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Un tribunal de la C.-B. confirme que les demandeurs doivent présenter une méthode pratique établissant le lien de causalité pour certifier les recours collectifs en responsabilité du fait d’un produit

Auteur(s) : Lindsay Rauccio, Craig Lockwood, Kelly Osaka

12 mars 2015

Dans l'affaire Charlton c. Laboratoires Abbott, Limitée., 2015 BCCA 26 (Charlton), la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a clarifié le degré de preuve auquel les demandeurs doivent satisfaire à l’étape de la certification dans le contexte d’un recours collectif en responsabilité du fait d’un produit. En particulier, selon la Cour, les demandeurs alléguant qu’un produit cause des effets néfastes ou un préjudice doivent présenter une méthode pratique pour démontrer que le produit en question pouvait causer des effets néfastes à l’échelle du groupe. Ainsi, la Cour a réitéré les principes formulés en 2013 par la Cour suprême dans la trilogie de décisions mettant en jeu des acheteurs indirects, et a confirmé leur application dans le contexte de la responsabilité du fait d’un produit. En définitive, les demandeurs dans l’affaire Charlton n’ont pas réussi à prouver le lien de causalité, ce qui a porté un coup fatal à la demande de certification de l’action.

Contexte

En 2011, un recours collectif a été intenté contre Laboratoires Abbott, Limitée (Abbott) et Apotex Inc. (Apotex) au nom de toutes les personnes au Canada qui ont obtenu sur ordonnance un médicament contenant de la sibutramine pour le motif que l’ingestion de cette substance aurait nui, ou contribué à nuire à leur santé cardiovasculaire, celle-ci pouvant provoquer une crise cardiaque, un accident vasculaire cérébral, de l’arythmie, ainsi que l’augmentation de leur tension artérielle et de leur fréquence cardiaque. Les demandeurs ont soulevé diverses causes d’action, dont la négligence, le défaut de mise en garde et la violation de la loi de la Colombie-Britannique intitulée Business Practices and Consumer Protection Act et de la Loi sur la concurrence; ils ont, en outre, demandé des dommages-intérêts aux termes de la doctrine de la renonciation au recours délictuel.

Il est important de souligner que certaines personnes inscrites au recours collectif ont déclaré qu’elles avaient été victimes d’incidents cardiovasculaires, comme une crise cardiaque ou un accident vasculaire cérébral, après avoir obtenu sur ordonnance de la sibutramine, et que certaines autres personnes n’auraient pas subi ces conséquences. De plus, la preuve n’a pas clairement démontré le nombre de personnes inscrites au recours collectif (s’il y a lieu) qui souffraient déjà de maladies cardiovasculaires.

Preuve d'expert à l'étape de la certification

Les demandeurs ont déposé deux rapports d’expertise médicale à l’appui de la demande de certification, et les défendeurs ont déposé deux rapports d’expertise en guise de défense. Après avoir examiné l’ensemble de la preuve d’expert, la Cour d’appel la résume comme suit :

  • La preuve démontre que les personnes qui souffrent déjà de problèmes cardiaques risquent davantage de subir un incident cardiovasculaire.
  • La monographie canadienne du produit renfermait une mise en garde contre la prescription de la sibutramine à des patients qui ont des antécédents de maladies cardiovasculaires.
  • Aucune preuve soumise n’a permis de conclure que les médicaments en question avaient effectivement été prescrits à des personnes souffrant d’une condition préexistante.
  • L’ampleur du risque que couraient les personnes sans antécédent de maladies cardiovasculaires n’a pas été étudiée, et la preuve statistique disponible n’a pas démontré une hausse mesurable du risque chez les patients sans antécédent de maladies cardiovasculaires.

La décision de la Cour suprême de la C.-B. à propos de la certification

Le juge saisi de la demande de certification a conclu que celle-ci respectait les critères de la certification à tous les égards, et a certifié le recours précisant qu’il visait « [traduction] toutes les personnes au Canada qui ont obtenu une prescription [de sibutramine] et qui ont ingéré cette substance… ».

Parmi les diverses questions communes que le juge saisi de la demande a certifiées, l’on compte celle de savoir si la sibutramine provoque ou contribue à provoquer une crise cardiaque, un accident vasculaire cérébral ou de l’arythmie chez les patients canadiens qui ont obtenu sur ordonnance des médicaments contenant de la sibutramine, peu importe si ces patients souffraient déjà ou non de problèmes cardiovasculaires.

Les appelants ont interjeté appel de la décision de certification, alléguant que le juge saisi de la demande de certification avait erré en principe en certifiant la procédure. Les appelants ont fondé leur argument sur le fait que les demandeurs auraient omis de prouver l’existence d’une méthode établissant le lien de causalité à l’échelle du groupe.

La Cour d'appel de la C.-B. annule la certification

S'appuyant sur la trilogie de décisions rendues en 2013 par la Cour suprême du Canada mettant en jeu des acheteurs indirects1, la Cour d’appel de la C.-B. a réitéré le principe selon lequel un recours collectif ne devrait pas être certifié si le demandeur omet de présenter une méthode que la Cour pourrait utiliser pour répondre aux questions communes. À cet égard, la Cour a fait remarquer que la question du lien de causalité à l’échelle du groupe ne devrait pas être certifiée à titre de question commune si une méthode permettant de prouver ce lien de causalité relativement au recours dans son ensemble n’est pas présentée. La Cour a par la suite fait une distinction entre certains recours collectifs intentés dans le domaine pharmaceutique dans le cadre desquels le lien de causalité a été établi avec succès, la preuve démontrant la hausse généralisée du risque au sein du groupe découlant de l’utilisation du médicament en question, et la présente l’affaire, pour laquelle aucune donnée concernant la généralisation du risque n’est disponible.

En définitive, la Cour a conclu que l’absence de méthode démontrant le lien de causalité constituait un obstacle insurmontable :

[traduction] aucune méthode ne permet d’établir que le groupe, dans son ensemble, par opposition à ceux qui n’auraient pas dû obtenir une prescription de sibutramine compte tenu de leurs antécédents de maladies, a été touché ou courait un risque parce qu’il utilisait de la sibutramine. …

Même s’il est clair que les personnes souffrant d’une maladie cardiopulmonaire risquent davantage de subir un incident cardiaque néfaste, il ne s’agit pas d’une affaire dans laquelle les experts sont en désaccord sur le degré de risque, mais plutôt d’une affaire dans laquelle les experts ne savent pas vraiment si le groupe, dans son ensemble, court un risque ou non, et ils ne peuvent définir une méthode pour répondre à cette question.

Les questions communes en suspens sont liées au lien de causalité à l’échelle du groupe. Par conséquent, faute d’une méthode pratique permettant de définir le lien de causalité, la Cour a conclu que la certification ne devrait pas être accordée, et a annulé la certification accordée par le juge de première instance.

Fait à noter, en refusant la certification, la Cour d’appel de la C.-B. a aussi corrigé une incohérence apparente entre la décision du juge de première instance dans l’affaire Charlton et une procédure parallèle au Québec dans le cadre de laquelle la certification été refusée (mentionnons, toutefois, qu’il s’agit d’un régime juridique différent). En particulier, la Cour supérieure du Québec, après avoir examiné un dossier de preuve semblable à celui soumis dans l’affaire Charlton, a conclu, dans une décision rendue en 2012, que la preuve présentée par les demandeurs dans cette affaire ne respectait pas les critères devant être remplis pour obtenir l’autorisation d’exercer un recours collectif aux termes de l’article 1003 du Code de procédure civile du Québec.

Portée de la décision : une approche plus rigoureuse pour accorder la certification ?

La décision rendue en appel dans l’affaire Charlton confirme clairement les déclarations judiciaires récentes selon lesquelles les demandeurs dans un recours collectif ont le fardeau de prouver le lien de causalité à l’échelle du groupe. En particulier, cette affaire illustre le fait qu’on ne peut tout simplement supposer qu’un lien de causalité existe et que les demandeurs ne peuvent tout simplement soutenir qu’un produit pourrait, de façon abstraite, causer un préjudice à certains consommateurs. Les demandeurs doivent plutôt présenter une preuve, ou du moins une méthode pratique à l’étape de la certification, visant à convaincre le tribunal qu’il serait raisonnablement possible d’en arriver à la conclusion qu’il existe un lien de causalité à l’échelle du groupe.

De plus, l’affaire traduit la volonté accrue des tribunaux d’intervenir à l’étape de la certification lorsque le bien-fondé de la procédure est douteux. En particulier, tel que nous l’avons déjà mentionné dans un autre bulletin d'Actualités Osler, les tribunaux semblent délaisser l’application rigoureuse des critères de certification en faveur de l’examen de la procédure en général. Bien que l’objectif des critères de certification ne soit pas de vérifier le bien-fondé de l’action, la décision dans l’affaire Charlton démontre néanmoins l’importance cruciale que revêt la preuve, et ce, même à l’étape de la certification. Au lendemain de la décision de la Cour suprême du Canada confirmant que la procédure de certification constitue un « mécanisme de filtrage efficace», les tribunaux étudient maintenant minutieusement la relation entre la définition du groupe, les questions communes et la preuve soumise non seulement pour déterminer si oui ou non les critères de certification ont été remplis, mais aussi pour décider si oui ou non la demande de certification devrait être accueillie.


Pro-Sys Consultants Ltd. c. Microsoft Corporation, 2013 CSC 57 [Pro-Sys], Sun-Rype Products Limited c. Archer Daniels Midland Company, 2013 CSC 58 et Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, 2013 CSC 59.

2 Pro-Sys, supra, au para. 103.