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La Cour fédérale invalide le brevet sur la posologie du tadalafil concluant que le choix des doses est une tâche courante

Auteur(s) : J. Bradley White, Nathaniel Lipkus, Lillian Wallace

Le 11 septembre, 2020

Le 6 août 2020, la Cour fédérale a rendu sa décision dans l’affaire Eli Lilly Canada Inc. c. Mylan Pharmaceuticals ULC, 2020 CF 816, invalidant le brevet d’Eli Lilly, le brevet canadien no 2 371 684 (le brevet 684) visant les faibles doses de tadalafil, aux motifs de l’antériorité et de l’évidence. La décision était une grande victoire pour le client de longue date d’Osler, Mylan Pharmaceuticals ULC (Mylan), et elle fait suite à plusieurs poursuites qui ont été réunies en un seul procès sur l’invalidité et qui concernent Eli Lilly et les entreprises de produits génériques Mylan, Apotex, Teva, Pharmascience et Riva. Mylan avait réussi précédemment relativement au brevet 684 dans une poursuite en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (Eli Lilly Canada Inc. c. Mylan Pharmaceuticals ULC, 2015 CF 125).

Contexte relatif au brevet de posologie d’Eli Lilly

Le brevet 684 vise les compositions comprenant des doses de 1 à 20 mg de tadalafil pour traiter la dysfonction érectile. Le brevet 684 fait suite à deux brevets précédents, le premier vise le composé de tadalafil en soi et le deuxième vise son utilisation pour traiter la dysfonction érectile. Eli Lilly soutenait que les doses de 1 à 20 mg étaient étonnamment efficaces et que les effets secondaires étaient réduits, en particulier compte tenu des doses offertes sur le marché de 50 et de 100 mg pour le produit de première classe, Viagra (sildénafil).

À la suite de ces procédures en vertu du Règlement AC, qui ont échoué, Eli Lilly a déposé des allégations de contrefaçon de brevet contre de nombreux produits génériques, demandant des dommages-intérêts importants auprès de tous les défendeurs. Au procès, Eli Lilly a soutenu que le brevet 684 était un brevet de sélection, dont les doses revendiquées avaient un profil d’effets secondaires supérieur aux doses plus élevées, et qu’il présentait des preuves détaillées de la saga sur la mise au point de médicaments qui a mené aux doses revendiquées. Cette preuve, provenant de deux entreprises qui ont précédé Eli Lilly dans la mise au point du tadalafil (Glaxo et ICOS), visait à prouver que les preuves précliniques et les premiers essais cliniques indiquaient des doses supérieures et que des questions importantes sur la sécurité ont été soulevées, qui étaient contre la mise au point du médicament de façon générale, et de ces doses en particulier.

Bien qu’en fin de compte il a été conclu que la nouvelle preuve d’Eli Lilly n’était pas convaincante, cette preuve était suffisante pour faire en sorte que la juge du procès examine la question de nouveau. Elle a conclu qu’Eli Lilly ne pouvait pas remettre en litige les conclusions de la décision prise en vertu du Règlement AC.

Aucun brevet de sélection dans les cas où les avantages allégués ne sont pas uniques

Eli Lilly soutenait que le brevet 684 était un brevet de sélection fondé principalement sur la réduction des rougeurs au visage vécue par les patients qui prenaient de faibles doses de tadalafil comparativement au sildénafil. La juge du procès a décrit cet avis comme une [traduction] « cible mouvante » pendant le procès, et ce, même jusqu’à l’argumentation orale.

Le tribunal n’a pas été convaincu par la revendication de brevet de sélection d’Eli Lilly, puisque l’avantage consistant à avoir moins de rougeurs n’était pas propre aux doses revendiquées, comme l’exige le critère de brevet de sélection prévu dans l’arrêt In re Farbenindustrie AG’s Patents (1930), 47 R.P.C. 289 (ChD). Même aux doses mesurées les plus élevées, les patients qui ont pris du tadalafil ont eu moins de rougeurs au visage, et cet avantage était assez clair avec des doses dépassant 20 mg. De plus, le brevet ou les revendications ne visaient pas à réduire ou à éliminer les rougeurs au visage, et cette réduction ou élimination n’était pas précisément décrite comme l’invention dans la communication du brevet 684.

Revendications interprétées fidèlement par rapport à leur libellé

Le tribunal a dû régler un différend important sur l’interprétation des revendications – à savoir si les allégations étaient interprétées en tenant compte d’une limite d’une dose par jour. Eli Lilly a essayé d’utiliser cet argument d’interprétation de revendication pour insérer graduellement un avantage relatif aux effets secondaires dans les revendications.

Le tribunal a reçu des preuves d’expert sur cette question. Il a été conclu que l’expert d’Eli Lilly manquait de crédibilité puisque son rapport ressemblait grandement à un rapport qu’il avait présenté dans un litige aux États-Unis, dans lequel, contrairement aux revendications en litige au Canada, le libellé de la revendication incluait expressément une dose quotidienne maximale. La juge du procès a indiqué qu’elle [traduction] « n’était pas convaincue que [le témoin] avait pleinement examiné les questions et les notions en jeu dans ce litige précis » et par conséquent, elle a accordé moins d’importance à son avis. Le tribunal a préféré la preuve de l’expert des défendeurs, qui soulignait le libellé des revendications, que le tribunal a trouvé clair.

La gamme posologique plus restrictive avait été anticipée par la vaste gamme

Suivant l’interprétation de la revendication de la précédente instance en vertu du Règlement AC, la juge du procès a conclu que les revendications avaient été envisagées par un précédent brevet sur le tadalafil visant l’utilisation du tadalafil dans le traitement de la dysfonction érectile. Le précédent brevet avait communiqué une gamme posologique pour le tadalafil, plus vaste que la gamme posologique revendiquée dans le brevet 684. Bien qu’Eli Lilly ait soutenu que le précédent brevet ne fournissait pas assez d’enseignements sur la posologie et indiquait de faibles doses, le tribunal a conclu que les faibles doses avaient été communiquées.

En concluant que le précédent brevet permettait à une personne versée dans l’art d’arriver à de faibles doses en utilisant seulement des essais courants, le tribunal a privilégié l’une des témoins expertes des défendeurs qui avait été mal informée. L’art antérieur du brevet 684 avait été fourni à la témoin et elle avait sélectionné des renseignements préliminaires relatifs à la mise au point du tadalafil qu’elle considérait comme courants, mais elle ne connaissait pas le brevet 684 ni les doses de tadalafil offertes sur le marché (c.-à-d., elle avait été « mal informée »). La juge du procès a conclu que la témoin était directe et intéressante et qu’elle semblait indépendante, honnête et minutieuse. Sa preuve reposait sur le fait qu’elle estimait que le choix des doses est une tâche pharmaceutique courante effectuée sans trop de difficultés et qu’une équipe versée dans l’art n’éprouverait aucune difficulté à déterminer la dose minimale efficace pour traiter une dysfonction érectile chez l’homme.

Il a été conclu qu’il est évident que le choix des doses est une activité courante

En examinant l’évidence, le tribunal a répété ce qui a été dit dans des décisions récentes : définir l’idée originale de la revendication équivaut à définir l’objet des revendications. Sur cette base, l’évidence a été évaluée en fonction de l’interprétation de la revendication par le tribunal.

Le tribunal n’a pas tenu compte des arguments d’Eli Lilly selon lesquels les premiers efforts de mise au point déployés par Glaxo ont révélé de sérieux problèmes de sécurité avec le tadalafil. Le tribunal a conclu que ces questions ont été traitées de façon assez habile et que les études sur les humains se poursuivaient sans entrave en Europe même si elles avaient été temporairement suspendues aux États-Unis. L’argument d’Eli Lilly selon lequel Glaxo se concentrait uniquement sur les doses élevées a été contredit par des documents indiquant que Glaxo savait que de faibles doses de quelque 10 mg étaient efficaces.

Le tribunal a conclu que les doses revendiquées étaient évidentes. L’équipe versée dans l’art qui essaie de trouver une dose pour le tadalafil commencerait le processus à l’aide des renseignements contenus dans l’art antérieur des brevets de tadalafil et des renseignements comparatifs sur le sildénafil. L’équipe versée dans l’art ferait une prédiction approximative de la dose dans la gamme posologique communiquée préalablement. Puis, en utilisant tous les renseignements disponibles dans l’art antérieur, l’équipe versée dans l’art réaliserait une étude sur la gamme posologique de la phase II, élaborerait un graphique sur les réponses aux doses, définirait les effets secondaires et sélectionnerait la gamme posologique qui offre un équilibre parfait entre la sécurité, l’efficacité et la tolérance. Si une première étude de la phase II ne permettait pas de dessiner une courbe complète des réponses aux doses, une deuxième étude pourrait être menée. Tout ce travail comportait des techniques d’essai connues et courantes.

Les témoins experts d’Eli Lilly ont accordé moins d’importance en raison de problème d’inattention et d’impartialité

De façon générale, la juge du procès a conclu que les témoins des défendeurs, et en particulier leurs témoins experts, étaient plus crédibles que ceux d’Eli Lilly.

Comme il a été mentionné plus haut, la juge du procès a accordé moins d’importance à l’un des témoins d’Eli Lilly, le Dr Hartmut Derendorf, en raison du fait que son rapport ressemblait grandement à un rapport d’expert américain, malgré le fait que les brevets canadiens et américains ont des revendications de brevet très différentes. La juge du procès a indiqué que [traduction] « de nombreuses coquilles et erreurs dans le libellé du brevet américain ont été reproduites dans le rapport canadien. » Elle a également indiqué que [traduction] « ces circonstances jettent une ombre sur le rapport et l’avis du Dr Derendorf relativement au brevet 684. »

Un deuxième témoin d’Eli Lilly a été mis à l’écart en raison de problèmes d’impartialité précis.

Les défendeurs se sont opposés à l’expert en urologie d’Eli Lilly, le Dr Gerald Brock, puisqu’il était tellement partial qu’il ne pouvait même pas remplir son devoir le plus simple d’aider le tribunal en lui fournissant une déposition d’expert impartial et indépendant.

La juge du procès a précisé que d’être un conseiller et être rémunéré par l’industrie pharmaceutique ne rend pas une personne inadmissible. Toutefois, pour le Dr Brock, le problème de partialité était généralisé puisqu’il a admis, en contre-interrogatoire, avoir changé l’avis qu’il avait précédemment formulé pour soutenir les autres brevets de tadalafil d’Eli Lilly et un brevet de sildénafil de Pfizer. Ses contradictions se rapportaient à des domaines qui étaient avantageux pour Eli Lilly, et il a été conclu que ses explications pour cette preuve contradictoire n’étaient pas convaincantes.

Observations finales

Eli Lilly a intenté de longues poursuites partout dans le monde relativement à son médicament à succès, Cialis. Cette dernière décision dans la saga canadienne sur le brevet du tadalafil envoie un message clair selon lequel les brevets visant le choix des doses seront difficiles à justifier. La décision suit la tendance récente des tribunaux à mettre l’accent sur le libellé des revendications pour interpréter les revendications et évaluer l’invalidité. La décision souligne également l’importance des témoins experts, y compris le fait de veiller à l’impartialité des experts et de choisir les preuves d’expert qui aideront le plus le tribunal.

Les auteurs de cet article ont représenté la défenderesse Mylan Pharmaceuticals ULC dans Eli Lilly Canada Inc. c. Mylan Pharmaceuticals ULC, 2020 CF 816. La décision peut faire l’objet d’un appel.

Si vous avez des questions sur cette affaire ou sur d’autres sujets, veuillez communiquer avec J. Bradley White à l’adresse bwhite@osler.com ou avec Nathaniel Lipkus à l’adresse nlipkus@osler.com.