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La Cour fédérale soutient que le brevet portant sur un composé du cinacalcet est antérieur et évident

Auteur(s) : J. Bradley White, Vincent M. de Grandpré

11 novembre 2015

Le 3 novembre 2015, la Cour fédérale a publié ses motifs dans l’affaire Amgen Canada Inc. v. Mylan Pharmaceuticals ULC. La Cour a rejeté une demande que la société pharmaceutique Amgen a présentée suivant le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (l’instance relative à un AC), afin d’obtenir une ordonnance empêchant le ministère de la Santé de délivrer une autorisation de mise en marché (avis de conformité) à Mylan pour sa version du médicament calcimimétique SENSIPARMD d’Amgen.  Cette décision constitue l’un des rares exemples où la Cour fédérale invalide un brevet portant sur un composé chimique pour cause d’antériorité de brevet. La décision de la Cour sert aussi à nous rappeler qu’il ne suffit pas de vérifier les propriétés prévues de composés déjà divulgués pour obtenir un brevet.

Contexte

Le brevet canadien no 2 202 879 (le brevet 879) divulgue et revendique un très grand nombre de composés, dont la molécule cinacalcet et ses sels de qualité pharmaceutique. La revendication 5 visait le cinacalcet, l’ingrédient médicamenteux dans le SENSIPARMD.

Mylan a prétendu que le brevet 879 n’était pas valide pour cause d’antériorité, d’évidence et de double brevet à caractère évident. Amgen a admis, dans l’instance relative à un AC, qu’un brevet antérieur (le brevet 828) divulguait le cinacalcet de façon générique dans une revendication portant sur un genre d’un très grand nombre de structures, mais elle a soutenu que parce que les inventeurs du brevet 828 n’avaient ni fabriqué ni mis à l’essai le cinacalcet, la revendication 5 du brevet 879 était l’invention reposant sur la sélection du cinacalcet à partir des composés divulgués dans le brevet 828. Cette sélection, selon Amgen, était la réponse complète aux allégations d’invalidité de Mylan.

Le cinacalcet n’est pas une sélection reposant sur l’invention

Selon la Cour fédérale, le cinacalcet et le brevet 879, dans leur ensemble, ne sont pas des inventions reposant sur une sélection. M. le juge Phelan a affirmé de nouveau que le brevet de sélection ne diffère pas des autres types de brevet, puis a soutenu que ni le brevet 879 ni la preuve qu’Amgen a soumise n’appuyaient l’allégation selon laquelle le brevet 879 était un brevet de sélection : le cinacalcet n’est tout simplement pas différent, sur le plan qualitatif et quantitatif, des autres composés divulgués dans le brevet 828. Ainsi, la Cour fédérale a confirmé le principe selon lequel la fabrication et la mise à l’essai de composés déjà divulgués, même de façon générique ou comme faisant partie d’une vaste catégorie de composés, ne constituent pas une invention si les éléments choisis n’ont pas des propriétés uniques et inattendues.

Antériorité

Ayant déterminé que le cinacalcet n’avait aucune propriété nouvelle, la Cour fédérale a conclu que le brevet 828 antérieur divulguait déjà la revendication 5 du brevet 879. Citant abondamment les experts de Mylan, la Cour a conclu qu’aucun élément inventif ne distinguait le brevet 828 du cinacalcet. Les experts de Mylan étaient d’avis qu’une personne versée dans l’art aurait fabriqué le cinacalcet dans le cadre de travaux de mise au point courants fondés uniquement sur les enseignements du brevet 828. En particulier, la personne versée dans l’art aurait synthétisé et mis à l’essai au plus 200 composés pour en arriver au cinacalcet, et ces mises à l’essai sont courantes. Compte tenu de ce qui précède, la Cour a conclu que le cinacalcet n’était pas une nouveauté dans la catégorie de composés divulgués dans le brevet antérieur.

Évidence

À propos de l’évidence et du double brevet à caractère évident, la Cour fédérale a soutenu que le cinacalcet n’était pas une invention et que la revendication 5 ne contenait pas d’élément brevetable distinct de l’invention déjà divulguée dans le brevet 828. Citant une fois de plus les experts de Mylan, la Cour a conclu qu’il aurait été évident d’essayer d’obtenir le cinaclacet parce qu’une personne versée dans l’art n’aurait eu qu’à fabriquer et mettre à l’essai 200 composés ce qui, selon la preuve, aurait été facile et courant. Il ne suffit pas de vérifier les propriétés décrites ou prévues du cinaclacet dans le brevet antérieur pour en faire une invention.

Conséquences pratiques

En pratique, Amgen Canada v. Mylan Pharmaceuticals ULC fait ressortir le rôle crucial que la preuve d’expert joue dans l’évaluation des divulgations dans les brevets antérieurs par la Cour. Dans ses motifs, la Cour confirme aussi que, la divulgation générique de composés dans le cadre d’un brevet antérieur plus large accorde l’antériorité à l’invention alléguée d’un composé dans cette catégorie, à moins que le composé revendiqué ne soit assorti de propriétés uniques et inattendues. De plus, la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle la fabrication et la mise à l’essai de 200 composés étaient simples et courantes illustre que l’essai d’une invention alléguée peut aller de soi, voire lui enlever son caractère « d’invention », s’il suffit pour ce faire d’en vérifier les propriétés prévues au moyen d’essais bien connus et faciles.

Lire les motifs de la décision de la Cour fédérale [PDF] (en anglais seulement).

Une équipe d’Osler Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L./s.r.l. a représenté Mylan Pharmaceuticals ULC. Cette équipe dirigée par J. Bradley White était composée de Vincent M. de Grandpré, de Geoffrey Langen, de Sam Tekie, de Faylene Lunn (propriété intellectuelle) et de Nicole McDonald (stagiaire).