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2019 Rétrospective de l’année juridique - Introduction

Auteur(s) : Jacqueline Code

Décembre 2019

Introduction

Alors que la deuxième décennie des années 2000 tire à sa fin, nous présentons, dans l’intérêt de nos clients et amis, ce que nous croyons être les développements juridiques les plus importants qui sont survenus au cours de la dernière année et qui sauront intéresser les entreprises. Certains de ces faits nouveaux n’en sont qu’à leurs balbutiements, ou viennent de se profiler à l’horizon.

Sociétés : fusions et acquisitions publiques, capital-investissement, exploitation minière, gouvernance et rémunération

En ce qui concerne les activités de fusions et acquisitions publiques, les offres publiques d’achat hostiles continuent d’être plus faibles que prévu. Les offres d’achat non sollicitées se font rares récemment, une tendance observée depuis l’instauration du délai minimal de dépôt de 105 jours et l’obligation de dépôt minimal de 50 % des titres, en mai 2016. Il n’est pas clair si les modifications apportées au régime d’offres publiques d’achat en 2016 sont la cause de cette baisse, mais elles pourraient  avoir joué un rôle. Parmi les autres facteurs, on pourrait compter une diminution du nombre de sociétés cotées en bourse et les défis économiques que présente le secteur des ressources naturelles.

Au cours de la dernière année, des offres d’achat restreintes (c.-à-d. des offres d’acquisition de moins de 20 % des actions d’une catégorie auprès d’un émetteur) ont été lancées par des actionnaires dissidents dans le but de perturber deux opérations de fusion et acquisition marquantes. Notons d’abord l’acquisition par Catalyst des actions de la Compagnie de la Baie d’Hudson moyennant une prime en vue de retirer la société de la cote, puis l’offre du Groupe Mach d’acquérir les actions de Transat dans le but de faire échouer l’acquisition de Transat par Air Canada. L’organisme de réglementation du Québec a ensuite établi que l’offre du Groupe Mach était abusive. Quoi qu’il en soit, lorsqu’elle est structurée adéquatement, une offre d’achat restreinte peut constituer une tactique légitime pour contester une opération ou pour tenter de gagner une course aux procurations.

Entre-temps, nous attendons l’issue de l’appel d’une décision d’un tribunal de première instance du Yukon dans Carlock v. ExxonMobil Canada Holdings ULC, qui a accordé aux actionnaires dissidents une prime de 43 % sur le prix négocié dans le cadre de l’acquisition d’InterOil par ExxonMobil en 2017. Si la décision du tribunal d’instance inférieure n’est pas annulée, nous pourrions voir davantage d’actionnaires exprimer leur dissidence à l’avenir.

Enfin, le recours à des ententes avec des courtiers démarcheurs au Canada, dans le cadre desquelles l’émetteur rémunère les courtiers en valeurs pour amener les porteurs de titres à voter en faveur de certaines mesures ou à les soutenir, a fait l’objet d’une Note d’orientation de l’OCRCVM. La Note d’orientation apporte enfin des éclaircissements sur l’utilisation d’ententes avec des courtiers démarcheurs dans le cadre d’offres publiques d’achat, de plans d’arrangement, de courses aux procurations et d’autres opérations assorties de divers types de rémunération de démarchage.   

Dans le domaine du capital-investissement, le niveau d’activité en 2019 au Canada est robuste, dépassant même le niveau de 2018 pour la même période. Les sociétés de capital-investissement ont participé à un éventail de placements privés et d’opérations de mobilisation de fonds. Un certain nombre de nouveaux placements ont permis de mobiliser des capitaux frais auprès de fonds offerts par de nouveaux gestionnaires. Les ententes de co-investissement sont demeurées attrayantes. Les exigences relatives à la divulgation accrue des frais et charges des fonds aux États-Unis sont devenues une préoccupation importante. Les investissements dans les infrastructures sont demeurés incontournables pour les investisseurs institutionnels. Les ententes ont été conclues rapidement, et les vendeurs ont de moins en moins d’obligations d’indemnisation qui demeurent en vigueur. Étant donné les niveaux de capital devant encore être déployés, le contexte se prête à une autre année bien remplie en 2020.

Dans le secteur minier, l’année 2019 a débuté par deux des plus grandes opérations de fusion et d’acquisition des dernières années au Canada : Barrick et Randgold, ainsi que Newmont et Goldcorp. Cependant, malgré ces solides débuts, l’incertitude économique à l’échelle mondiale persiste, et les investissements n’ont pas été élevés dans le secteur minier. En 2019, les financements publics se sont généralement limités à la mobilisation de capitaux auprès d’émetteurs producteurs ou des sociétés de redevances et de flux de métaux. Les sociétés d’exploration ont eu très peu d’occasions de financement. De plus, les opérations de fusion et d’acquisition à l’échelle mondiale ont connu une baisse importante par rapport aux années précédentes, et les fusions anticipées des sociétés de taille moyenne ne se sont pas concrétisées. Dans une conjoncture aussi difficile, il a souvent fallu faire preuve de créativité pour conclure des marchés. 

En 2019, certaines initiatives en matière de gouvernance d’entreprise au Canada ont progressé, en particulier celles concernant les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), notamment la divulgation en matière de mixité des conseils d’administration et de changements climatiques. La Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO) a publié son rapport tant attendu sur la réduction du fardeau réglementaire. Des changements aux États-Unis concernant la réglementation des agences de conseil en vote pourraient également entraîner un examen plus approfondi de cette question au Canada.

Plusieurs faits survenus en 2019 auront une forte incidence sur les pratiques de rémunération des dirigeants en 2020. On compte parmi eux le projet de modification de l’imposition des options d’achat d’actions, l’adoption de la Loi sur l’équité salariale à l’échelon fédéral, des modifications à la Loi canadienne sur les sociétés par actions (LCSA), les nouvelles règles américaines relatives à la divulgation des opérations de couverture et un examen des régimes d’aliénation de titres automatique.

Politiques publiques et réglementation

En ce qui concerne l’application de la réglementation sur les crimes économiques et les marchés financiers, l’Ontario a annoncé la création de son Bureau de la lutte contre la fraude grave, ainsi qu’une révision de sa Loi sur les valeurs mobilières. La Colombie-Britannique a annoncé l’ajout de nouveaux outils d’application de sa Securities Act. Le niveau d’activités d’application de la loi a été légèrement plus faible que l’an dernier, malgré une légère hausse des amendes et des sanctions administratives, et une forte augmentation des restitutions et des remises de sommes. Par contre, l’utilisation efficace des nouveaux « accords de réparation » a été menacée par les événements hautement médiatisés mettant en cause SNC-Lavalin. 

La réforme réglementaire des services financiers continue de se concentrer sur les pratiques du marché et la protection des consommateurs, dans le secteur des services financiers. Les décideurs politiques se sont employés à promouvoir non seulement les modifications législatives, mais aussi une importante réforme du cadre réglementaire et de l’approche de la réglementation. Deux nouveaux organismes de réglementation en Ontario et en Colombie-Britannique ont entrepris leurs activités, chacun ayant pour mandat de favoriser une réglementation efficace et uniforme, à l’échelle du Canada. Nous constatons une tendance à l’harmonisation de la réglementation entre les territoires de compétence, les prestataires de services financiers et les services et produits financiers.

Les priorités du nouveau commissaire de la concurrence, Matthew Boswell, commencent à se dessiner : l’application de la loi dans une économie numérique, ainsi que la détection et l’examen de fusions ne devant pas faire l’objet d’un avis. Le Tribunal de la concurrence a récemment confirmé dans l’affaire Vancouver Airport Authority que la justification commerciale de la conduite est la considération primordiale dans un cas d’abus de position dominante. Dans l’affaire Godfrey, la Cour suprême du Canada (CSC) a revu et rajusté les règles de base applicables à l’accès aux actions collectives des consommateurs au Canada qui cherchent à obtenir des dommages-intérêts pour préjudice anticoncurrentiel.

Des modifications à la Loi sur la construction de l’Ontario (auparavant, la Loi sur le privilège dans l’industrie de la construction) sont entrées en vigueur en octobre 2019, instaurant un régime de paiements rapides et d’arbitrage intérimaire obligatoire, en vue de réduire les délais de paiement dans la pyramide de la construction. L’industrie de l’aménagement en Ontario s’emploie à la révision des processus internes et à la reformulation des contrats afin de tenir compte des nouvelles règles, et devra faire face à des difficultés inévitables pendant un certain temps. Un nombre croissant d’autres territoires de compétence au Canada, y compris le gouvernement fédéral, suivent l’exemple de l’Ontario.

Dans un autre ordre d’idées, le Canada a finalement rempli sa promesse de moderniser son système d’enregistrement des droits de propriété intellectuelle (PI) en apportant des modifications clés à la Loi sur les marques de commerce, à la Loi sur les brevets et à leurs règlements respectifs. L’objectif du gouvernement est de rendre les investissements dans la propriété intellectuelle au Canada aussi concurrentiels et simples que faire se peut. Pour le gouvernement du Canada, la prochaine étape consistera à mettre en œuvre une ambitieuse stratégie expérimentale concernant la propriété intellectuelle. 

Le cannabis continue toujours de faire la manchette, des deux côtés de la frontière. Au Canada, ce marché nouvellement légalisé a fait face à certains obstacles, notamment des problèmes d’approvisionnement et de distribution au tout début. Les provinces et les territoires ont envisagé de hausser l’âge légal de consommation, et de modifier leurs modèles d’octroi de licences de vente au détail, de distribution et de vente en gros. Le gouvernement fédéral a, quant à lui, légalisé trois nouvelles catégories de cannabis : le cannabis comestible, l’extrait de cannabis et le cannabis pour usage topique. Des actions liées à la responsabilité du fait du produit et aux valeurs mobilières ont été intentées, à la suite d’événements indésirables prétendument liés au vapotage de produits illicites et à la baisse du cours des actions. Les activités de fusion et acquisition et la consolidation du marché devraient se poursuivre en 2020.

Aux États-Unis et sur le plan transfrontalier

Aux États-Unis, le cannabis est légal à des fins médicales aux termes des lois de plus de 30 États, et il est même légal à des fins récréatives pour les adultes dans plus de 10 États. Toutefois, le cannabis demeure illégal dans tous les États en vertu des lois fédérales. Le chanvre n’est plus illégal aux termes de la loi fédérale intitulée Controlled Substances Act, mais il peut être assujetti à la réglementation de la Food and Drug Administration fédérale. Nous suivons de près plusieurs initiatives législatives qui pourraient apporter plus d’éclaircissements sur cette question.

En 2019, la Securities and Exchange Commission des États-Unis a poursuivi ses efforts en vue de simplifier les obligations de divulgation des sociétés ouvertes. Les règles populaires qui permettent aux entreprises émergentes à forte croissance de « tâter le terrain » ont été rendues accessibles à toutes les entreprises, et l’attention a été attirée sur le rôle important des agences de conseil en vote dans le processus de vote par procuration aux États-Unis.

Des initiatives en vue d’une réforme fiscale internationale se sont poursuivies partout dans le monde. La Convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (l’IM) est entrée en vigueur au Canada. L’IM modifie de nombreuses conventions fiscales bilatérales auxquelles le Canada est partie. De plus, si elle est adoptée, une récente proposition de l’OCDE visant à modifier la façon dont les bénéfices mondiaux sont répartis entre les pays (« BEPS 2.0 ») étendrait les droits d’imposition attribués à la juridiction du marché (« Pilier 1 ») et établirait un taux minimum d’imposition auquel seraient assujetties les multinationales à l’échelle mondiale (« Pilier 2 »).

Litiges et affaires importantes

Des tensions croissantes entre les législateurs fédéraux et provinciaux relativement au pouvoir de réglementer l’environnement culminent dans deux procédures judiciaires. La demande de renvoi dans le dossier du pipeline de la Colombie-Britannique soulève des questions sur la portée des pouvoirs d’une province, à l’égard de la protection de l’environnement, dans la réglementation d’une entreprise fédérale (un pipeline interprovincial). En outre, alors que les provinces s’inquiètent des répercussions sur leurs économies du régime de tarification du carbone du gouvernement fédéral, les contestations de la taxe sur les émissions de carbone par certaines provinces visent à invalider le régime de tarification du carbone du gouvernement fédéral. Ces deux litiges seront soumis à la CSC en 2020.

La CSC a entendu ou autorisé les appels dans un certain nombre d’autres affaires qui pourraient avoir une forte incidence sur les entreprises canadiennes. Trois de ces dossiers portent sur la doctrine de l’exécution de bonne foi des contrats. D’autres affaires portent notamment sur les clauses d’arbitrage, l’application de la Charte canadienne des droits et libertés aux sociétés, et le caractère exécutoire des dispositions qui imposent des pénalités en cas d’insolvabilité d’une contrepartie contractante. Les dispositions applicables dans chacun de ces domaines pourraient être clarifiées par le plus haut tribunal canadien en 2020.

La décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Chevron Corporation v. Yaiguaje et al. a confirmé qu’en droit canadien, les critères permettant de ne pas prendre en compte la personnalité juridique distincte d’une société mère et de ses filiales directes ou indirectes sont très rigoureux. La Cour a rejeté les tentatives d’introduction au pays d’un critère équitable général pour lever le voile corporatif ou une forme de responsabilité d’entreprise collective. La décision de la CSC de ne pas entendre un appel de ce jugement a mis fin à une longue procédure canadienne visant la saisie des actifs d’une filiale indirecte aux fins d’exécution d’un jugement obtenu (frauduleusement) à l’encontre de sa société mère. Cela pourrait constituer de bonnes nouvelles pour les défendeurs, dans d’autres affaires en instance devant les tribunaux canadiens, qui cherchent à lever le voile corporatif afin de d’obliger un membre d’une famille d’entreprises de rendre compte des actes d’un autre.

Technologie, innovation et protection de la vie privée

La protection de la vie privée a continué d’être l’une des principales préoccupations des organismes de réglementation et des chefs d’entreprise. Les signalements de violation de données ont augmenté de façon exponentielle au cours de la première année de notification obligatoire en cas d’atteinte aux données, tout comme les efforts des entreprises pour élaborer des plans d’intervention en cas d’incident. Les organismes de réglementation réexaminent les mesures de protection de la vie privée dans le contexte de l’« ère numérique », alors que tous les ordres de gouvernement demandent une réforme de la réglementation. Les organismes de réglementation internationaux se sont engagés à renforcer la collaboration, confirmant qu’ils sont d’avis que la protection de la vie privée est un droit fondamental. En outre, la Californie est devenue l’un des premiers États à adopter sa propre loi sur la protection de la vie privée, ce qui a stimulé le lobbyisme en faveur d’un régime fédéral à cet égard aux États-Unis.

La mise au point et l’adoption de nouvelles technologies par des entreprises traditionnelles ont continué de s’accélérer dans de nombreux marchés verticaux. Les occasions d’innovation en matière d’intelligence artificielle (IA) et d’apprentissage automatisé, en particulier, continuent de croître, alimentant ainsi les débats sur la nécessité d’un cadre réglementaire pour veiller à l’utilisation éthique de l’IA. Par ailleurs, le caractère adéquat du régime canadien de protection de la vie privée dans ce contexte est examiné de près. Des alliances stratégiques se forment rapidement en vue de lancer de nouveaux produits et services, ce qui donne lieu à de nouvelles questions sur la façon de traiter convenablement la répartition des risques dans ces ententes novatrices. Dans le secteur des services financiers, des efforts sont déployés pour moderniser le système de paiement et aller de l’avant avec le système bancaire ouvert. Les clients des secteurs traditionnels comme l’immobilier et les infrastructures commencent à reconnaître et à saisir les occasions que présentent les nouvelles technologies. Cependant, l’intérêt à l’égard des chaînes de blocs publiques est en déclin.

Les cryptoactifs ont fait la manchette au Canada en 2019, mais pas toujours pour les bonnes raisons. Au début de l’année, la plateforme de négociation de cryptoactifs QuadrigaCX a fait faillite, laissant quelque 75 000 clients face à une perte collective potentielle de plus de 200 M$ CA. Une enquête a révélé l’absence totale de contrôles financiers, des détournements et des abus apparents d’actifs des clients et d’autres pratiques commerciales douteuses. Peu après, les organismes canadiens de réglementation des valeurs mobilières ont proposé un cadre pour réglementer les plateformes de négociation de cryptoactifs. En juillet 2019, le gouvernement fédéral a publié des règlements définitifs qui assujettiront les courtiers en monnaie virtuelle à la principale loi canadienne contre le blanchiment d’argent. En octobre 2019, un groupe d’experts de la CVMO a ordonné la délivrance d’un visa de prospectus pour The Bitcoin Fund, qui pourrait devenir le premier fonds de placement en bitcoins coté en bourse au monde.

D’autres questions importantes n’occupent pas une aussi grande place dans la publication de cette année que par les années passées, comme les changements climatiques et le commerce international, mais vous en entendrez certainement parler au cours de l’année qui vient.

Compte tenu de tous ces développements, l’année 2020 devrait être riche en événements. Nous suivrons de près l’évolution de la situation et nous serons ravis d’aborder ces sujets avec vous.