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Décisions sur le titre ancestral – Un message clair à Ottawa et aux provinces que le temps est venu de gouverner

Auteur(s) : Thomas Isaac

22 juillet 2014

Cet été, la Cour suprême du Canada a rendu deux décisions importantes relativement au titre ancestral et aux droits issus de traités. En juin dernier, la décision Tsilhqot’in a confirmé l’existence d’un titre ancestral sur une zone particulière du centre de la Colombie-Britannique. Au début du mois de juillet, la décision Keewatin a confirmé que l’Ontario a le pouvoir de légiférer au sujet du Traité no 3, y compris dans des secteurs comme la foresterie et les mines.

À première vue, les décisions semblent très différentes. Elles portent sur différentes provinces et différents faits, et semblent avoir des résultats différents. Cependant, elles sont uniformes et leurs résultats sont similaires. Chacune affirme qu’il incombe aux gouvernements d’équilibrer de manière équitable et raisonnable les intérêts des Autochtones et des non-Autochtones, et confirme que les gouvernements disposent des outils nécessaires pour gouverner.

Dans la décision Tsilhqot’in, la Cour suprême du Canada a confirmé que les six bandes qui constituent la Nation Tislhqot possèdent le titre ancestral à l’égard d’un terrain peu peuplé et éloigné d’une superficie d’environ 1 700 kilomètres carrés situé au centre de la Colombie-Britannique. Par conséquent, ces bandes détiennent maintenant le territoire et, mis à part quelques restrictions importantes, elles peuvent l’utiliser et en tirer profit. Surtout, la décision confirme que les deux gouvernements peuvent légiférer en matière de terres ancestrales et peuvent porter atteinte au titre ancestral de façon justifiée. Bien que l’arrêt Tsilhqot’in soit le premier à confirmer le titre ancestral au Canada, il ne crée pas réellement de droit nouveau, si ce n’est qu’il est désormais clair que les lois provinciales peuvent s’appliquer aux territoires visés par un titre ancestral et que tant les provinces que le fédéral peuvent porter atteinte au titre ancestral. Les tribunaux devront encore se pencher sur plusieurs questions, notamment les limites du titre ancestral, les droits des particuliers visés par le titre ancestral et la question à savoir si les provinces peuvent éteindre les titres ancestraux antérieurs à 1982.

Quelques semaines après l’arrêt Tsilhqot’in, la Cour suprême a confirmé, dans l’affaire Keewatin, le droit des provinces de légiférer en matière de droits issus de traités et leur pouvoir constitutionnel de porter atteinte à ceux-ci de façon justifiée. Il s’agit d’une confirmation importante de la Cour, étant donné qu’un arrêt antérieur (Morris) suggérait que les provinces n’avaient pas le droit de porter atteinte aux droits issus de traités.

Pour les Premières Nations, l’arrêt Tsilhqot’in est important parce qu’il représente la première reconnaissance judiciaire du titre ancestral; de plus, dans la décision Keewatin, on n’a pas diminué les droits issus de traités découlant du Traité no 3. Pour les gouvernements, en particulier au palier provincial, ces deux décisions représentent une confirmation importante par la Cour suprême du fait que les lois provinciales continueront de s’appliquer au titre ancestral et aux droits issus de traités et que les provinces ont le pouvoir de porter atteinte à ceux‑ci de façon justifiée.

Au cœur des deux décisions, l’on retrouve la même constante que dans chaque décision rendue à ce jour par la Cour suprême du Canada sur cette question, à savoir qu’il incombe aux gouvernements fédéral et provinciaux de trouver un juste équilibre entre les intérêts des Autochtones et ceux des non-Autochtones, et qu’ils peuvent continuer de gouverner le pays. D’une part, les deux décisions mettent l’accent sur la négociation et la conciliation des intérêts de l’État avec ceux des Autochtones et, d’autre part, elles autorisent fermement les gouvernements fédéral et provinciaux à agir dans l’intérêt public.

Ces décisions surviennent à un moment important au Canada, alors que le secteur privé et le gouvernement collaborent avec le peuple autochtone dans le cadre de projets d’envergure, comme le pipeline Northern Gateway, qui reliera l’Alberta à la côte de la Colombie-Britannique. Certains pensent que l’affaire Tsilhqot’in aura des répercussions directes sur ce projet et, malgré les différents points de vue qui ont été exprimés à ce sujet, l’arrêt Tsilhqot’in n’a, en réalité, aucun effet juridique sur le projet Northern Gateway.

Au cours de la dernière décennie, les gouvernements du Canada ont fondamentalement modifié leur démarche pour en arriver à des décisions pouvant influer sur les peuples autochtones, changement qui a surtout été visible en matière d’exploitation minière et d’aménagement de pipelines.

Au fil du temps, les entreprises canadiennes, particulièrement dans les secteurs de l’exploration, de l’exploitation minière et de l’énergie, ont adopté un rôle proactif de chef de file dans la création de relations solides avec les groupes autochtones au pays. Ces relations procurent des avantages considérables, notamment économiques, aux peuples autochtones, dont des emplois, de la formation, des contrats et des occasions d’affaires.

Dans les décisions Tsilhqot’in et Keewatin, la Cour impose clairement la responsabilité aux gouvernements fédéral et provinciaux – et non aux Autochtones, au secteur privé et aux tribunaux – de trouver un juste équilibre entre les intérêts des Autochtones et les droits de tous les Canadiens, et de gouverner le pays sans perdre de vue l’intérêt public.

Le Canada est le chef de file mondial en matière de protection des droits ancestraux et des droits issus de traités inscrits dans notre Constitution. Cependant, cette protection constitutionnelle requiert également que le gouvernement fasse preuve d’un leadership proactif afin d’équilibrer ces droits en tenant compte de la nécessité, pour le Canada, de continuer d’exploiter ses ressources naturelles tout en servant l’intérêt public de tous ses citoyens, qu’ils soient autochtones ou non.

Certains gouvernements provinciaux semblent réticents à s’attaquer à cette tâche; pourtant celle‑ci est essentielle pour assurer la bonne gouvernance du pays et pour aller dans le sens de la Cour suprême, à savoir que les intérêts des Autochtones et des non‑Autochtones doivent être conciliés, et aussi pour permettre une administration nationale globale qui est raisonnable, prévisible et abordable.

Thomas Isaac, associé, exerce le droit de l’environnement, de la réglementation et des Autochtones. Il fait figure d’autorité nationale en matière de droit des Autochtones et dirige le groupe du droit des Autochtones d’Osler. Il conseille des clients partout au Canada relativement à des questions juridiques autochtones et constitutionnelles, ainsi qu’à des questions liées à l’évaluation environnementale, à la réglementation, aux négociations touchant d’importants projets. On peut communiquer avec lui au 403.260.7060, au 416.862.6451 ou au 604.913.2303.

(Avec l’autorisation du quotidien The Globe and Mail. Initialement publié le lundi 21 juillet 2014 à l’intention des abonnés à Globe Unlimited. Si vous êtes abonné à Globe Unlimited et que vous souhaitez lire cet article en ligne, cliquez ici.)

 

Authored by:  Thomas Isaac