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L'obligation de protéger le personnel hospitalier contre la violence au travail est prépondérante

Auteur(s) : Michael Watts, David Solomon

27 août 2015

Le gouvernement de l'Ontario a annoncé récemment qu'il mettait sur pied un « Comité de leadership pour la prévention de la violence en milieu de travail dans le secteur des soins de santé » afin de « mieux protéger des professionnels de la santé ». Cette annonce fait suite à la décision prise l'année dernière par le ministère du Travail de porter des accusations en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité au travail (LSST) contre un hôpital public pour avoir omis de prendre « toutes les précautions raisonnables dans les circonstances » pour assurer la protection du personnel contre les patients violents. S'il est condamné, l'hôpital pourrait se voir infliger une amende maximale pouvant atteindre 500 000 $.

En tenant compte du contexte ci-dessus, nous examinons brièvement ci-dessous comment, aux termes de la LSST, les hôpitaux, y compris leurs administrateurs, dirigeants et superviseurs, sont tenus à une obligation accrue de prendre des précautions afin de protéger le personnel, qui l'emporte sur l'obligation de diligence raisonnable à laquelle sont tenus les hôpitaux, ainsi que leurs administrateurs et dirigeants, envers les patients en vertu de la  Loi sur les hôpitaux publics (LHP).

Bien que les tribunaux n'aient pas (encore) pris en considération l'obligation de prendre des précautions dans le contexte de la prépondérance de la LSST sur la LHP, les hôpitaux peuvent prévoir que ces arguments seront soulevés dans tout litige intenté par le ministère du Travail alléguant l'omission de protéger le personnel.

En vertu du Règlement sur la gestion hospitalière de la LHP, le conseil d'un hôpital doit établir des procédures aux termes des règlements administratifs sur ce qui suit : (i) la garantie d’un lieu de travail sécuritaire et salubre à l’hôpital, (ii) l’utilisation sécuritaire des substances, de l’équipement et du matériel médicaux à l’hôpital, (iii) le recours à des pratiques de travail sécuritaires et salubres à l’hôpital, (iv) la prévention des accidents causant des blessures sur les lieux de l’hôpital, et (v) l’élimination des risques inutiles et la diminution des dangers inhérents au milieu hospitalier.

Même si la responsabilité des directeurs d'hôpitaux ne peut être mise en cause lorsqu'ils remplissent en toute bonne foi leurs obligations aux termes de la LHP, la protection peut être perdue lorsque les directeurs agissent de mauvaise foi. Il y a lieu de noter qu'il n'existe aucune exonération correspondante aux termes de la LSST. La Cour d'appel de l'Ontario a indiqué que les directeurs seront réputés avoir agi de mauvaise foi lorsque le conseil a exercé son pouvoir décisionnel prévu par la loi pour des motifs secrets, et non dans l'intérêt public, et ce, alors qu'il aurait dû savoir que sa conduite allait probablement causer du tort à d'autres personnes (voir l'affaire  Rosenhek v Windsor Regional Hospital, 2010 ONCA 13).

En vertu de la LSST, les administrateurs et dirigeants d'hôpitaux ont l'obligation générale de faire preuve de toute l'attention raisonnable pour que l'hôpital se conforme (i) à la LSST et aux règlements, (ii) aux ordres et aux exigences des inspecteurs et des directeurs et (iii) aux arrêtés du ministère du Travail. Les hôpitaux, en tant qu'employeurs, et leurs superviseurs ont l'obligation expresse de prendre « toutes les précautions raisonnables dans les circonstances pour assurer la protection du travailleur ». Compte tenu de l'obligation générale qu'ont les administrateurs et dirigeants d'agir en conformité avec la LSST, on peut soutenir qu'ils ont eux aussi l'obligation expresse de prendre des précautions pour assurer la protection du personnel.

Au moins une fois par an, les mesures et procédures destinées à protéger la santé et à assurer la sécurité des travailleurs doivent être examinées et révisées à la lumière des connaissances et des pratiques actuelles. Ces démarches doivent être entreprises plus d'une fois par an lorsque (a) l'employeur, sur les conseils du comité mixte sur la santé et la sécurité ou d'un délégué à la santé et à la sécurité, détermine qu'elles sont nécessaires, ou (b) il survient un changement de circonstance qui peut toucher la santé ou la sécurité d'un travailleur.

Tel qu'il est mentionné ci-dessus, la LSST prévoit expressément que ses dispositions l'emportent sur les dispositions de toute autre loi générale ou spéciale de l'Ontario (y compris la LHP) :

2. (2) Les dispositions de la présente loi et des règlements l’emportent sur les dispositions d’autres lois générales ou spéciales. [C'est nous qui soulignons]

Il est donc clair que l'obligation de diligence qu'a un hôpital envers les employés en vertu de la LSST l'emporte sur l'obligation de diligence qu'ont les hôpitaux envers les patients en vertu de la LHP. Cette prépondérance, lorsqu'examinée en tenant compte de l'emploi du mot « précautions » dans la LSST, laisse entendre que le principe de précaution doit guider les hôpitaux lorsqu'ils s'assurent que les préoccupations du personnel en matière de sécurité sont prises au sérieux, et que le personnel se sent en sécurité, même si cela implique la mise en œuvre ou le renforcement des mesures de sécurité accrues qui, selon certains experts, ne sont pas jugées nécessaires.

Par conséquent, les hôpitaux doivent être prêts à faire face à des circonstances où les obligations qui s'opposent pourraient obliger les conseils d'administration des hôpitaux à faire passer la sécurité des employés avant les soins aux patients, dans le cadre de l'élaboration ou l'approbation de politiques aux termes de la règle de l'appréciation commerciale. La Cour suprême du Canada a reconnu que même si l'obligation d’agir au mieux des intérêts d'une société comprend l'obligation de traiter équitablement et justement toutes les parties intéressées, il peut arriver qu'il soit impossible de répondre aux besoins de toutes les parties intéressées (voir BCE Inc. c. Détenteurs de débentures de 1976, 2008 CSC 69).

Cet article est paru à l'origine dans Hospital News.