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Obligations et droits contractuels dans le contexte de la COVID-19

Auteur(s) :

Mark Gelowitz, Laura Fric, Simon Hodgett, Geoff Hunnisett, Adam Schoenborn

Le 17 mars 2020

Les importantes perturbations causées par la pandémie mondiale de COVID-19 menacent la stabilité des relations contractuelles et les attentes économiques qui en découlent. Vous trouverez ci-après une description des étapes pragmatiques et légales que peuvent suivre les organisations. 

Points clés

Toutes les organisations devraient :

  • évaluer proactivement les risques liés aux manquements aux contrats et entamer des discussions avec leurs partenaires contractuels afin de comprendre et de résoudre tout défaut ou retard important;
  • passer en revue et classer les contrats selon leur importance et la probabilité de manquements à ceux-ci;
  • déterminer les événements qui répondent à la définition d’un cas de force majeure dans chaque contrat – aucun droit en common law ne permet d’invoquer la force majeure – et si la COVID-19 (ou ses conséquences) est admissible à titre de cas de force majeure conformément aux modalités de l’entente;
  • si la COVID-19 représente un cas de force majeure, déterminer les conditions exigées aux termes de l’entente qui permettent d’invoquer cette disposition;
  • évaluer si les risques pourraient être atténués par d’autres modalités ou couvertures d’assurance.

Risques liés au contrat

À mesure que les répercussions liées à la COVID-19 prennent de l’ampleur, les organisations canadiennes dans de nombreux contextes risquent de plus en plus de ne pas être en mesure de respecter leurs obligations contractuelles. Les risques encourus englobent :

  • les restrictions imposées par les gouvernements;
  • les pénuries de main-d’œuvre;
  • les suspensions et annulations de projets;
  • les interruptions, délais ou défauts dans la chaîne d’approvisionnement.

Objectif : Résoudre les enjeux par des discussions

Toutes les organisations souhaiteront gérer ce risque extraordinaire pour leurs activités. Lorsque la prestation de biens ou de services est donnée pour soutenir des organisations, il faut chercher à comprendre le risque lié au manquement au contrat et si ce risque peut être atténué ou prévu dans la planification. Lorsque l’organisation est un fournisseur, elle doit évaluer de manière réaliste si l’offre de produits ou de services aux consommateurs sera ralentie ou perturbée. Dans les deux cas, des discussions prudentes et productives entre les partenaires contractuels en vue de comprendre et de résoudre les défauts et les délais critiques aideront toutes les parties à gérer les risques. Le dialogue peut également aider les parties à atténuer les dommages, qui pourraient être importants pour tous, et constitue une obligation pour toute partie qui pourrait ultérieurement avoir des réclamations pour une rupture de contrat.

Revue et classement des contrats et des ententes – protections et répartition des risques

Les organisations doivent classer les contrats selon leur importance et probabilité de défaut. Les contrats présentant les répercussions les plus importantes et la plus grande probabilité de manquement doivent être abordés en priorité. Il faut tout d’abord passer ces ententes en revue de façon proactive afin de déterminer le mode d’attribution des risques de non-exécution ou de retard. Une clause de force majeure est-elle prévue et déclenchée? Des obligations de continuité des activités devraient-elles entrer en vigueur à ce moment-ci? L’entente prévoit-elle des mécanismes pour obtenir de l’aide ou, à l’opposé, suspendre certains services ou fournitures qui ne sont pas essentiels à l’heure actuelle? L’organisation pourrait-elle se prévaloir de droits de résiliation au besoin? En obtenant une compréhension approfondie de leur position juridique, les parties auront les connaissances nécessaires sur la manière de mener les discussions et les négociations dans le but de protéger leurs intérêts.

Dispositions de force majeure

Osler a récemment abordé le sujet des cas de force majeure dans le contexte des projets d’infrastructures dans cet article : Le coronavirus est-il un cas de force majeure aux termes de votre contrat de projet? Bien que les clauses de force majeure varient d’un contrat à l’autre, un cas de force majeure définit généralement un événement indépendant de la volonté d’une partie qui l’empêche ou la retarde d’exécuter ses obligations contractuelles. Aucun droit de common law ne permet d’invoquer un cas de force majeure, lorsque l’entente entre les parties n’en prévoit aucun. Les clauses de force majeure prévoient explicitement les modalités aux termes desquelles une partie dans l’impossibilité de s’acquitter de ses obligations contractuelles en raison d’un tel événement peut être excusée et éviter les recours contractuels (soit des dommages) et la résiliation de l’entente, si la clause permet la résiliation de l’entente pour rupture de contrat (bien que la clause de force majeure puisse prévoir en elle-même des droits de résiliation en cas de perturbations prolongées).

Admissibilité : La question à savoir si la COVID-19 est un cas de force majeure sera déterminée par l’entente dont il est question, la clause de force majeure, l’entente prise dans son ensemble et les fondements factuels de l’entente. Lorsqu’un contrat prévoit une clause de force majeure, les parties fournissent souvent une liste d’événements admissibles qui peut être déterminante ou une liste inclusive d’exemples d’événements « indépendants de la volonté » de la partie. Le contenu de la liste et la question à savoir si la liste est ouverte ou fermée peuvent avoir des répercussions importantes. Les événements suivants sont couramment cités :

  • pandémies, épidémies et urgences de santé publique – la COVID-19 entre dans ces trois catégories. Il est à noter que depuis l’épidémie de SRAS, ces éléments ont fait l’objet de discussions et ont été expressément exclus de nombreuses ententes, en particulier dans les services de soins de santé;
  • modifications apportées aux lois et aux règlements – les mesures gouvernementales, notamment les interdictions, les confinements et les fermetures obligatoires pourraient représenter des événements admissibles;
  • défauts de fournisseurs – l’épidémie de coronavirus pourrait occasionner une perturbation de la chaîne d’approvisionnement;
  • cas fortuits ou événements indépendants de la volonté d’une partie – des parties pourraient soulever que l’épidémie de COVID-19 peut entrer dans la catégorie « fourre-tout » des événements extrêmes.

Néanmoins, la vraie question est généralement la suivante : L’événement empêche-t-il réellement la partie de respecter son obligation contractuelle?

Invocation de la disposition : La survenance d’un événement de force majeure n’est que la première étape pour déterminer si une partie à un contrat peut bénéficier d’un certain allégement à l’égard des obligations dont elle doit s’acquitter. Comme pour la nature d’un événement de force majeure, les étapes nécessaires pour invoquer cette disposition dépendront du libellé particulier du contrat. Les conditions les plus courantes pour invoquer une disposition relative à la force majeure sont les suivantes :

  • Démontrer que l’événement de force majeure a eu une incidence suffisamment importante sur une obligation contractuelle – les dispositions relatives à la force majeure préciseront souvent le niveau d’incidence requis sur la capacité d’une partie à remplir ses obligations contractuelles. En général, un environnement commercial difficile ne constituera pas une justification suffisante.
  • Donner un préavis. Les contrats exigent généralement que les parties donnent un préavis écrit lorsque la disposition est invoquée.
  • Atténuation de l’incidence. Les parties sont généralement tenues d’atténuer l’incidence de l’événement de force majeure.

Que faire si le contrat ne comporte pas de disposition relative à la force majeure? Lorsque les parties n’ont pas de dispositions contractuelles applicables en cas de force majeure ou que celles-ci ne s’appliquent pas, la common law n’offre que peu de recours. Les protections ou excuses prévues par la common law pour les parties qui ne peuvent pas remplir leurs obligations aux termes d’un contrat sont exceptionnelles et celles qui existent sont interprétées et appliquées de manière restrictive.

Les parties affectées par la COVID-19 et qui ne peuvent pas se prévaloir de dispositions contractuelles sont limitées aux défenses potentielles de Common Law en cas d'inexécution, comme la frustration. Il y a frustration lorsqu'un événement rend les obligations contractuelles radicalement, substantiellement ou fondamentalement différentes de celles envisagées par les parties pour des raisons indépendantes de leur volonté. Comme dans le cas des événements de force majeure, la frustration se distingue des situations dans lesquelles l'exécution est devenue simplement onéreuse, peu pratique ou d'un coût prohibitif.

Si la COVID-19 peut entraîner une inexécutabilité ou une impossibilité d’exécution, la barre est haute lorsqu’il s’agit de démontrer qu’un contrat est inexécutable ou impossible à exécuter. Il convient également de noter que les recours de common law, contrairement aux dispositions types en matière de force majeure, prévoient une résiliation de l’ensemble du contrat, par opposition à une solution plus adaptée comme le fait de permettre un retard ou de libérer une partie d’obligations particulières (tout en la laissant dans l’obligation de s’acquitter du reste de ses obligations).

Autres dispositions contractuelles

Au-delà des dispositions relatives à la force majeure, de nombreux contrats prévoient des interruptions temporaires, par exemple en prévoyant qu’un fournisseur peut sauter une expédition de marchandises moyennant un préavis et une indemnisation, le cas échéant. Selon les circonstances, une telle perturbation peut ne pas constituer un manquement important aux termes des clauses de résiliation. Chaque contrat sera différent à cet égard, et les contrats doivent être passés au peigne fin en tenant compte de toute clause de dérogation temporaire.

Assurance contre les pertes d’exploitation

Enfin, les entreprises ayant une assurance contre les pertes d’exploitation devraient revoir leur police afin de déterminer si les pertes d’exploitation résultant de l’éclosion d’une maladie ou d’une pandémie sont couvertes ou exclues. L'assurance contre les pertes d’exploitation couvre généralement les pertes de revenus résultant de dommages physiques aux biens, mais peut également couvrir les interruptions spécifiquement imputables à des pandémies ou à des fermetures ordonnées par les pouvoirs publics. Les polices doivent être examinées pour connaître les délais de préavis exigés et toute procédure requise pour présenter une réclamation.

Pour en savoir plus sur l’interprétation et l’application des clauses relatives à la force majeure dans les contextes canadien et international, consulter le document Force Majeure Clauses in Comparative Perspective, dont Geoffrey Hunnisett d’Osler.