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Conseils en matière antitrust : recours collectifs – Ce que les clients et les avocats américains doivent savoir

Auteur(s) : Christopher Naudie

1 avril 2015

Autrefois perçus au Canada comme étant une chose nouvelle, les recours collectifs sont devenus, au cours des dernières années, un élément permanent du paysage en ce qui a trait à l'application des lois antitrust canadiennes. Dans pratiquement toutes les affaires en matière de cartels à l'échelle internationale qui ont été présentées au cours des dernières années, les demandeurs ont intenté des recours collectifs pour le compte d'acheteurs directs et indirects au Canada, souvent en étroite coordination avec les demandeurs ayant intenté des procédures similaires aux États-Unis.

En effet, dans un certain nombre de cas récents, des enquêtes et des recours collectifs au Canada ont donné lieu au dépôt de procédures similaires aux États-Unis (comme les recours collectifs récents intentés au Canada et aux États-Unis relatifs au chocolat et à la mousse polyuréthane). En octobre 2013, la Cour suprême du Canada a rendu une trilogie de décisions qui a confirmé le droit des demandeurs dans le cadre de recours collectifs d'exercer les recours d'acheteur indirect en vertu de la Loi sur la concurrence; et qui a fourni des lignes directrices cruciales en ce qui a trait à la norme de preuve applicable à la certification des recours collectifs. Depuis ces arrêts, les avocats spécialisés en recours collectifs au Canada sont allés de l'avant en cherchant à faire certifier des recours collectifs dans une série de dossiers internationaux. 

En réagissant à un recours collectif parallèle déposé au Canada, les clients et les avocats américains doivent bien connaître les caractères distincts et uniques du régime des recours collectifs et des recours privés au Canada pour établir une défense homogène des deux côtés de la frontière.

Le caractère distinctif du recours privé

Au Canada, le recours privé diffère à plusieurs égards du droit privé d'action aux États-Unis  :

  • Dommages-intérêts simples; pas de dommages-intérêts triples : Aux États-Unis, le demandeur peut recouvrer des dommages-intérêts triples découlant des comportements anticoncurrentiels qui contreviennent à la loi intitulée Sherman Act.  À l'opposé, au Canada, le demandeur ne peut recouvrer que des dommages-intérêts simples à l'égard de la perte réelle, en vertu de l'article 36 de la Loi sur la concurrence.

  • Aucuns dommages-intérêts punitifs en vertu de la loi : À la différence des États-Unis, les dommages-intérêts punitifs, qui visent à punir le défendeur pour un comportement répréhensible et abusif, ne sont pas recouvrables en vertu de l'article 36. Pour contourner cet obstacle, le demandeur au Canada cherchera souvent à invoquer diverses allégations parallèles en délit civil (p. ex. le complot en common law) et en restitution (p. ex. l'enrichissement sans cause ou la renonciation au recours délictuel) conjointement avec des allégations en vertu de l'article 36. En faisant valoir des allégations en restitution, le demandeur demandera également la remise des profits. Cependant, il y a toujours un débat dans la jurisprudence récente en matière de certification des recours collectifs sur la question de savoir si ces causes d'action distinctes sont valables ou peuvent donner droit à la certification, compte tenu de l'existence d'un recours spécifique prévu par la loi qui a été adopté par le législateur.

  • La règle du « perdant paie » les dépens : Les parties engagées dans une poursuite civile au Canada, y compris dans un recours collectif, sont habituellement assujetties aux règles traditionnelles en matière de dépens, faisant en sorte que la partie perdante est généralement condamnée à payer une partie des dépens de la partie adverse. Même si cette règle ne s'applique pas aux requêtes en certification présentées dans certaines provinces (c.-à-d. en Colombie-Britannique), et même si les tribunaux ont atténué la rigueur de cette règle dans le cadre de plusieurs recours collectifs, la règle du « perdant paie » les dépens agit comme une mesure dissuasive importante sur le plan économique à l'égard des demandeurs qui présentent des recours antitrust au Canada  dont le fondement est discutable.

  • Les procès avec jury sont rares : À l'opposé de la pratique ayant cours aux États-Unis, il est extrêmement rare de voir des procès avec jury dans des affaires commerciales. Par conséquent, les parties à un litige au Canada peuvent procéder avec confiance en supposant que s'il y a procès, le bien-fondé d'un recours collectif antitrust sera probablement plaidé devant un juge, et non devant un jury. Toutefois, au cours des dernières années, aucun cas de procès sur le bien-fondé du recours n'a été rapporté dans le cas de recours collectifs antitrust certifiés, puisque de telles affaires ne vont pas au-delà des interrogatoires préalables ou sont réglées hors cours. 

    Différences dans le régime de recours collectif

    Au Canada, le régime de recours collectif est fondamentalement différent de celui des États-Unis.

  • Certification des recours des acheteurs directs et indirects : En 2013, la Cour suprême du Canada a rejeté l'application au Canada de la règle établie aux États-Unis dans l'arrêt Illinois Brick , et a conclu que les acheteurs indirects pouvaient faire valoir une cause d'action valable en vertu de la Loi sur la concurrence. De plus, la Cour a indiqué que le demandeur dans un recours collectif peut demander la certification d'un groupe consolidé d'acheteurs directs et indirects, malgré les conflits potentiels. Par conséquent, la formulation et la composition des recours collectifs au Canada sont fondamentalement différentes des pratiques ayant cours aux États-Unis.  .

  • Multiplication des procédures et forums : Contraitement aux pratiques ayant cours aux États-Unis, les recours collectifs antitrust sont généralement intentés devant les cours supérieures provinciales partout au Canada, plutôt que devant les tribunaux fédéraux. Lorsque la conduite anticoncurrentielle alléguée a peut-être une portée nationale, il arrive souvent que le défendeur soit confronté à des recours collectifs multiples et distincts dans une (ou plusieurs) province(s) et que parfois, les recours se chevauchent. Selon la pratique actuelle, un consortium de cabinets représentant les demandeurs cherchera souvent à représenter un groupe national de facto en déposant des procédures parallèles en Ontario, au Québec et en Colombie-Britannique, qui proposent d'entremêler les groupes qui englobent effectivement tous les acheteurs directs et indirects au Canada.   

  • Aucun mécanisme de consolidation MDL : Puisqu'il n'existe aucun régime de consolidation au Canada semblable au système MDL des États-Unis, les questions de recours collectifs concurrents et de groupes qui se chevauchent au Canada ont généralement été abordées au moyen de requêtes contestées ou en vertu d'un protocole de coordination qui a été récemment adopté par l'Association du barreau canadien. En gros, dans les litiges transfrontaliers, les demandeurs intentent de plus en plus de procédures coordonnées en Ontario, au Québec et en Colombie-Britannique (souvent en parallèle avec des procédures aux États-Unis),  et déterminent un « ressort principal » où les requêtes préalables à la certification seront présentées en premier lieu.

  • Critères de certification : En vertu des lois sur la certification en vigueur dans la plupart des provinces canadiennes, le demandeur n'est soumis à aucune exigence visant à démontrer la prédominance, la quantité ou la spécificité, comme l'exige la règle 23(b)(3) des règles fédérales des États-Unis. Par exemple, en Ontario, le demandeur n'a qu'à démontrer que les questions communes constituent un « élément important » de la réclamation de chaque membre du groupe, et que le recours collectif est le « meilleur moyen » dans les circonstances. Au Québec, le demandeur n'a qu'à démontrer que les questions communes de fait ou de droit sont importantes, et ne sont pas de simples questions accessoires.

  • Certification dans les tribunaux : Dans sa trilogie d'arrêts rendue en 2013, la Cour suprême du Canada a certifié deux recours collectifs antitrust dans les affaires Microsoft (C.-B.) et DRAM  (Québec), mais elle a refusé de certifier un recours collectif dans l'affaire du sirop de maïs en haute teneur en fructose (C.-B.). Dans l'arrêt Microsoft , la Cour a expressément rejeté la « démarche rigoureuse » adoptée par les cours fédérales des États-Unis en matière de certification des recours collectifs, et a indiqué qu'à l'étape de l'examen des questions communes, le demandeur n'a qu'à démontrer l'existence d'une « méthode valable et acceptable » pour établir la perte à l'échelle du groupe. La Cour a toutefois souligné que la méthode proposée par le demandeur doit permettre « assez certainement » de démontrer que le transfert de la perte s'est produit d'une façon qui a nui à tous les membres du groupe. Depuis lors, deux recours collectifs antitrust ont été certifiés par les tribunaux inférieurs, mais il reste à voir la façon dont les tribunaux appliqueront les directives formulées par la Cour suprême à l'avenir.   

  • Communication préalable restreinte : Dans le cadre des pratiques canadiennes, une communication préalable restreinte a lieu avant la décision sur la certification du recours collectif, et cette communication préalable est généralement limitée aux questions de preuve qui portent sur la certification du recours collectif. Autrement dit, contrairement aux pratiques américaines, il est rare que les parties procèdent à une communication préalable sur le fond avant que le tribunal se prononce sur l'identité du groupe et des questions communes proposées. 

En résumé : Les autorités responsables de la concurrence des deux côtés de la frontière travaillent ensemble à poursuivre en justice les cas de comportements et de pratiques de distribution anticoncurrentiels. Les enquêtes, poursuites et litiges connexes peuvent entraîner l'imposition d'énormes amendes, exposer les dirigeants d'entreprise à une responsabilité personnelle (incluant la prison) et forcer les sociétés à modifier leurs pratiques commerciales de base.

Avec une bonne compréhension du régime des recours collectifs et des recours privés au Canada, les avocats américains sont en mesure d'assurer la meilleure défense, et ce, des deux côtés de la frontière.

Pour en savoir plus, veuillez communiquer avec le groupe de pratique du droit de la concurrence et de l’investissement étranger d’Osler.

Veuillez consulter notre publication intitulée Application de la législation criminelle en matière de concurrence au Canada : Rétrospective 2014 pour en connaître davantage sur les efforts d'application des lois antitrust canadiennes et internationales.