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Pas de traitement spécial : Action collective en valeurs mobilières suspendue par le tribunal chargé de la LACC

Auteur(s) : Sandra Abitan, Ad. E. , Julien Morissette, Jessica Harding, Ilia Kravtsov, Sophie Courville

Le 16 novembre 2022

En vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies[1] (LACC), les tribunaux canadiens ont un vaste pouvoir discrétionnaire leur permettant d’ordonner, de prolonger ou de lever des sursis de procédures. Dans une décision récente[2], la Cour supérieure du Québec a prolongé une suspension existante malgré une tentative des demandeurs dans une action collective en valeurs mobilières de limiter sa portée.

Contexte

Xebec Adsorption Inc. (Xebec) est un fournisseur mondial de solutions de gaz durables utilisées dans des applications du domaine de l’industrie, de l’énergie et de la mobilité. En mars 2021, une demande d’autorisation d’exercer une action collective en valeurs mobilières a été déposée au Québec contre Xebec, des preneurs fermes et cinq des administrateurs de Xebec, au nom de toutes les personnes et entités qui ont souscrit ou autrement acquis des titres de Xebec au cours d’une certaine période (l’action collective).[3] Une procédure visant l’homologation d’une action collective fondée sur les mêmes allégations a également été déposée en Ontario, mais n’a pas été signifiée aux défendeurs.

Le 29 septembre 2022, Xebec et certaines de ses filiales (les débiteurs) ont obtenu la protection de la LACC, et Restructuration Deloitte inc. a été nommée contrôleur. L’ordonnance initiale émise par la Cour contenait une suspension des procédures, en vertu de laquelle aucune procédure ne pouvait être entamée ou poursuivie contre les débiteurs et leurs administrateurs et dirigeants (le sursis).

Le 20 octobre 2022, les débiteurs ont demandé et obtenu le prononcé d’une ordonnance initiale modifiée et reformulée (l’OIMR), comprenant une prolongation du sursis jusqu’au 28 novembre 2022. Les demandeurs dans l’action collective se sont opposés à la prolongation et ont demandé une ordonnance excluant l’action collective de la portée de la suspension dans le but de procéder à l’audience sur l’autorisation de l’action collective, alors prévue pour le 6 décembre 2022.

Critères applicables

La LACC ne prévoit aucun critère qui guiderait la Cour dans sa décision de limiter la portée ou de lever un sursis des procédures.[4] De façon générale, la Cour doit considérer s’il existe de bonnes raisons de lever un sursis à la lumière des objectifs de la LACC.[5] Pour ce faire, la Cour doit évaluer le préjudice relatif causé aux parties, la balance des inconvénients et, le cas échéant, les chances de succès de l’action suspendue.[6] La jurisprudence a également identifié un certain nombre de situations dans lesquelles les tribunaux peuvent être justifiés de lever les ordonnances de sursis.[7]

Décision

Le juge Christian Immer a estimé qu’il n’y avait aucun avantage à permettre à l’action collective de progresser à ce stade.

Les demandeurs ont fait valoir qu’il était nécessaire pour eux de tenter d’obtenir le statut de représentants afin de faire valoir les intérêts du groupe proposé, ce qui ne pourrait être réalisé que si la suspension était partiellement levée pour permettre la tenue de l’audience sur l’autorisation de l’action collective. En particulier, les demandeurs ont fait valoir que cela leur permettrait de faire des représentations concernant l’équité d’un éventuel plan de transaction ou d’arrangement en relation avec les réclamations relatives à des capitaux propres[8] que les membres du groupe pourraient potentiellement faire valoir.

Pour le juge Immer, les motifs avancés par les demandeurs ne permettaient pas de lever le sursis ou d’en restreindre la portée, et ne démontraient pas que les demandeurs subiraient un préjudice important s’ils n’étaient pas autorisés à poursuivre le litige, étant donné que, au moment de l’audience, il était hautement spéculatif, voire improbable, qu’une transaction ou un arrangement génère des fonds suffisants pour satisfaire l’ensemble des créanciers garantis et des créanciers chirographaires. Il était donc également improbable que les réclamations relatives à des capitaux propres soient payées, car elles sont de rang inférieur aux créances.[9] Par conséquent, les demandeurs ne seraient pas en mesure de faire des représentations sur l’équité d’un éventuel plan de transaction ou d’arrangement, même s’ils avaient passé l’étape de l’autorisation de l’action collective. La Cour a également noté qu’en vertu du paragraphe 6(1) de la LACC, sauf ordonnance contraire du tribunal, les personnes ayant des réclamations relatives à des capitaux propres ne peuvent pas voter sur un plan de transaction ou d’arrangement.

Les demandeurs ont également fait valoir que Xebec ne subirait aucun préjudice si le sursis était partiellement levé, car l’audience d’autorisation ne devait durer qu’une journée et ne nécessitait aucune preuve. En désaccord, la Cour a souligné que, même si l’audience d’autorisation se déroulait au vu du dossier (sans témoignage), les hauts dirigeants seraient tenus d’aider l’avocat de la défense dans le cadre des procédures. De plus, la Cour a noté que l’audience sur l’autorisation risquait de donner lieu à des procédures connexes.

Dans son raisonnement, le juge Immer s’est appuyé sur les motifs du juge Stephen Hamilton dans l’affaire Wabush, qui a établi qu’un sursis ne devrait être levé que lorsque cela serait compatible avec les objectifs du sursis, prenant en considération l’impact des procédures sur le processus de la LACC en général.[10] En fin de compte, le juge Immer a conclu qu’à la date de l’audience, les efforts de Xebec seraient mieux servis en se concentrant sur le processus de restructuration que sur le litige relatif à l’action collective. Cette conclusion cadrait également avec les objectifs de la LACC. Il n’y avait aucun avantage à permettre la tenue de l’audience sur l’autorisation de l’action collective. La Cour a accordé la prolongation du sursis ainsi que l’OIMR et a rejeté l’objection des demandeurs.

Ce qu’il faut retenir

Les actions collectives ne diffèrent pas des autres types de litiges lorsqu’il s’agit de limiter la portée ou de lever la suspension des procédures en vertu de la LACC. Les tribunaux examineront généralement s’il existe de bonnes raisons de le faire à la lumière des objectifs de la LACC. La décision dépendra en grande partie des faits d’espèce, y compris toute incidence pratique du litige sur le processus de restructuration en cours.

Osler a représenté les débiteurs dans cette affaire.

 

[1] RSC 1985, c C-36.

[2] Arrangement relatif à Xebec Adsorption Inc., 2022 QCCS 3888.

[3] Voir Davarinia c. Xebec Adsorption Inc., 2022 QCCS 1785.

[4] Lloyd W. Houlden, Geoffrey B. Morawetz et Dr Janis P. Sarra, Bankruptcy and Insolvency Law of Canada, 4e éd. (Toronto : Carswell, 2009) (feuillets mobiles), par. 22.30.

[5] Wabush Iron Co. Ltd. (Arrangement relatif à), 2016 QCCS 6061, par. 30 [affaire Wabush]; Canwest Global Communications Corp. (Re), 2009 CanLII 70508 (ON SC), par. 32 [affaire Canwest].

[6] Sino-Forest Corporation (Re), 2012 ONSC 4377, par. 16; Timminco Limited (Re), 2012 ONSC 2515, par. 17; affaire Canwest, supra, note 5, par. 32.

[7] Il existe neuf situations dans lesquelles les tribunaux peuvent être amenés à lever les ordonnances de suspension. Voir affaire Wabush, supra, note 5, par. 30; affaire Canwest, supra, note 5, par. 33.

[8] En vertu du paragraphe 2(1) de la LACC, une réclamation relative à des capitaux propres s’entend d’une « réclamation portant sur un intérêt relatif à des capitaux propres et visant notamment : a) un dividende ou un paiement similaire; b) un remboursement de capital; c) tout droit de rachat d’actions au gré de l’actionnaire ou de remboursement anticipé d’actions au gré de l’émetteur; d) des pertes pécuniaires associées à la propriété, à l’achat ou à la vente d’un intérêt relatif à des capitaux propres ou à l’annulation de cet achat ou de cette vente; e) une contribution ou une indemnité relative à toute réclamation visée à l’un des alinéas a) à d). »

[9] En vertu du paragraphe 6(8) de la LACC, qui prévoit que « [l]e tribunal ne peut homologuer la transaction ou l’arrangement qui prévoit le paiement d’une réclamation relative à des capitaux propres que si, selon les termes de celle-ci, le paiement intégral de toutes les autres réclamations sera effectué avant le paiement de la réclamation relative à des capitaux propres ».

[10] Affaire Wabush, supra, note 5, par. 28, 35.