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Le gouvernement fédéral publie un avant-projet de loi concernant la taxe sur les services numériques.

Auteur(s) : Gregory Wylie, Ilana Ludwin

Le 21 décembre 2021

Dans ce bulletin d’actualités :

  • L’avant-projet de loi concernant la taxe sur les services numériques (TSN) proposée a été publié le 14 décembre 2021.
  • En principe, la TSN ne s’appliquera pas si un accord multilatéral dans le cadre du premier pilier est conclu d’ici la fin de 2023.
  • La TSN s’appliquera à un taux de 3 % sur les revenus de source canadienne relatifs aux services numériques supérieurs à 20 millions de dollars gagnés par une entité individuelle ou un groupe consolidé dont le chiffre d’affaires mondial s’élève à au moins 750 millions d’euros.
  • Tout contribuable qui a un revenu canadien de services numériques au cours d’une année civile et qui satisfait ou fait partie d’un groupe consolidé qui, au cours de cette année ou de toute année civile antérieure à 2022 i) satisfait au seuil requis de 750 millions d’euros de chiffre d’affaires mondial et ii) gagne un revenu canadien de services numériques d’au moins 10 millions de dollars devra s’inscrire au titre de la TSN.
  • Un groupe consolidé peut désigner un membre constitutif chargé de se conformer aux obligations au titre de la TSN au nom de tous les contribuables du groupe.
  • La TSN ne deviendra payable par un contribuable pour la première fois qu’au milieu de 2025, mais ce premier paiement portera sur le revenu canadien de services numériques gagné au cours des années civiles 2022 à 2024.

Le 14 décembre 2021, le gouvernement fédéral a publié un avant-projet de loi visant à instaurer une taxe sur les services numériques (TSN). La TSN avait été proposée à l’origine dans le budget fédéral de 2021. Comme cela est expliqué dans le budget de 2021, la TSN est destinée à s’appliquer au Canada uniquement jusqu’à la conclusion d’un accord multilatéral sur la taxation des services numériques. Dans sa Mise à jour économique et budgétaire de 2021, également déposée le 14 décembre 2021, le gouvernement fédéral réitère son intention de n’imposer la TSN qu’en attendant l’entrée en vigueur d’un accord multilatéral.

Le Canada s’attend à ce que sa collaboration avec l’OCDE, le G20 et les membres du Cadre inclusif permette d’en arriver à un consensus sur un nouveau droit d’imposition aux termes des propositions du Pilier Un de l’OCDE pour les pays où des multinationales offrent des services numériques et certains autres services aux consommateurs. Un accord commun sur les premier et deuxième piliers a été conclu par 137 pays à l’automne 2021.

En principe, la TSN canadienne ne s’appliquera pas si un accord multilatéral dans le cadre du premier pilier est conclu d’ici la fin de 2023. Le gouvernement fédéral a élaboré l’avant-projet de loi sur le TSN comme une solution de rechange si aucun un tel accord n’est conclu. L’avant-projet de Loi de la taxe sur les services numériques (la « LTSN ») est une loi indépendante régissant le calcul et l’imposition de la TSN, y compris toutes les dispositions nécessaires aux fins de contrôle d’application, de cotisation, de perception et d’autres mesures administratives. La TSN n’entrera pas en vigueur avant le 1er janvier 2024 – toutefois, si elle entre en vigueur, la TSN s’appliquera aux revenus canadiens de services numériques gagnés à compter du 1er janvier 2022, comme cela avait été proposé dans le budget fédéral de 2021.

Structure de la TSN

L’avant-projet de loi confirme la proposition figurant dans le budget de 2021 selon laquelle la TSN sera une taxe de 3 % sur le revenu canadien de services numériques imposable d’un contribuable qui excède 20 millions de dollars au cours d’une année civile donnée. Les contribuables incluent les fiducies, les sociétés de personnes, les sociétés et tout autre groupement de personnes, à l’exclusion des particuliers et des sociétés de la Couronne. La TSN s’applique à la fois aux entités individuelles et aux groupes consolidés, c’est-à-dire deux entités ou plus qui sont tenues d’établir des états financiers consolidés à des fins d’information financière selon des principes comptables acceptables, ou qui seraient tenues de le faire si des participations dans l’une d’elles étaient cotées sur une bourse de valeurs accessible au public. La TSN s’appliquera au cours d’une année civile à une entité individuelle ou aux membres d’un groupe consolidé qui, au cours d’une année civile antérieure, mais pas avant 2022, a un revenu mondial d’au moins 750 millions d’euros et, au cours de l’année civile en question, a un revenu canadien de services numériques provenant d’utilisateurs canadiens supérieur à 20 millions de dollars. Le montant du revenu est déterminé à partir de celui indiqué dans les états financiers établis selon des principes comptables acceptables (p. ex., IFRS), ou qui auraient été établis selon les IFRS en l’absence de tels états financiers.

Le revenu canadien de services numériques est défini comme étant le revenu provenant de quatre catégories d’activités : Le revenu provenant de chaque catégorie est calculé à l’aide d’une formule tenant compte de la proportion d’utilisateurs situés au Canada par rapport aux utilisateurs situés à l’extérieur du Canada (déterminée à partir des données des utilisateurs comme l’adresse de facturation, de livraison ou d’expédition, le numéro de téléphone et les autres renseignements disponibles).

  • Services d’un marché en ligne : revenu provenant de la fourniture de l’accès au marché en ligne ou de l’octroi de son utilisation, des frais de commission et d’autres frais relatifs à la facilitation d’une fourniture entre des utilisateurs (ainsi que les services accessoires à cette fourniture), de la fourniture de services supérieurs, de traitement préférentiel ou de toute autre amélioration optionnelle, ainsi que d’autres sources visées par règlement. Cette catégorie ne comprend pas le revenu provenant de la fourniture de services de stockage ou d’expédition à un taux raisonnable de rémunération.
  • Services de publicité en ligne : revenu provenant de la facilitation du placement ou de la fourniture d’une publicité en ligne ciblée, plus les autres sources visées par règlement.
  • Services de médias sociaux : revenu provenant de la fourniture d’accès à des plateformes de médias sociaux ou de l’octroi de leur utilisation, de services supérieurs et d’autres améliorations fonctionnelles, de la facilitation d’une interaction entre des utilisateurs ou entre des utilisateurs et du contenu généré par un utilisateur, et d’autres sources visées par règlement. Cette catégorie n’inclut pas le revenu provenant de la fourniture de services de communication privés si la plateforme a pour unique but de fournir ces services.
  • Données d’utilisateurs : revenu provenant de la vente de données d’utilisateurs recueillies auprès de l’une des trois catégories de sources de revenus susmentionnées, ou de l’octroi de l’accès à de telles données, ainsi que d’autres sources visées par règlement.

Les quatre catégories sont mutuellement exclusives : aux termes de leur définition respective, le revenu provenant des services de publicité en ligne exclut le revenu provenant des services d’un marché en ligne, le revenu provenant des services de médias sociaux exclut les deux premières catégories et le revenu provenant des données d’utilisateurs exclut les trois premières catégories. Les quatre catégories excluent généralement les paiements effectués à l’intérieur d’un groupe. Lorsqu’un membre d’un groupe fournit les données d’utilisateurs et le service pertinents et qu’un autre membre du groupe gagne le revenu, celui qui gagne le revenu est réputé avoir fourni les données d’utilisateurs ou le service.

Le revenu canadien de services numériques imposable est le montant total du revenu canadien de services numériques moins, généralement, 20 millions de dollars. L’exclusion de 20 millions de dollars est répartie entre les membres d’un groupe consolidé en fonction de la proportion du revenu canadien de services numériques du groupe gagnée par chacun d’eux.

Date d’entrée en vigueur prévue

La date d’entrée en vigueur de la LTSN la plus rapprochée est le 1er janvier 2024. Toutefois, sans égard à sa date d’entrée en vigueur, la TSN s’appliquera à tout revenu canadien de services numériques imposable gagné à compter du 1er janvier 2022 (en supposant que les conditions relatives aux revenus de 750 millions d’euros et de 20 millions de dollars sont satisfaites). Le report de l’entrée en vigueur s’explique par la préférence accordée par le gouvernement à une approche multilatérale de la taxation des services numériques plutôt qu’à la TSN nationale.

Une fois la LTSN en vigueur, un contribuable devra présenter une demande d’inscription en vertu de cette loi au plus tard le 31 janvier de l’année suivant l’année civile, qui ne peut pas être antérieure à 2022, au cours de laquelle il gagne un revenu canadien de services numériques, dans la mesure où lui ou son groupe consolidé satisfait à l’exigence d’avoir un revenu mondial d’au moins 750 millions d’euros et où le contribuable a un revenu canadien de services numériques supérieur à 10 millions de dollars (soit la moitié du montant admissible). Le ministre du Revenu national (le « ministre ») peut aussi inscrire unilatéralement tout contribuable après lui en avoir donné avis, sauf si le contribuable convainc le ministre qu’il n’est pas tenu de présenter une telle demande d’inscription.

Le contribuable doit produire une déclaration en vertu de la LTSN pour une année civile donnée et payer tout montant dû à ce titre au plus tard le 30 juin de l’année civile suivante s’il gagne un revenu canadien de services numériques au cours de l’année civile donnée et s’il remplit les conditions concernant le revenu du groupe de 750 millions d’euros et le revenu canadien de services numériques de 20 millions de dollars relativement à la même année civile.

Un membre constitutif d’un groupe consolidé peut choisir de désigner un autre membre constitutif pour que ce dernier le représente aux fins de la TSN. Le membre désigné agit alors au nom des contribuables qui ont choisi de le désigner aux fins de la TSN. Toutefois, il n’est pas certain qu’une telle désignation puisse permettre de produire une déclaration consolidée. Les membres d’un groupe sont solidairement responsables de payer la TSN due par les autres membres du groupe.

Règles administratives

La LTSN prévoit des règles applicables aux cotisations, aux appels, aux audits, au recouvrement, au contrôle de l’application, aux pénalités, aux infractions et à tous les autres aspects de l’administration de la LTSN. Elle contient également une disposition anti-évitement semblable à la règle générale anti-évitement de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) (LIR). La règle anti-évitement de la LTSN a pour effet de supprimer l’avantage fiscal qui découlerait d’une opération d’évitement ou d’une série d’opérations dont cette opération fait partie si l’opération d’évitement entraînait un abus dans l’application de la LTSN, de son règlement d’application ou de tout autre texte législatif pertinent.

En termes généraux, les dispositions administratives de la LTSN sont très semblables à celles de la LIR. Certaines différences notables s’expliquent par le fait que la TSN pourrait s’appliquer à des entités non résidentes n’ayant au Canada qu’une présence physique limitée, voire aucune, ce qui pourrait poser certaines difficultés pour la perception et le contrôle de l’application de la loi. En particulier, le ministre peut établir une cotisation à l’égard d’un membre constitutif d’un groupe consolidé concernant une taxe dont est redevable tout autre membre constitutif du groupe, aux termes de laquelle chacun de ces membres devient solidairement responsable de payer le montant visé par la cotisation. Le délai de prescription général applicable aux nouvelles cotisations pour une année civile donnée est de sept ans à compter de la date de production de la déclaration requise pour la période en question. La durée générale de la période de conservation des registres exigés est de huit ans, comparativement à dix ans pour la LIR (en supposant que le contribuable a produit la déclaration requise).

Fait intéressant, la LTSN prévoit une nouvelle règle selon laquelle lorsqu’un contribuable a interjeté appel devant la Cour canadienne de l’impôt, le gouvernement peut s’adresser à la Cour pour lui demander de lui accorder un montant supplémentaire ne dépassant pas 10 % de toute somme en litige si la Cour est d’avis 1) qu’à l’égard de cette somme, « l’appel n’était pas raisonnablement fondé », et 2) que la raison pour laquelle l’appel a été interjeté était de reporter le paiement d’un montant payable en vertu de la LTSN.

Conclusion

À n’en pas douter, de nombreux défis devront être relevés sur le plan tant de l’administration que du contrôle de l’application de la LTSN. Les contribuables dont la période d’exercice ne correspond pas à l’année civile feront face à certaines embûches, notamment pour le calcul et la déclaration de leur revenu. Les modalités pratiques utilisées pour déterminer quels utilisateurs sont situés au Canada ou à l’extérieur du Canada – et le fardeau de la preuve qui s’y rapporte en cas d’audit ou d’établissement d’une nouvelle cotisation – poseront vraisemblablement plusieurs difficultés. Enfin, il existe un risque élevé que les TSN imposées à l’échelle nationale par différents pays se chevauchent et donnent lieu à une double imposition. À l’inverse, le gouvernement pourrait éprouver lui-même des difficultés de perception de la TSN auprès de certains contribuables compte tenu de la « revenue rule » selon laquelle les tribunaux d’un pays refusent de faire exécuter les demandes de paiement de dette fiscale émanant de pays étrangers. Ces défis tiennent tous au fait que la TSN est plutôt vue par le gouvernement fédéral comme une solution provisoire dans l’attente d’une issue multilatérale plus appropriée du processus de concertation de l’OCDE.