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Les méthodes de traitement médical ne sont toujours pas une « invention » au Canada

Auteur(s) : Vincent M. de Grandpré

5 février 2014

Le 27 janvier 2014, la Cour d'appel fédérale, dans Novartis Pharmaceuticals Canada Inc. c. Cobalt Pharmaceuticals Co., 2014 CAF 17 (Novartis), a maintenu le rejet, par la Cour fédérale, d'une demande pour une ordonnance d’interdiction en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) du Canada pour le motif que le brevet contesté visait des méthodes de traitement médical.  Avec cette troisième décision1 concernant des méthodes de traitement médical alléguées au cours de la dernière année seulement, les tribunaux canadiens continuent de considérer les méthodes de traitement médical comme étant non brevetables, tout en fournissant peu de lignes directrices au sujet des limites en terme de revendications admissibles. 

Dans Novartis, les revendications en cause visaient une fréquence posologique précise de l’acide zolédronique pour le traitement de l’ostéoporose, notamment son administration par intermittence une fois par année environ. Par exemple, la revendication 16 visait « l’utilisation de l’acide zolédronique [...] pour le traitement de l’ostéoporose liée à la ménopause, traitement dans lequel l’acide zolédronique [...] est présent à raison d’environ 5 mg dans une forme pharmaceutique unitaire administrée par intermittence, la période entre la première administration et chaque administration subséquente étant d’environ un an et chaque administration se faisant par voie intraveineuse. »  Il est à noter que la Cour fédérale avait trouvé que la fréquence posologique était le seul aspect de l'invention qui n'était pas évident.   La question, par conséquent, consistait à savoir si une fréquence posologique entre dans le champ d'application de la matière susceptible d'être brevetée décrit dans la définition de « invention » à l'article 2 de la Loi sur les brevets.

En accord avec la pratique européenne, les tribunaux canadiens ont depuis longtemps établi que les méthodes de traitement médical ne sont pas susceptibles d'être brevetées, même après que l'ancienne interdiction de breveter des substances médicamenteuses en vertu de la Loi sur les brevets a été abrogée. Se fondant sur la décision de la Cour suprême du Canada dans Tennessee Eastman Company c. Commissaire des Brevets, [1974] R.C.S. 111, qui concernait une méthode chirurgicale de conglutination d'incisions au moyen de certains composés, les tribunaux canadiens ont établi que la matière suivante, par exemple, n'était pas susceptible d'être brevetée : des plages de doses selon le poids du patient,2 un ajustement posologique,3 et l'utilisation de recommandations quand des éléments et des posologies ont besoin d'être sélectionnés.4 Le raisonnement des tribunaux semble être à l'effet que les brevets canadiens ne devraient pas interférer avec la capacité des médecins d'exercer leur compétence et leur jugement.

Dans Novartis, la Cour d'appel fédérale avait l'occasion de préciser en quoi exactement consiste une méthode de traitement médical non brevetable.  Malheureusement, la décision de quatre paragraphes fait à peine plus que confirmer la décision ci-dessous.  En vertu de la jurisprudence canadienne, il est donc établi que des produits pouvant être vendus, tels que les formes posologiques pharmaceutiques, sont des matières brevetables.  Les revendications quant à l'utilisation d'une substance médicamenteuse pour traiter un problème de santé sont aussi autorisées, soit libellées comme telles ou comme des revendications de type suisse (« l'utilisation d'une substance médicamenteuse X dans la fabrication d’un médicament pour le traitement du problème de santé Y »5).  En revanche, les revendications dont l'objet de l'invention relève de la compétence d'un professionnel de la santé ont été jugées inappropriées.  En pratique, cependant, cette distinction peut être difficile à établir en matière de revendications qui incluent à la fois un produit pouvant être vendu (p. ex., une forme pharmaceutique ) et un objet lié à l'exercice d'un jugement professionnel (p. ex., un schéma posologique). Dans ces circonstances, les tribunaux canadiens examinent le libellé du mémoire descriptif du brevet pour déterminer si une revendication pour un produit commercial exige une compétence pour l'administrer.  Si c'est le cas, la revendication sera probablement invalide.  En fin de compte, une revendication de « la substance X sous la forme d'un comprimé de 5 mg pour le traitement de Y » est valide, mais une revendication pour « l'utilisation de la substance X dans un registre posologique entre A et B pour le traitement de X » ne l'est probablement pas. 

L'affaire Novartis confirme que les demandeurs de brevets canadiens devraient être prudents avant de s'appuyer sur des limites posologiques thérapeutiques pour distinguer les inventions antérieures.  On pourrait débattre que de telles limites relèvent de la compétence et du jugement d'un professionnel de la santé, et les revendications en cause pourraient être jugées invalides. 

Pour obtenir de plus amples renseignements sur les objets susceptibles d’être brevetés au Canada, veuillez communiquer avec : J. Bradley White ou Vincent M. de Grandpré.  


1  Voir la décision de la Cour fédérale dans l'affaire Novartis Pharmaceuticals Canada Inc. c. Cobalt Pharmaceuticals Co., 2013 CF 985, et Bayer Inc. c. Cobalt Pharmaceuticals Co., 2013 CF 1061.

2  Axcan Pharma c. Pharmascience Inc., 2006 CF 527.

3  Janssen Inc. c. Mylan Pharmaceuticals ULC, 2010 CF 1123.

4  Bayer Inc. v. Cobalt Pharmaceuticals Co., 2013 CF 1061.

5  Pour un examen détaillé des revendications de type suisse, voir Merck & Co., Inc. c. Pharmascience Inc, 2010 CF 510. 

 

Authored by Vincent M. de Grandpré, Martin Brandsma