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En élargissant la portée des requêtes en jugement sommaire, la Cour suprême du Canada cherche à améliorer l'accès à la justice

Auteur(s) : Laura Fric, Mary Paterson

27 janvier 2014

La Cour suprême du Canada a publié sa décision très attendue portant sur les requêtes en jugement sommaire. Plusieurs se réjouiront du fait que la Cour a abaissé la barre pour l'obtention des jugements sommaires.

Cette décision fera en sorte que le système judiciaire et bon nombre de parties éviteront les retards et les coûts inutiles qui accompagnent l'enquête préalable et les procès à grande échelle.

Dans l'arrêt Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, la Cour reconnaît que les procès ne sont pas nécessaires pour trancher tous les dossiers et que d'autres processus décisionnels moins coûteux sont aussi légitimes. La Cour avertit que la primauté du droit est en danger lorsque les citoyens ordinaires n'ont pas accès à la justice.

La Cour mentionne que l'objectif principal du système de justice demeure le même : une procédure équitable qui aboutit au règlement juste des litiges. Une procédure juste et équitable doit permettre au juge de dégager les faits nécessaires au règlement du litige et d’appliquer les principes juridiques pertinents aux faits établis. Or, cette procédure reste illusoire si elle n’est pas également accessible — soit proportionnée, expéditive et abordable. Pour protéger l'accessibilité, la Cour note qu'un « virage culturel » s'impose.

La Cour applique ces principaux à la règle ontarienne sur les jugements sommaires, récemment révisée, et indique que :

  1. La requête en jugement sommaire doit être accueillie dans tous les cas où il n’existe pas de véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’un procès
  2. Il n’existe pas de véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’un procès lorsque le juge est en mesure de statuer justement et équitablement. Ce sera le cas lorsque la procédure : 
     
    1. permet au juge de tirer les conclusions de fait nécessaires;
    2. lui permet d’appliquer les règles de droit aux faits; et
    3. constitue un moyen proportionné, plus expéditif et moins coûteux d’arriver à un résultat juste.
  3. La Cour d’appel de l’Ontario « a accordé trop d’importance à la “pleine appréciation” que l’on peut faire de la preuve lors d’un procès conventionnel, étant donné que pareil procès ne constitue pas une solution de rechange réaliste pour la plupart des parties à un litige ».
  4. Les pouvoirs d'apprécier la preuve, d'évaluer la crédibilité, de tirer des conclusions raisonnables et d'entendre des témoignages oraux peuvent être exercés en général aux termes de la règle sur les jugements sommaires.

Ces conclusions, conjuguées à la suggestion de la Cour suprême que la Cour devrait participer tôt à la gestion des requêtes en jugement sommaire, augmentent la disponibilité et la souplesse des requêtes en jugement sommaire en Ontario, tout en augmentant également la probabilité qu'une requête en jugement sommaire permette en fin de compte de résoudre le litige.

Besoin d'un virage culturel : là où nous étions et là où nous devons aller

Comme nous l'avons expliqué dans notre Actualité Osler de décembre 2011 sur la décision de la Cour d'appel, l'ancienne règle sur les jugements sommaires (avant 2010), était jugée inefficace en raison de la jurisprudence qui interdisait aux juges des requêtes d'évaluer la crédibilité des témoins, d'apprécier la preuve ou de tirer des conclusions de fait.

Une nouvelle règle 20 est entrée en vigueur le 1er janvier 2010 et élargissait grandement les pouvoirs des juges d'apprécier la preuve, d'évaluer la crédibilité et de tirer des conclusions de fait. Toutefois, l'interprétation judiciaire de cette nouvelle règle n'était pas constante. Dans certains dossiers, ces pouvoirs étaient interprétés de façon étroite, ce qui risquait de rendre la nouvelle règle largement inutile pour obtenir des résolutions hâtives et éviter les procès.

Même si la Cour d'appel de l'Ontario a adopté une approche plus ouverte à l'égard de la nouvelle règle, la Cour suprême a jugé que la décision de la Cour d'appel de l'Ontario n'allait pas assez loin et mettait trop l'accent sur les avantages d'un procès classique. La question ne devrait pas être de se demander si un procès complet est nécessaire pour apprécier pleinement la preuve, mais plutôt de savoir si les frais et les délais additionnels occasionnés par la recherche des faits lors du procès sont essentiels à un processus décisionnel juste et équitable.

Dans cette nouvelle culture, la Cour suprême demande aux juges des requêtes en jugement sommaire d'évaluer s'ils sont certains de pouvoir résoudre équitablement les litiges dont ils sont saisis. Comme le mentionne la Cour, la « la norme d’équité consiste non pas à déterminer si la procédure visée est aussi exhaustive que la tenue d’un procès, mais à établir si cette procédure permet au juge d’être certain de pouvoir établir les faits nécessaires et appliquer les principes juridiques pertinents pour régler le litige ».

Pour favoriser cette nouvelle culture, la Cour suprême demande aux parties et aux tribunaux de gérer la requête tôt, afin d'en contrôler la portée. La Cour indique également que le juge de la requête devrait demeurer saisi de l'affaire. Il reste à voir comment les ressources judiciaires déjà surchargées de l'Ontario pourront mettre en œuvre ces suggestions pratiques.

 

Authored by Laura Fric, Mary Paterson, Catherine Gleason-Mercier