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La responsabilité des particuliers qui auraient commis des actes répréhensibles dans leur entreprise : un résumé de ce qui se fait aux États-Unis selon le rapport Yates

Auteur(s) : Saara Punjani, Gerard Kennedy

24 septembre 2015

Le 9 septembre 2015, Sally Yates, sous-procureure générale du ministère de la Justice des États‑Unis (le « Ministère »), a publié un rapport intitulé Individual Accountability for Corporate Wrongdoing (la responsabilité des particuliers qui auraient commis des actes répréhensibles dans leur entreprise ou le « rapport Yates ») dans le but de donner des lignes directrices claires aux procureurs fédéraux sur les mesures à prendre face aux particuliers dans les enquêtes sur les cas d’inconduite criminelle et civile en entreprise, particulièrement à la suite de la crise financière de 2008, ainsi que pour déterminer la culpabilité de ceux-ci.

Selon le rapport Yates, bien que certaines des mesures décrites soient nouvelles, bon nombre découlent des meilleures pratiques que les procureurs fédéraux emploient déjà. Toutefois, toujours selon le rapport, il serait crucial d’amorcer une enquête le plus rapidement possible sur les actes répréhensibles commis par des particuliers dans le cadre d’une enquête menée à l’échelle de l’entreprise, et le traitement de clémence (cooperation credit) dont pourraient bénéficier les entreprises serait conditionnel aux gestes qu’elles auraient posés pour mettre au jour les actes répréhensibles commis par leurs membres de la direction ou leurs autres employés.

Compte tenu de ces aspects du rapport Yates et, en particulier, de la fermeté de ses propos, ainsi que de l’ajout des différentes exigences concernant les enquêtes internes et le traitement de clémence des entreprises, bon nombre d’avocats américains de renom qui se spécialisent dans la défense de criminels en col blanc se demandent s’ils devraient revoir la façon dont ils conseilleront, à l’avenir, les entreprises et les particuliers visés par une enquête du Ministère en raison d’actes répréhensibles, que ce soit au civil ou au criminel.

Concernant les entreprises canadiennes qui exercent des activités aux États-Unis, ainsi que leurs dirigeants canadiens (qu’ils soient des ressortissants des États-Unis ou d’un autre pays), le rapport Yates ne fait que rappeler les grandes difficultés à trouver le juste milieu entre les conséquences pouvant découler des mesures prises suivant le système canadien ou suivant le système américain, difficultés qui, dorénavant, n’iront qu’en s’accroissant.

Les exigences

Le rapport Yates fait état des six principes suivants, dont certains reflètent des changements de politique, visant à renforcer les poursuites intentées en conséquence d’actes répréhensibles commis en entreprise :

  1. Pour être admissible à bénéficier de tout traitement de clémence dans des enquêtes au criminel ou au civil, les entreprises doivent [TRADUCTION] « identifier toutes les personnes associées à l’inconduite ou qui en sont responsables, peu importe leur poste, leur statut ou leur ancienneté, et fournir au Ministère tous les faits qui ont trait à cette inconduite ». Les procureurs doivent respecter ce critère avant de pouvoir décider dans quelle mesure le traitement de clémence sera accordé, le cas échéant.
  2. Les procureurs devront se concentrer sur les actes répréhensibles commis par des particuliers dès le début de toute enquête menée sur les actes répréhensibles commis dans une entreprise.
  3. Les procureurs au civil ou au criminel intentant des poursuites en conséquence d’actes répréhensibles commis en entreprise devront échanger des renseignements régulièrement et envisager la possibilité d’élaborer et de coordonner des procédures civiles et criminelles.
  4. En l’absence de circonstances exceptionnelles ou d’une politique approuvée par le ministère, les procureurs ne tenteront pas d’exonérer de leur responsabilité des particuliers reconnus coupables au civil ou au criminel pour conclure un règlement avec une entreprise.
  5. Avant de régler toute cause en matière de responsabilité civile ou criminelle visant une entreprise, les procureurs devront avoir élaboré une stratégie d’enquête claire pour résoudre les cas mettant en cause des particuliers. De plus, toute décision de ne pas poursuivre un particulier qui serait mêlé à un cas d’inconduite allégué doit être consignée dans un rapport et être autorisée.
  6. Pour décider si un particulier sera poursuivi au civil ou non, les procureurs ne devront pas se concentrer sur la capacité du particulier à s’acquitter éventuellement de sa peine, mais devront plutôt se demander si l’inconduite était grave et/ou pouvait faire l’objet d’une poursuite, si la preuve sera suffisante pour obtenir et confirmer un jugement et si cette poursuite est dans l’intérêt du gouvernement fédéral.

Conséquences

Bien qu’elles ne soient pas entièrement nouvelles, les lignes directrices formulées dans le rapport Yates concernent les sociétés canadiennes qui exercent des activités aux États-Unis puisque le Ministère peut décider que les sociétés présentes aux États-Unis ou dans des territoires qui ont des liens avec les États-Unis relèvent de sa compétence. Par conséquent, les sociétés qui pourraient être ainsi visées par le Ministère devraient être au courant d’au moins cinq des incidences potentielles du rapport Yates.

Premièrement, le rapport Yates renforce l’existence du conflit d’intérêts entre la société et ses employés qui pourraient dorénavant se faire poser davantage de questions dans le cadre d’une enquête du Ministère portant sur des actes répréhensibles, que ce soit au civil ou au criminel. Par le passé, bon nombre d’employés étaient prêts (tout en étant au courant de l’existence d’un conflit d’intérêts) à consulter le même conseiller juridique que celui qui représentait l’entreprise ou acceptaient en bloc d’être représentés par un conseiller juridique différent de celui de la société mais, à l’heure actuelle, la possibilité d’un conflit d’intérêts dès le début d’une enquête interne est de plus en plus grande. En effet, à partir de maintenant, les entreprises seront davantage poussées à fournir des renseignements précis sur des particuliers en échange d’une certaine clémence au moment des pourparlers menant à la réduction de la peine et à un règlement et bénéficieront de mesures incitatives à cet égard. Par conséquent, il serait non seulement prudent mais nécessaire qu’elles informent leurs employés potentiellement impliqués dans une affaire de retenir les services d’un conseiller juridique indépendant dès le début de tout processus d’enquête.

Deuxièmement, étant donné que les faits et gestes des hauts dirigeants et des autres employés de la société seront examinés à la loupe dès le début d’une enquête interne, il sera impératif pour le conseil d’administration et le comité d’audit de la société de retenir les services d’un conseiller juridique externe indépendant à un stade relativement précoce de l’enquête. Ainsi, quand le contentieux passera au peigne fin les activités des dirigeants ou employés de l’entreprise, l’on ne considérera pas qu’il est en conflit d’intérêts ou que son indépendance est douteuse.

Troisièmement, pour fournir « tous les faits pertinents » en échange d’un traitement de clémence, les sociétés devront mener une enquête interne en temps voulu, indépendante, minutieuse et bien documentée (ces critères étant plus rigoureux qu’auparavant) puisque le refus de constater des faits ne justifie pas la présentation d’un dossier d’information inadéquat.

Quatrièmement, il sera de plus en plus difficile d’obtenir la collaboration de hauts dirigeants et d’autres employés de la société, et les talents et le jugement des conseillers juridiques externes de la société et des employés seront grandement mis à l’épreuve dans le cadre des négociations portant sur les frais pour les services juridiques et la collaboration de chacun.

Cinquièmement, pour les sociétés canadiennes, puisque les hauts dirigeants et la société peuvent être reconnus coupables au criminel au Canada, s’ils offrent leur aide aux procureurs américains afin d’obtenir un traitement de clémence, il faudra faire appel à des équipes expérimentées d’avocats américains et canadiens pour représenter les sociétés et les particuliers.

Conclusion

Les avocats expérimentés chargés de la défense de criminels en col blanc tant au Canada qu’aux États-Unis ne comprennent pas encore toutes les conséquences complexes du rapport Yates et devront poursuivre leurs discussions à ce sujet.

Toutefois, les sociétés et leurs employés doivent être conscients du fait que, pour poursuivre des criminels en col blanc, notamment en vertu de la loi américaine intitulée Foreign Corrupt Practices Act et de la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers du Canada, il sera nécessaire de se concentrer davantage sur la conformité au droit à tous les niveaux dans l’entreprise. De plus, compte tenu des exigences du rapport Yates, pour obtenir un traitement de clémence de la part des autorités chargées de l’exécution de la loi, il sera impératif de donner suite immédiatement et de façon appropriée aux allégations d’actes répréhensibles qui sont dénoncés et que des hauts dirigeants ou la société auraient commis.