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Principales leçons à tirer de la décision BCE

22 décembre 2008

Le 19 décembre 2008, la Cour suprême du Canada (la « CSC ») a communiqué les motifs tant attendus de sa décision dans l’affaire BCE Inc. c. Détenteurs de débentures de 1976. La CSC a réaffirmé la décision qu’elle avait rendue dans l’affaire Magasins à rayons Peoples inc. (Syndic de) c. Wise, selon laquelle les administrateurs ont une obligation fiduciaire envers la société et non envers un groupe de parties intéressées; elle rejetait ainsi l’obligation prévue dans l’affaire Revlon, qui consistait à maximiser la valeur pour les actionnaires dans le cadre d’opérations de changement de contrôle.

Bien que la CSC ait indiqué que les administrateurs « puissent », sans y être tenus, prendre en considération, outre l’environnement, les intérêts d’un éventail de parties intéressées, dont des actionnaires, des employés, des fournisseurs, des créanciers, des consommateurs et des gouvernements, la décision obligera dans les faits les administrateurs à évaluer tout un éventail d’intérêts dans leur appréciation commerciale puisque la CSC :

  • a qualifié l’obligation fiduciaire des administrateurs de « concept large et contextuel »;
  • a clairement indiqué que la demande de redressement pour abus, axée sur le traitement équitable, revêtait une grande importance pour comprendre la nature de l’obligation fiduciaire;
  • a affirmé que, « [c]ertes, la société et les actionnaires ont le droit de maximiser les bénéfices et la valeur des actions, mais ils ne peuvent le faire en traitant des parties intéressées inéquitablement »;
  • a indiqué que « l’obligation des administrateurs d’agir au mieux des intérêts de la société inclut le devoir de traiter de façon juste et équitable chaque partie intéressée touchée par les actes de la société ». Néanmoins, il importe de souligner que la CSC a reconnu implicitement l’importance des intérêts des actionnaires dans le processus de prise de décision des administrateurs. Dans le contexte d’un changement de contrôle, les pressions du marché et la réalité voulant que l’acceptation par les actionnaires soit essentielle à la mise en œuvre de l’opération signifient que, en pratique, les administrateurs continueront de mettre au cœur de leur analyse la question de savoir si une opération offre la valeur la plus raisonnablement élevée possible pour les actionnaires, et ce, tout en évaluant les intérêts de la société et les incidences de l’opération sur les autres parties intéressées.


Dans sa décision, la CSC a de plus appuyé sans équivoque la règle de l’appréciation commerciale lorsqu’elle affirme que « [d]ans la mesure où il conclut que la décision des administrateurs se situe dans l’éventail des solutions raisonnables qu’ils auraient pu choisir en soupesant des intérêts opposés, le tribunal ne poursuivra pas son examen pour déterminer si cette décision est la solution parfaite ». Le résultat est favorable aux conseils d’administration puisqu’il assure aux administrateurs une certaine protection, dans la mesure où ils suivent un processus adéquat qui tient compte des intérêts des parties intéressées touchées par les actes de la société.

La décision sert également de guide quant aux conditions de recevabilité d’une demande de redressement pour abus. En effet, la CSC a jugé que, dans l’analyse d’une demande de redressement pour abus, le tribunal doit surtout examiner si la preuve appuie l’allégation voulant qu’une partie intéressée autorisée à intenter une poursuite pour abus ait une attente raisonnable et si cette attente raisonnable a été frustrée par un comportement pouvant être qualifié d’« abus », de « préjudice injuste » ou d’« omission injuste de tenir compte » d’un intérêt pertinent. La CSC a déclaré que lorsqu’ils examinent de telles demandes, les tribunaux devraient tenir compte de « la réalité commerciale, et pas seulement de considérations strictement juridiques ». La CSC a ensuite indiqué que les attentes raisonnables des parties intéressées, qui constituent la « pierre angulaire de la demande de redressement pour abus », sont « objectives et contextuelles » et doivent être évaluées notamment en fonction des pratiques commerciales générales, de la nature de la société, de la relation entre les parties, des pratiques antérieures, des mesures que le demandeur aurait pu prendre pour se protéger, des déclarations et des ententes et de la conciliation équitable des intérêts opposés de parties intéressées.

En appliquant ces principes à l’affaire, la CSC a conclu que les détenteurs de débentures étaient en droit d’avoir l’attente raisonnable que les administrateurs, au moment de prendre leur décision, tiennent compte de leurs intérêts et a également conclu que les administrateurs ont réellement tenu compte de leurs intérêts. Toutefois, en l’espèce, cette attente raisonnable ne signifiait pas que les administrateurs devaient établir comme condition de l’opération que la valeur marchande des débentures devait être préservée. Sans égard à la vaste analyse contextuelle de l’obligation fiduciaire du conseil d’administration et à la demande de redressement pour abus, la CSC n’a trouvé aucun motif pour infirmer l’approbation, par le juge de première instance, de l’appréciation commerciale des administrateurs que l’opération servait les intérêts de la société et ne violait pas les attentes raisonnables des détenteurs de débentures dans toute circonstance.

La décision de la CSC sera utile aux administrateurs dans l’analyse des situations de changement de contrôle et, dans un contexte plus vaste, des actes de la société en général. La décision rappelle aux administrateurs et à leurs conseillers l’importance de disposer d’un processus méthodique et efficace et de tenir des dossiers complets et exacts. Les sociétés devraient également être conscientes de leurs déclarations et de leurs actes puisque ceux-ci pourraient susciter des attentes raisonnables chez certaines parties intéressées (concept que la CSC définit de façon plutôt large) et que les parties mécontentes pourraient chercher à intenter ultérieurement une poursuite en alléguant qu’elles sont des parties intéressées autorisées à le faire et que certaines décisions de l’entreprise n’ont pas tenu compte de leurs attentes raisonnables.

La décision traite également de plusieurs questions techniques portant sur les plans d’arrangement visés par la Loi canadienne sur les sociétés par actions (la « LCSA »). La CSC a clarifié le critère servant à établir si un arrangement est équitable et raisonnable. L’appréciation du caractère équitable et raisonnable suppose deux examens. Le premier consiste à déterminer si l’arrangement poursuit un objectif commercial légitime, et le second, s’il répond d’une façon juste et équilibrée aux objections de ceux dont les droits sont visés. Fait à noter, la CSC a insisté sur le fait que l’appréciation du caractère substantiellement et objectivement équitable et raisonnable d’un plan d’arrangement doit être fondée sur les droits visés et, en l’absence de « circonstances particulières », les administrateurs n’ont pas à structurer une opération en vue d’accommoder ceux dont « les droits demeurent intacts, mais dont les intérêts financiers risquent de subir un préjudice ». La CSC a conclu que la diminution de la valeur marchande des titres des détenteurs de débentures ne constituait pas, à elle seule, une circonstance particulière.

Une analyse plus détaillée figure ci-après.