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Utiliser des objectifs de croissance pour compléter l’information sur la stratégie de croissance

Auteur(s) : James R. Brown, Rosalind Hunter, Desmond Lee

Le 13 décembre 2017

À la suite de l’augmentation du nombre des premiers appels publics à l’épargne (les PAPE) en 2017, on a assisté à une hausse du recours aux « objectifs de croissance » (information prospective relative aux résultats financiers et aux résultats d’exploitation d’une entreprise, de moyen à long terme), afin de compléter l’information sur la stratégie de croissance de l’entreprise. La qualité de la stratégie de croissance d’une entreprise et les résultats obtenus par sa direction dans la réalisation de la croissance peuvent avoir une forte incidence sur la réussite d’un PAPE et sur le rendement du cours des actions. Les investisseurs institutionnels exigent davantage d’informations et de détails de la part des entreprises en ce qui concerne leurs plans de croissance, particulièrement dans le cas de nouvelles sociétés ouvertes. Utiliser des objectifs de croissance peut être utile, car ils quantifient l’incidence des plans de croissance du point de vue de la direction, offrant un aperçu plus précis du rendement futur de l’entreprise.

L’approche historique de l’information sur la stratégie de croissance

Les stratégies de croissance sont les mesures qu’une entreprise entend prendre pour faire augmenter les recettes, les bénéfices ou autres résultats. Jusqu’en 2015, il était d’usage au Canada de décrire les stratégies de croissance en termes généraux, sans quantifier l’incidence potentielle de ces stratégies sur les résultats financiers ou sur les résultats d’exploitation futurs d’une entreprise. Cette approche historique a ses limites, car elle laisse aux investisseurs et aux analystes de recherche le soin de déterminer la façon dont les plans de croissance d’une entreprise peuvent se traduire en rendement futur réel, sans l’avantage de la perspective de la direction. Cette approche peut également inciter l’investisseur à se fier outre mesure aux taux de croissance historiques de l’entreprise pour prévoir les résultats futurs de celle-ci. Les taux de croissance historiques peuvent être inférieurs ou supérieurs aux taux prévus, et peuvent ne pas tenir compte des changements survenus dans les activités de l’entreprise, comme la mise en œuvre de nouvelles initiatives et stratégies. Le recours à des objectifs de croissance pour compléter l’information sur la stratégie de croissance d’une entreprise vise à combler ces lacunes, même si les investisseurs et les analystes de recherche ont encore besoin d’user de leur propre jugement et d’effectuer leurs propres analyses pour évaluer l’éventuelle atteinte des objectifs de croissance d’une entreprise.

Les objectifs de croissance ne sont pas des projections

Les objectifs de croissance, contrairement aux projections sur le bénéfice plus traditionnelles, s’inscrivent dans le long ou le moyen terme (habituellement sur trois, cinq ou sept ans dans l’avenir), et représentent les résultats qu’une entreprise entend obtenir d’ici une certaine date future, en fonction de ses plans et stratégies d’affaires courants. Les objectifs de croissance ne sont pas des prévisions des résultats futurs. Les objectifs de croissance peuvent être fixés pour différents paramètres d’exploitation et mesures financières, tels que les recettes, le chiffre d’affaires, le revenu net, le BAIIA, le BAIIA ajusté, les marges, les dépenses en immobilisations, les ouvertures de magasins, la croissance du chiffre d’affaires des mêmes magasins, et même le taux de croissance annuel composé des recettes ou des bénéfices.

Les objectifs de croissance ne devraient pas être présentés comme des prévisions ou des projections d’une année à l’autre pour la période visée par les objectifs.

Alors que les projections sont habituellement exprimées en tant que fourchette estimative de valeurs pour une période d’information financière en particulier (p. ex. « les projections pour les recettes de l’exercice 2018 se situent dans la fourchette de 525 millions de dollars à 550 millions de dollars »), l’information en ce qui concerne les objectifs de croissance a tendance à être un peu moins stricte (p. ex. « nous croyons qu’il existe une occasion d’accroître nos recettes annuelles de façon à ce qu’elles se situent entre 525 millions de dollars et 550 millions de dollars d’ici 2022 »). Afin d’éviter les préoccupations d’ordre réglementaire, les objectifs de croissance doivent avoir un fondement raisonnable et reposer sur des hypothèses raisonnables. Bien qu’il puisse s’agir d’aspirations, la direction et le conseil d’administration de l’entreprise doivent croire que ces objectifs sont réalistes.

Considérations d’ordre juridique et réglementaire relatives aux objectifs de croissance

Les objectifs de croissance sont une forme d’information prospective en vertu des lois canadiennes sur les valeurs mobilières, et ils sont assujettis aux mêmes exigences prévues par la loi et la réglementation que toutes les autres formes d’information prospective. Lorsqu’on utilise des objectifs de croissance, il faut tenir compte de ce qui suit :

Le format

Au Canada, les objectifs de croissance sont habituellement présentés dans la section « Perspectives » du rapport de gestion de l’entreprise ou dans la section sur les stratégies de croissance du prospectus relatif à un PAPE, ou les deux. Les objectifs de croissance sont souvent résumés sous forme de tableau dans l’illustration de la page couverture du prospectus et dans les documents de présentation du PAPE. Aux États-Unis, il se peut que les objectifs de croissance soient présentés lors de la tournée de présentations, mais non dans la déclaration d’inscription ni dans le prospectus lui-même. L’information sur les objectifs de croissance est accompagnée des avertissements et des mises en garde habituels et prescrits dans le cas d’information prospective.

La durée de la période cible

Dans les premiers exemples d’information sur les objectifs de croissance au Canada, en 2015, on accordait une période de cinq à sept ans pour que l’entreprise atteigne les résultats visés. Cependant, en raison des préoccupations d’ordre réglementaire selon lesquelles les objectifs devraient être limités à une période pour laquelle l’information peut raisonnablement être estimée, les périodes cibles dans les récents PAPE ont été raccourcies et sont habituellement de trois à cinq ans. La Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (la CVMO) a indiqué que cela pouvait susciter des commentaires quant au caractère raisonnable de la durée de la période cible. Par conséquent, une entreprise devrait être prête à démontrer qu’il existe une visibilité et une prévisibilité suffisantes dans ses activités et dans le secteur pour justifier le recours à une période cible qui s’étend au-delà de la fin de l’exercice suivant.

Les objectifs ne devraient pas être présentés comme des prévisions d’une année à l’autre

Les objectifs de croissance ne sont pas des prévisions d’une année à l’autre et ne devraient pas être présentés comme tels, ni comme des projections d’une année à l’autre, pour la période visée par les objectifs. Par exemple, si l’objectif d’une entreprise est d’obtenir des recettes se situant entre 525 millions de dollars et 550 millions de dollars d’ici 2022, elle ne devrait pas divulguer ses recettes anticipées pour chacune des années 2018, 2019, 2020, 2021 et 2022. Il s’agit d’accorder à la direction une « marge de manœuvre » suffisante pour qu’elle puisse atteindre ses objectifs dans les délais fixés, à l’aide des divers éléments faisant partie de la stratégie de croissance de l’entreprise. Il se peut que la croissance ne soit pas linéaire, et que, certaines années, elle soit supérieure à d’autres années, au cours de la période cible. Le cas échéant, les émetteurs devraient divulguer les raisons des variations prévues d’une année à l’autre, ainsi que les facteurs de croissance.

Les hypothèses sous-jacentes aux objectifs de croissance doivent être énoncées en détail

Les autorités en valeurs mobilières canadiennes ont une préférence pour les hypothèses nombreuses et détaillées sous-jacentes aux objectifs de croissance. Cela devrait comprendre un amalgame de descriptions qualitatives d’hypothèses et de facteurs importants pertinents aux objectifs (y compris les facteurs de risque) et, si cela est indiqué, des détails quant aux montants réels pris en charge (p. ex. des hypothèses relatives au nombre de magasins qui seront ouverts chaque année, les dépenses en immobilisations nécessaires pour atteindre la croissance visée, les taux de change, etc.). La CVMO a précisé qu’elle pourrait demander à une entreprise de limiter ses objectifs de croissance à une période plus courte (par exemple, une ou deux années) si cette entreprise n’est pas en mesure d’appuyer adéquatement ses objectifs de croissance sur des hypothèses qualitatives et quantitatives raisonnables.

Les hypothèses sous-jacentes aux objectifs de croissance doivent être raisonnables

Les autorités en valeurs mobilières canadiennes semblent vouloir remettre en question le caractère raisonnable des hypothèses sous-jacentes aux objectifs de croissance, particulièrement dans des cas où les objectifs et les taux de croissance futurs prévus ne sont pas soutenus par les résultats et les taux de croissance passés de l’entreprise. Le fait d’avoir des hypothèses raisonnables est également important pour atténuer l’éventuelle responsabilité en matière de déclarations trompeuses relatives à l’information sur les objectifs de croissance. À l’issue du processus d’examen des documents déposés, les entreprises doivent être prêtes à expliquer à l’autorité les facteurs clés de la croissance prévue et les motifs pour lesquels les objectifs de croissance de l’entreprise sont raisonnables. Ce faisant, les entreprises doivent se reporter aux détails de leurs propres plans et objectifs d’affaires. Dans le cadre des commentaires qu’elle soulève à l’issue de son examen des documents, l’autorité pourrait exiger des informations supplémentaires concernant des hypothèses à ajouter au prospectus.

Les objectifs de croissance sont assujettis à l’obligation de mise à jour postérieure au PAPE

Les lois canadiennes relatives à l’information prospective exigent que les entreprises, pendant la période visée par les objectifs de croissance, exposent dans leur rapport de gestion ou dans un communiqué les événements ou les circonstances qui sont raisonnablement susceptibles d’entraîner un écart important entre les résultats réels et les objectifs antérieurement communiqués. Les écarts prévus doivent aussi être divulgués. Les entreprises sont également tenues d’aborder dans leur rapport de gestion les écarts importants entre les résultats réels obtenus et les objectifs de croissance communiqués auparavant. Depuis 2015, les entreprises ne font pas toujours le point quant à leurs progrès dans l’atteinte de leurs objectifs de croissance, en l’absence de changements dans les perspectives ou les circonstances qui inciteraient la direction à conclure qu’une entreprise ne sera pas en mesure d’obtenir les résultats visés. Même s’il nous apparaît raisonnable de considérer qu’aucune mise à jour ne devrait être exigée si une entreprise est sur la bonne voie pour atteindre ses objectifs de croissance à la fin de la période fixée, cette opinion ne sera pas nécessairement partagée par les autorités en valeurs mobilières. Dans le cadre des commentaires qu’elle soulève à l’égard d’un prospectus relatif à un PAPE, l’autorité en valeurs mobilières peut exiger d’une entreprise qu’elle s’engage à faire état de son avancement par rapport à ses objectifs de croissance dans son rapport de gestion annuel pour chacun des exercices de la période visée. Cela comprendrait un rapport sur les objectifs de croissance présentés dans le prospectus relatif au PAPE, les résultats réels de l’entreprise et une analyse des écarts par rapport aux objectifs.

La responsabilité à l’égard de l’information sur les objectifs de croissance

Au Canada, les objectifs de croissance font partie de la divulgation rattachée aux prospectus ; ainsi, toute responsabilité légale quant à des déclarations trompeuses s’appliquerait également aux objectifs de croissance et aux autres renseignements du prospectus. De plus, la règle refuge en matière de responsabilité en vertu des lois canadiennes, qui s’applique normalement aux projections et à d’autres informations prospectives diffusées par des sociétés ouvertes, ne s’applique pas à l’information prospective contenue dans les prospectus relatifs à un PAPE. Cela ne signifie pas nécessairement que le défaut d’une entreprise d’atteindre ses objectifs de croissance à la fin de la période visée constituerait une déclaration trompeuse. Ce pourrait être le cas si les hypothèses sous-jacentes aux objectifs de croissance étaient jugées déraisonnables. Néanmoins, les entreprises doivent soupeser les avantages de divulguer leurs objectifs de croissance par rapport aux risques potentiels que cela comporte. Dans le cas d’une société canadienne qui lance un PAPE transfrontalier (comportant un appel public à l’épargne au Canada et aux États-Unis), l’usage est de ne pas divulguer les objectifs de croissance dans le prospectus ou dans les documents de présentation, en raison des préoccupations en matière de responsabilité.

Les objectifs de croissance constituent un complément utile à l’information sur la stratégie de croissance d’une entreprise, étant donné qu’ils contribuent à quantifier l’incidence des plans de croissance du point de vue de la direction. Même si les objectifs de croissance sont maintenant examinés à la loupe par les investisseurs et par les autorités en valeurs mobilières canadiennes, les entreprises qui envisagent de faire un premier appel public à l’épargne devraient continuer à en soupeser les avantages.