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Un rare dossier de manipulation de marché

Auteur(s) : Fabrice Benoît, Jean-François Forget

1 avril 2015

Dans un rare dossier de manipulation frauduleuse de marché, le Bureau de décision et de révision a récemment rendu une décision entérinant une entente intervenue entre l’Autorité des marchés financiers (« AMF ») et M. Michel Galipeau (« Galipeau ») condamnant ce dernier à une pénalité administrative de 20 000$.

Bien que les motifs du Bureau lui-même soient laconiques compte tenu de l’absence de débat devant lui, la décision revêt un certain intérêt en ce qu’elle nous rappelle les gestes et comportements susceptibles d’attirer l’attention de l’AMF et d’inviter l’application de l’article 195.2 de la Loi sur les valeurs mobilières (« LVM »).

L’article 195.2 LVM prévoit que «le fait d'influencer ou de tenter d'influencer le cours ou la valeur d'un titre par des pratiques déloyales, abusives ou frauduleuses » constitue une infraction punissable d’une pénalité administrative pouvant aller jusqu’à deux millions de dollars (2 000 000$).1 Notons que de telles « pratiques déloyales, abusives ou frauduleuses » ne sont pas définies dans la législation et peu traitées en jurisprudence, d’où l’intérêt de cette affaire.

Les infractions reprochées à Galipeau avaient pour objet une série de transactions sur le titre d’une société dont les actions se transigeaient sur le TSX Croissance (la « Société »). Pour chacune des transactions, Galipeau acquérait des actions de la Société au prix du marché, puis, dans les minutes qui suivaient, les revendait à l’une ou l’autre de ses sociétés de spéculation à un prix plus élevé. Il apparaît de l’exposé factuel de l’AMF que Galipeau avait ainsi pu encaisser un profit net d’un peu plus de 6 700$.

Tout en rappelant l’objectif sous-tendant l’interdiction prévue à l’article 195.2 LVM, soit de préserver la confiance du public dans l’intégrité des marchés, l’AMF identifie les indices de la manipulation frauduleuse du cours du titre de la Société par Galipeau :

  • Pour que son stratagème puisse fonctionner, les ordres d’achat de Galipeau et les ordres de vente de ses sociétés étaient toujours placées à des prix éloignés des cours acheteur et vendeur, et ce pour le même nombre de titre et le même prix par action, garantissant ainsi l’appariement. De telles transactions sont qualifiées d’improper matched orders;
  • Chacune des opérations représentaient une proportion importante (20% à 100%) du volume quotidien des opérations réalisées sur le titre de la Société;
  • Les opérations entre Galipeau et sa société de spéculation n’entraînaient aucun réel changement de propriétaire bénéficiaire puisque Galipeau avait le contrôle effectif des deux côtés des transactions, ce qui constitue des wash-trades;
  • Les transactions de Galipeau ont eu des effets directs sur le cours du titre de la société. En ce sens, elles équivalaient à du ramping, soit une hausse artificielle du cours d’un titre afin de lui donner une fausse impression d’activité et ainsi, réaliser un profit rapide.

Ultimement, Galipeau a reconnu tous les faits exposés par l’AMF et les parties se sont entendues sur une pénalité administrative de 20 000$, soit trois fois les profits nets empochés par le contrevenant.

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1  Article 273.1 LVM. Notons au passage qu’il est également possible pour l’AMF d’instituer des procédures pénales contre un contrevenant et de rechercher les sanctions prévues aux articles 204.1 et 208.1 de la LVM.