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La Cour d’appel de l’Ontario met un frein aux clauses d’arbitrage

Auteur(s) : Summer Danakas, Steven Dickie, Laura Fric, Allan Wells

Le 31 janvier 2019

Une récente décision de la Cour d’appel de l’Ontario concernant Uber remet en cause le caractère exécutoire de certaines clauses d’arbitrage dans les contrats de travail (et dans les contrats avec des entrepreneurs indépendants) et potentiellement dans les contrats de consommation ou d’autres types de contrats. La Cour a jugé que la clause d’arbitrage en litige était non valide, car non conforme à la loi et à l’équité, en partie parce qu’elle obligeait les chauffeurs d’Uber à soumettre leur arbitrage aux Pays-Bas, même dans le cas de petites créances.

Les employeurs qui souhaitent résoudre leurs différends en matière d’emploi, aux termes de clauses d’arbitrage, dans le cadre d’un processus confidentiel, devraient revoir leurs contrats à la lumière de cette décision — des suggestions particulières figurent ci-dessous. Les conventions d’arbitrage qui ne prévoient pas de processus et de recours accessibles et efficaces ne sauront pas faire échec à un recours collectif.

Contexte

Dans la cause Heller v. Uber Technologies Inc., 2019 ONCA 1 (en anglais seulement), un chauffeur d’Uber, M. Heller, a entamé un recours collectif au nom de tous les chauffeurs qui ont travaillé sur la plateforme d’Uber en Ontario depuis 2012. M. Heller demandait un jugement déclaratoire selon lequel les chauffeurs en Ontario sont des employés d’Uber et, par conséquent, ont droit aux protections offertes par la Loi de 2000 sur les normes d’emploi (la LNE).

Uber a présenté une requête en suspension du recours collectif, au motif que M. Heller était lié par une clause d’arbitrage stipulée dans le contrat de service d’Uber qu’il avait signé, clause à laquelle tous les chauffeurs doivent souscrire avant de pouvoir offrir leurs services sur la plateforme d’Uber. Cette clause stipule, entre autres, que tout différend découlant du contrat de service doit faire l’objet d’une audience d’arbitrage devant être tenue aux Pays-Bas et que le chauffeur doit simultanément débourser un droit de dépôt de 14 500 $. Le juge appelé à décider de la requête a validé la clause d’arbitrage et accueilli la requête en suspension du recours collectif. La Cour d’appel a infirmé cette décision et a jugé que la clause d’arbitrage est invalide et inexécutoire en se fondant sur deux motifs : 1) la clause soustrait le contrat à l’application de la LNE, et 2) elle est inéquitable en vertu de la common law.

Contournement de la LNE

L’article 5 de la LNE interdit aux parties de se soustraire aux normes d’emploi. La Cour d’appel a indiqué qu’une requête préliminaire présentée dans le cadre d’un tel recours doit être décidée en tenant pour acquise la véracité des allégations du demandeur, ou à tout le moins qu’elles sont susceptibles d’être prouvées. Partant de cette prémisse, la Cour d’appel a conclu que si les chauffeurs d’Uber étaient des employés d’Uber, ils seraient protégés par la LNE, qui donne aux employés le droit de déposer une plainte auprès du ministère du Travail qui doit à son tour enquêter sur la plainte.

La Cour d’appel a jugé ce qui suit :

  • le processus d’enquête prescrit par la LNE est une « exigence » qui « s’applique à un employeur et qui bénéficie à un employé » et, par conséquent, il répond à la définition d’une « norme d’emploi » de la LNE; et
  • la clause d’arbitrage est non valide, car elle a pour effet de soustraire le contrat de service à cette norme d’emploi, en retirant aux chauffeurs le droit de déposer une plainte auprès du ministère du Travail.

Iniquité

La Cour d’appel a également conclu à l’invalidité de la clause d’arbitrage au motif qu’elle remplit les quatre critères associés au caractère inéquitable : 1) une opération manifestement inéquitable et injuste; 2) une partie n’a pas obtenu l’avis d’un professionnel indépendant, juridique ou autre; 3) le pouvoir de négociation écrasant de l’autre partie; et 4) l’autre partie profite sciemment de la vulnérabilité de la première partie. En appliquant ces quatre critères, la Cour d’appel a conclu ce qui suit :

  1. la clause d’arbitrage est un marché inéquitable, car elle oblige un chauffeur souhaitant présenter une réclamation minime à engager des frais d’arbitrage initiaux considérables, dans le territoire d’origine d’Uber aux Pays-Bas, en vertu des lois des Pays-Bas;
  2. rien ne démontre que M. Heller a obtenu des conseils professionnels, juridiques ou autres, avant de conclure le contrat de service et il est raisonnable de croire qu’il n’avait pas le pouvoir de négocier les modalités du contrat;
  3. il existe une importante inégalité de pouvoir de négociation entre M. Heller et Uber; et
  4. Uber a sciemment et intentionnellement stipulé une clause d’arbitrage qui l’avantageait au détriment de chauffeurs manifestement vulnérables face à Uber.

Quelle incidence cette décision a-t-elle sur les parties liées par des clauses d’arbitrage?

Les clauses d’arbitrage stipulées dans les contrats de travail, lesquelles n’autorisent pas les employés de l’Ontario à déposer une plainte auprès du ministère du Travail relative à des infractions à la LNE sont potentiellement inexécutoires. Les employeurs devraient donc envisager de modifier sans délai leurs clauses d’arbitrage de manière à ne pas priver un employé de ses recours en vertu des lois sur les normes d’emploi.

Ainsi, les sociétés devraient y inclure les caractéristiques suivantes :

  • le processus d’arbitrage devrait être assujetti aux lois du territoire dans lequel les services sont fournis;
  • les audiences d’arbitrage devraient se tenir dans le territoire dans lequel les services sont fournis;
  • l’employeur devrait assumer le droit de dépôt initial;
  • l’employé devrait avoir une possibilité raisonnable d’obtenir un avis juridique indépendant avant de conclure le contrat de service;

Enfin, la décision de la Cour d’annuler la clause d’arbitrage d’Uber aux motifs qu’elle est abusive a des répercussions potentielles qui débordent le contexte du recours collectif et des contrats de travail conclus avec des employés ou des entrepreneurs indépendants. La Cour a conclu qu’une clause d’arbitrage sera exécutoire s’il existe une véritable procédure de règlement des différends. Une clause d’arbitrage stipulée dans un contrat de consommation, de services ou autre, qui ne prévoit pas de processus et de recours accessibles et efficaces ne saura pas faire échec à un recours collectif.