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La nouvelle Loi sur les préjudices en ligne (C-63) du Canada : ce qu’il faut savoir

Auteur(s) : John Salloum, Michael Fekete, Christopher Naudie, Maryna Polataiko, Lipi Mishra, Alannah Safnuk, Gemma Devir

Le 1 mars 2024

Se joignant à la tendance mondiale croissante vers la réglementation des médias sociaux, le gouvernement du Canada a présenté, le 26 février, son projet de loi C-63 sur les préjudices en ligne, qui était attendu depuis longtemps. Le projet de loi propose de créer une nouvelle loi, la Loi sur les préjudices en ligne (la LPL ou la Loi), et de modifier d’autres lois existantes, dont le Code criminel et la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Loi sur les préjudices en ligne

La LPL imposerait aux plateformes de médias sociaux trois grandes obligations, à savoir :

  • l’obligation d’agir de manière responsable en mettant en œuvre des mesures adéquates pour atténuer le risque que des utilisateurs soient exposés à du contenu préjudiciable
  • l’obligation de protéger les enfants en intégrant des caractéristiques de conception relatives à la protection des enfants
  • l’obligation de rendre inaccessibles, dans un délai de 24 heures, les images intimes distribuées de manière non consensuelle (IIDNC) et le matériel d’abus pédosexuels (MAPS)

Le nouveau cadre constituerait la Commission canadienne de la sécurité numérique, chargée d’assurer l’exécution et le contrôle d’application de la Loi, l’ombudsman canadien de la sécurité numérique, chargé de fournir du soutien aux utilisateurs de médias sociaux et de défendre l’intérêt public en ce qui concerne la sécurité en ligne, et le Bureau canadien de la sécurité numérique, chargé de soutenir la Commission et l’ombudsman.

Services de médias sociaux, de contenu pour adultes et de diffusion en direct

Les services réglementés comprennent les services de médias sociaux, les services de contenu pour adultes et les services de diffusion en direct. Le gouvernement du Canada a indiqué que la Loi s’appliquerait à des plateformes telles que Facebook, Pornhub et Twitch. Toutefois, on ne saura avec précision comment la Loi s’appliquera qu’une fois son règlement d’application adopté. Le règlement tiendra compte de divers critères, tels que le nombre d’utilisateurs d’une plateforme ou l’existence d’un « risque important que du contenu préjudiciable soit accessible sur le service ».

Il est à noter qu’un service ne constitue pas un service de média social au sens de la Loi s’il ne permet pas à un utilisateur de communiquer du contenu au public (c’est-à-dire à un nombre potentiellement illimité d’utilisateurs qui n’ont pas été choisis par lui). En outre, les obligations prévues par la Loi ne s’appliquent pas à l’égard des fonctions de messages privés des plateformes.

Obligation d’agir de manière responsable

La LPL exigerait que les plateformes mettent en œuvre des mesures pour atténuer le risque que les utilisateurs soient exposés à sept catégories de contenus préjudiciables : le contenu poussant un enfant à se porter préjudice, le contenu visant à intimider un enfant, le contenu fomentant la haine, le contenu incitant à la violence, le contenu incitant à l’extrémisme violent ou au terrorisme, les IIDNC et le MAPS.

Dans le cadre de leur obligation d’agir de manière responsable, les plateformes auront l’obligation de prendre des mesures telles que les suivantes :

  • publier à l’intention des utilisateurs des lignes directrices accessibles et faciles d’utilisation, prévoyant des normes de conduite et une description des mesures mises en œuvre à l’égard du discours préjudiciable
  • fournir aux utilisateurs des outils leur permettant d’empêcher d’autres utilisateurs de les trouver et de communiquer avec eux sur le service
  • mettre en œuvre des outils et des processus permettant de signaler tout contenu préjudiciable, y compris aviser les utilisateurs ayant effectué un signalement de contenu et les utilisateurs ayant communiqué le contenu signalé
  • étiqueter certains contenus préjudiciables amplifiés artificiellement par des moyens automatisés de tiers, tels que des robots logiciels ou des réseaux de robots logiciels
  • mettre à la disposition des utilisateurs une personne-ressource pour entendre leurs préoccupations à l’égard de contenu préjudiciable et des mesures qu’elles ont mises en œuvre pour se conformer à la LPL, ainsi que veiller à ce que la personne-ressource soit facile à trouver et que ses coordonnées soient faciles d’accès
  • préparer un plan de sécurité numérique comprenant les renseignements exigés (par exemple, des renseignements concernant la manière dont la plateforme se conforme à la Loi, des statistiques sur la modération du contenu préjudiciable et un inventaire des données électroniques), le présenter à la Commission canadienne de la sécurité numérique et le mettre à la disposition du public dans un format accessible et facile à consulter

Obligation de protéger les enfants

La LPL exigerait des plateformes qu’elles prennent des mesures pour protéger les enfants en intégrant des caractéristiques de conception relatives à la protection des enfants, telles que des caractéristiques de conception adaptées à l’âge. Les caractéristiques de conception relatives à la protection des enfants que les plateformes seraient obligées d’intégrer, telles que les options de compte pour les enfants, les contrôles parentaux, les paramètres de confidentialité pour les enfants et d’autres caractéristiques de conception adaptées à l’âge, seraient prévues par règlement.

Obligation de rendre les IIDNC et le MAPS inaccessibles

En vertu de la Loi, les plateformes ont l’obligation de retirer, dans un délai de 24 heures, le MAPS ou les IIDNC qu’elles trouvent ou qu’on leur signale, obligation qui va de pair avec les exigences d’application régulière de la loi (c’est-à-dire aux processus d’avis et d’appel).

De façon générale, les plateformes ne sont pas tenues de rechercher de façon proactive le contenu préjudiciable. Toutefois, selon les règlements qui seront pris en vertu de la LPL, les plateformes pourraient avoir l’obligation de recourir à des moyens technologiques pour empêcher le téléchargement de MAPS et d’IIDNC.

Obligation de tenir des registres

Les plateformes auraient l’obligation de tenir des registres, contenant notamment des renseignements et des données, nécessaires à l’évaluation de leur conformité aux obligations prévues sous le régime de la Loi.

Accès aux inventaires et aux données électroniques

En vertu de la Loi, la Commission canadienne de la sécurité numérique pourrait donner aux personnes accréditées (c'est-à-dire celles qui mènent des recherches ou des activités d'éducation, de défense ou de sensibilisation liées aux objectifs de la Loi) accès aux inventaires de données électroniques inclus dans les plans de sécurité numérique qui lui ont été présentés et pourrait enjoindre les plateformes de donner accès à ces données.

Recours

En vertu de la LPL, les particuliers auraient le droit :

  • de fournir à la Commission canadienne de la sécurité numérique des observations relativement à du contenu préjudiciable ou à des mesures prises par une plateforme pour s’acquitter des obligations qui lui incombent au titre de la Loi
  • de déposer une plainte auprès de la Commission relativement à des IIDNC ou du MAPS

Exécution et contrôle d’application

En vertu de la LPL, la Commission canadienne de la sécurité numérique disposerait de pouvoirs étendus pour faire ce qui suit :

  • procéder à l’examen des plaintes, y compris assigner et contraindre des témoins à comparaître devant elle, à déposer sous la foi du serment et à produire des documents, et recevoir les éléments de preuve qu’elle estime indiqués, indépendamment de leur admissibilité devant les tribunaux
  • tenir des audiences concernant les plaintes relatives à des IIDNC ou du MAPS, ainsi que toute autre question se rapportant au respect de la Loi par une plateforme
  • vérifier le respect ou prévenir le non-respect de la Loi en donnant à toute personne désignée à titre d’inspecteur l’autorisation, entre autres et sous réserve des restrictions légales, d’entrer dans tout lieu si elle a des motifs raisonnables de croire que s’y trouvent des documents, renseignements ou objets utiles à toute fin liée à la vérification du respect ou à la prévention du non-respect de la Loi
  • par ordonnance, exiger d’une plateforme qu’elle prenne ou s’abstienne de prendre toute mesure pour assurer l’observation de la LPL, si la Commission canadienne de la sécurité numérique a des motifs raisonnables de croire qu’un exploitant contrevient ou a contrevenu à la Loi

Sous le régime de la LPL, les ordonnances de la Commission pourraient être homologuées par la Cour fédérale; le cas échéant, leur exécution s’effectuerait selon les modalités de cette cour.

Les sanctions administratives pécuniaires et les infractions

Sous le régime de la LPL, en cas de non-respect de celle-ci (sous réserve des moyens de défense fondés sur la diligence raisonnable dont ils disposent), les exploitants de médias sociaux et autres exploitants s’exposeraient à des amendes importantes, à savoir :

  • une sanction administrative pécuniaire correspondant au montant le plus élevé entre celui égal à 6 % des revenus bruts globaux de l’exploitant et 10 millions de dollars
  • une amende maximale d’un montant égal à 8 % des revenus bruts globaux de l’exploitant ou, s’il est supérieur, 25 millions de dollars

La Commission canadienne de la sécurité numérique pourrait également publier des procès-verbaux et des engagements comportant le nom des parties concernées.

Recouvrement des coûts

La Loi prévoit le recouvrement des coûts engagés par la Commission canadienne de la sécurité numérique, l’ombudsman canadien de la sécurité numérique ou le Bureau canadien de la sécurité numérique auprès des plateformes de médias sociaux réglementées. Les règlements futurs fourniront des détails concernant les redevances à payer par les plateformes et les circonstances dans lesquelles celles-ci seront exemptées de les payer.

Modification de lois existantes

Code criminel et Loi canadienne sur les droits de la personne

Le projet de loi C-63 apporte des modifications importantes au Code criminel, par l’ajout notamment d’une nouvelle définition de la « haine », d’un nouveau crime haineux, à savoir l’« infraction motivée par la haine » passible d’une peine maximale d’emprisonnement à perpétuité et de peines plus lourdes pour les infractions de propagande haineuse (y compris une peine maximale d’emprisonnement à perpétuité pour les personnes qui préconisent ou fomentent le génocide).

Il modifie également la Loi canadienne sur les droits de la personne par l’ajout de la « communication de discours haineux » au moyen d’Internet ou de tout autre mode de télécommunication à titre d’acte discriminatoire. Ces modifications donneront aux particuliers le droit de déposer une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne et autoriseront la Commission à imposer des sanctions pouvant aller jusqu’à 50 000 $. Ces modifications concernent les communications publiques des utilisateurs et ne s'appliquent pas aux communications privées (par exemple, les messages directs), ni aux opérateurs de services de médias sociaux, aux entreprises de radiodiffusion, aux fournisseurs de services de télécommunication ou aux intermédiaires qui hébergent, mettent en cache ou indiquent l'existence ou l'endroit de discours haineux

Loi concernant la déclaration obligatoire de la pornographie juvénile sur Internet par les personnes qui fournissent des services Internet

Le projet de loi C-63 introduit des modifications clarifiant la définition de « services Internet » pour inclure les services d’accès à Internet, les services d’hébergement de contenu sur Internet et les services facilitant les communications interpersonnelles sur Internet, notamment les services de courrier électronique. Il apporte également des modifications au processus d’avis obligatoire en exigeant que toute personne fournissant des services Internet au public envoie tous les avis à l’organisme chargé de l’application de la loi désigné par règlement et en prolongeant la période de préservation des données afférentes à une infraction.

Série sur les préjudices en ligne d’Osler

Pour vous tenir informé au sujet du projet de loi C-63 et savoir quelles peuvent être les répercussions de la LPL, restez à l’affût des prochains articles de la série sur les préjudices en ligne d’Osler.