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La Cour supérieure réaffirme la compétence exclusive fédérale en matière de télécommunication

Auteur(s) : Alexandre Fallon, François Laurin-Pratte

Le 28 août 2017

Dans cette actualité

Dans Vidéotron c. Ville de Gatineau, 2017 QCCS 3571, la Cour supérieure du Québec invalide une série de règlements adoptés par les villes de Gatineau et Terrebonne. Lesdits règlements visaient à la fois la gestion des interventions des entreprises de télécommunication sur le territoire de ces municipalités et l’imposition de frais pour ces interventions. Selon la Cour, ces règlements sont inconstitutionnels, puisque leur caractère véritable relève de la compétence du Parlement.

Contexte

La Loi sur les télécommunications adoptée par le Parlement permet aux entreprises de télécommunication d’accéder aux voies publiques sur le territoire des municipalités afin de construire, exploiter et entretenir les réseaux qu’elles exploitent. Or, ces interventions causent certains désagréments aux municipalités, tels que la dégradation de la chaussée, alors que celles-ci doivent composer avec l'essor des réseaux de télécommunication.

Dans ce contexte, la Loi sur les télécommunications prévoit que les entreprises de télécommunication doivent collaborer avec les municipalités et obtenir leur accord avant de procéder à une intervention sur leur territoire. En cas de mésentente, il appartient à un organisme de compétence fédérale, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (le CRTC), de trancher les modalités de l’intervention, incluant le partage des coûts.

En 2012 et 2013, Gatineau et Terrebonne, à l’instar d’autres villes insatisfaites, notamment, du partage des coûts découlant des interventions des entreprises de télécommunication, adoptent des règlements visant à gérer et tarifer ces interventions. Dès lors, plusieurs entreprises de télécommunication, soit Vidéotron, Cogeco, Rogers, Telus et Bell, intentent des procédures judiciaires afin de faire déclarer ces règlements constitutionnellement invalides, inapplicables et inopposables.

Motifs et conclusions

La Cour supérieure déclare les règlements en litige invalides. Bien que les municipalités défenderesses puissent légiférer pour la protection de la propriété, la sécurité publique et la gestion de leur territoire suivant l’article 92 (8), (13), (15) et (16) de la Loi constitutionnelle de 1867, elles ne peuvent légiférer dans le but de régir la planification, la construction, l’emplacement, l’entretien et le maintien en place des réseaux de télécommunication, ces matières relevant plutôt de la compétence du Parlement, conformément à l’article 92 (10) a) de la Loi constitutionnelle de 1867.

La Cour note que les règlements établissent un processus de demande d’intervention spécifique aux entreprises de télécommunication. Ce processus requiert le dépôt d’une demande par laquelle les entreprises doivent, entre autres, s’engager à payer les coûts liés à l'intervention projetée, selon ce que la municipalité détermine. Ces coûts incluent des frais de dégradation de la chaussée, des frais de contournement, de soutènement et d’entrave. Ce faisant, les règlements contournent le régime mis en place par le Parlement par l’adoption la Loi sur les télécommunications. Il empêche la négociation entre les entreprises et les municipalités, notamment quant au partage des coûts, et fixe ce qu’il appartient au CRTC de déterminer en cas de mésentente.

Outre les coûts, les règlements autorisent les municipalités à imposer leurs propres conditions à tout projet d’intervention, incluant l’échéancier et l’emplacement des travaux. Or, ce dernier élément est bien connu comme étant cœur de la compétence fédérale en matière de télécommunication. Les règlements vont donc bien au-delà d'un processus assurant la collecte d'information et la coordination entre les entreprises et les municipalités. Par ailleurs, la preuve ne révèle aucun problème relativement à la gestion des interventions des entreprises. Elle révèle plutôt l'insatisfaction des municipalités quant au processus prévu par la Loi sur les télécommunications et le partage des coûts.

En somme, la Cour conclut que le caractère véritable des règlements est de régir la planification, la construction, l’emplacement, l’entretien et le maintien en place des réseaux de télécommunication. Or, ces matières relèvent de la compétence du Parlement. En adoptant ces règlements, les défenderesses ont outrepassé leurs pouvoirs.

Commentaire

Par ce jugement, la Cour supérieure réitère la nécessité de protéger la compétence du Parlement en matière de télécommunication. Le jugement confirme qu'une municipalité ne peut, même de manière indirecte, légiférer de façon à contrôler les activités des entreprises de télécommunication et contourner la compétence du CRTC. La décision est conforme à la jurisprudence récente de la Cour suprême du Canada, dont le récent arrêt Rogers Communications Inc. c. Châteauguay (Ville), 2016 CSC 23. Rappelons que dans cette affaire, la Cour suprême a neutralisé la tentative d’une municipalité de contrôler l’emplacement des infrastructures de télécommunication par le biais d’avis de réserve.