduite potentielle avant que des conflits au sujet de la propriété intellectuelle ou de la propriété se pointent à l’horizon.

Les jeunes sociétés du secteur de la technologie pourraient être choquées par les moyens utilisés par Merck pour s’approprier la technologie de Pharmasset. Malheureusement, elles ne devraient pas l’être. Les entrepreneurs doivent demeurer à l’affût des risques potentiels de la collaboration en matière de technologie dans des marchés complexes et concurrentiels.

Si vous avez des questions au sujet de l’arrêt Gilead Sciences v. Merck ou souhaitez discuter de votre prochaine collaboration technologique, communiquez avec Nathaniel Lipkus (416 862-6787, nlipkus@osler.com) ou Vincent de Grandpré (416 862-6570, vdegrandpre@osler.com).