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Les fabricants de médicaments génériques titulaires de licence sont soustraits à l’examen du prix des médicaments brevetés

Auteur(s) : Vincent M. de Grandpré

10 juin 2014

Dans deux décisions pratiquement identiques publiées le 27 mai 2014, Sandoz Canada Inc c. Canada, 2014 CF 501 (Sandoz) et ratiopharm Inc c. Canada, 2014 CF 502 (ratiopharm), la Cour fédérale a jugé que certains titulaires de licence de brevets liés à des médicaments ne sont pas assujettis à la compétence du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés (CEPMB ou Conseil), y compris à son pouvoir de réglementer le prix des médicaments.  Ces décisions, qui peuvent être portées en appel auprès de la Cour d’appel fédérale, constituent un pas en arrière par rapport aux positions plus libérales de la Cour au sujet de la compétence du CEPMB.

Contexte

Le CEPMB est un organisme quasi judiciaire créé par le Parlement pour surveiller et contrôler le prix des médicaments brevetés au Canada.  En 2008, le CEPBM a intenté des procédures contre ratiopharm, alléguant que cette dernière avait vendu une version générique autorisée du médicament Salbutamol (ratio HFA) à des prix excessifs. Séparément, en 2010, le CEPMB a intenté des procédures contre Sandoz, une filiale en propriété exclusive d’un titulaire de brevet pharmaceutique bien connu (Novartis AG), au motif que Sandoz devait fournir au Conseil des renseignements sur les prix, comme s’il était un breveté au sens du paragraphe 79(1) de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4.

Dans les deux instances, la preuve a démontré que ratiopharm et Sandoz étaient des titulaires de licence, et non les propriétaires, des brevets en question.  Ratiopharm a acheté les médicaments pour la revente.  Selon le CEPMB [traduction] « Essentiellement, les ententes [avec le breveté] accordent à ratiopharm une licence exclusive pour la promotion, la commercialisation et la vente du ratio HFA au Canada ». Dans le cas de Sandoz, le Conseil a conclu que « Novartis AG mandate et autorise Sandoz à vendre des médicaments au Canada, y compris les médicaments visés par les brevets que détient Novartis AG, directement ou indirectement.  En l’absence de cette autorisation, ces ventes constitueraient une contrefaçon de brevet pouvant faire l'objet de poursuites ». En conséquence, le CEPMB a conclu que ratiopharm et Sandoz étaient des « brevetés » tenus de fournir des renseignements sur les prix et assujettis à la compétence du Conseil en matière de contrôle des prix. 

Les décisions de la Cour fédérale

Dans les affaires Sandoz et ratiopharm, chaque société a demandé une révision judiciaire de la définition qu'a faite le CEPMB du terme « breveté » en vertu de l’article 79 de la Loi sur les brevets.  La partie pertinente de cet article se lit comme suit :

       

« breveté » ou « titulaire d’un brevet » La personne ayant pour le moment droit à l’avantage d’un brevet pour une invention liée à un médicament, ainsi que quiconque était titulaire d’un brevet pour une telle invention [...]; [soulignement ajouté]

 

Dans les deux affaires, la Cour fédérale a conclu que la définition de « breveté » par le CEPMB était déraisonnable.  Citant un arrêt de la Cour suprême du Canada qui a fait jurisprudence, la Cour fédérale a souligné que la responsabilité première du CEPMB était de veiller à ce que « le breveté n’abuse pas financièrement du monopole découlant de la délivrance d’un brevet, au détriment des consommateurs canadiens ».  Dans ce contexte, la Cour a indiqué que [traduction] « le Conseil devrait limiter son rôle à l’examen du prix demandé par les titulaires de brevet, qui bénéficient d’un monopole limité dans le temps… » (Sandoz par. 20; ratiopharm, par. 15).  La Cour a poursuivi en disant que :

       

[traduction] Dans l’ensemble, les fabricants de médicaments génériques contribuent à rendre le marché concurrentiel, ce qui aide à limiter le coût des médicaments brevetés. Examiner les prix demandés par les fabricants de médicaments génériques qui ne détiennent ni brevet ni monopole semble outrepasser le mandat du Conseil [Sandoz, par. 26; ratiopharm, par. 21]

 

La Cour fédérale a fait remarquer que, bien que le Parlement puisse réglementer les brevets liés à une invention, [traduction] « il n’a aucune compétence pour réglementer le prix des versions génériques des médicaments brevetés » (Sandoz, par. 21; ratiopharm, par. 16).  Par conséquent, la définition de « breveté » devrait tenir compte des limites de la compétence constitutionnelle du gouvernement fédéral.  De plus, la Cour a souligné que la compétence fédérale se limite à réglementer le « prix départ usine » (c.-à-d. le prix demandé par un titulaire de brevet à son premier acheteur).  Ici, les prix départ usine étaient les prix payés par Sandoz et ratiopharm pour acheter les médicaments – et non le prix de vente aux distributeurs, aux pharmacies et au public en général.

Par conséquent, la Cour fédérale a conclu que le simple fait qu’un fabricant de médicaments génériques, y compris la filiale d’un breveté, vende une version d’un médicament breveté sous licence ne suffit pas à l’inclure dans la définition de « breveté » (Sandoz, par. 25, ratiopharm, par. 20).  La Cour a plutôt fondé son raisonnement en se posant la question à savoir si Sandoz et ratiopharm pouvaient être considérés comme détenant un pouvoir monopolistique.  Comme ce n’était pas le cas, la Cour a conclu qu’il ne s’agissait pas de « brevetés » assujettis à la compétence du Conseil.

Les décisions Sandoz et ratiopharm peuvent encore faire l’objet d’un appel.  Toutefois, si elles sont maintenues, elles marqueront un changement de perspective des tribunaux à l’égard de la compétence du CEPMB. 

Pour plus d’information sur les affaires Sandoz et ratiopharm, ou sur l’établissement du prix des médicaments en général, veuillez communiquer avec J. Bradley White ou Vincent M. de Grandpré.

 

Authored by:  Vincent M. de Grandpré, Martin Brandsma