Passer au contenu

La Cour d’appel de la C.-B. suspend une demande de recours collectif contre Facebook pour atteinte à vie privée en se fondant sur une clause stipulant le choix des tribunaux applicables

Auteur(s) : Adam Kardash, Christopher Naudie, Kelly Osaka

24 juin 2015

Le 19 juin 2015, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a suspendu une demande de recours collectif pour atteinte à la vie privée dans l’affaire Douez v. Facebook, Inc. en appliquant une clause stipulant le choix des tribunaux de la Californie. La demanderesse cherchait à obtenir la certification d’un recours collectif pour réclamer à Facebook, Inc. des dommages-intérêts au nom de l’ensemble du groupe constitué de résidents de la C.-B dont le nom ou la photo ont figuré dans un élément publicitaire de Facebook, Sponsored Stories, alléguant des violations de la Privacy Act. En suspendant le recours, la Cour d’appel de la C.-B. affirme clairement que les tribunaux canadiens reconnaîtront l’application d’une clause portant sur le choix des tribunaux lorsque les circonstances s’y prêtent, y compris celles contenues dans les modalités d’utilisation de réseaux sociaux et de sites d’entreprises en ligne.

Contexte

La demanderesse a entrepris un recours collectif contre Facebook devant les tribunaux de la C.-B., alléguant que Facebook avait enfreint la Privacy Act en utilisant son nom et son portrait dans les Sponsored Stories sans son consentement.

La demanderesse allègue que les Sponsored Stories sont un mécanisme publicitaire qui republie le nom et la photo du profil d’un utilisateur sur la page Facebook de ses amis après qu’il avait « aimé » un page ou un message associé à une entreprise, à un parti politique, à un organisme caritatif ou à une autre entité.

Les modalités d’utilisation de Facebook comprennent une clause de choix des tribunaux stipulant que tout différend relatif à Facebook doit être porté exclusivement devant les tribunaux de la Californie. La demanderesse soutient que cette clause de choix des tribunaux n’était pas applicable en l’espèce en se fondant sur l’article 4 de la Privacy Act, qui prévoit qu’un [traduction « recours en vertu de [cette] loi doit être entendu et jugé par la Cour suprême [de la C.-B.]. » Par conséquent, la demanderesse soutient que la Cour suprême de la C.-B. est seule compétente à l’égard de son recours, à l’exclusion de tous les tribunaux dans le reste du monde. La demanderesse prétend que, dans ces circonstances, la Cour suprême de la C.-B. devrait refuser d’appliquer la clause de choix des tribunaux dans l’affaire en cause. En première instance, la juge en chambre a donné raison à la demanderesse, statuant que l’article 4 de la Privacy Act [traduction] « avait préséance » sur la clause de choix des tribunaux. La juge a de plus accordé la certification du recours collectif.

Décision

Dans une décision unanime sur l’appel de Facebook, la Cour d’appel a infirmé la décision de première instance et déclaré que la clause de choix des tribunaux devait recevoir application et qu’elle n’était pas invalidée par l’article 4 de la Privacy Act.

S’exprimant au nom de la Cour, le juge en chef Bauman décrit l’approche à suivre pour déterminer s’il y a lieu en l’espèce d’appliquer la clause de choix des tribunaux en ces termes : (i) Facebook devait démontrer que la clause de choix des tribunaux est valide, claire et exécutoire et qu’elle est applicable en l’instance; (ii) le cas échéant, le fardeau de la preuve revenait à la demanderesse d’établir l’existence d’un motif sérieux sur lequel la Cour peut se fonder pour refuser l’application de la clause; (iii) si la demanderesse s’acquitte de ce fardeau, Facebook pourrait ensuite soutenir que la Cour devrait néanmoins se déclarer incompétente, selon la doctrine de la compétence territoriale (forum non conveniens) en appliquant les critères énoncés à l’article 11 de la Court Jurisdiction and Proceedings Transfer Act.

La clause de choix des tribunaux est valide, claire et exécutoire et elle s’applique en l’instance

Bien que la Cour ait souscrit à la conclusion de la juge en chambre selon laquelle la clause de choix des tribunaux de Facebook est valide, claire et exécutoire et qu’elle est applicable à la réclamation de la demanderesse, la Cour a déclaré que la juge en chambre a erré dans son interprétation de l’article 4 de la Privacy Act. Plus précisément, qu’elle a omis de prendre acte du fait que cette loi de la C.-B. ne s’applique que dans cette province. La Cour affirme qu’en l’absence de preuve contraire, on doit présumer qu’un tribunal de la Californie déterminera lui-même s’il a la compétence territoriale à l’égard d’une poursuite donnée. On peut aussi présumer qu’un tribunal californien tiendrait compte des lois de la C.-B. dans le strict respect du principe de l’adhésion déférente, mais les lois de la Colombie-Britannique ne peuvent pas avoir d’effet contraignant pour les tribunaux de la Californie, sauf si la loi californienne le prévoit. La seule interprétation que l’on peut donner à l’article 4 de la Privacy Act est que la Cour suprême de la C.-B. a compétence à l’exclusion des autres tribunaux de cette province, mais non des tribunaux du reste de la planète.

La demanderesse n’a pas démontré de motif sérieux faisant échec à l’application de la clause de choix des tribunaux

Comme la demanderesse n’a pas présenté de preuve sur le droit international privé californien, la Cour n’est pas en mesure de statuer sur la compétence territoriale des tribunaux de la Californie. La demanderesse ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve qui lui revenait, s’étant contentée de fonder son argument (selon lequel les tribunaux de la Californie n’avaient pas la compétence territoriale requise) sur l’interprétation erronée que la juge en chambre a donnée à l’article 4 de la Privacy Act.

La Cour d’appel ayant conclu que la clause de choix des tribunaux de Facebook était exécutoire, elle a suspendu l’instance du recours collectif sous-jacent. Vu sa décision sur la question de la compétence matérielle la Cour n’a pas jugé nécessaire d’examiner les questions relatives à la compétence territoriale et à la certification.

Incidence

Cette décision intéressera les entreprises établies au Canada et ailleurs qui poursuivent des activités en Colombie-Britannique et qui s’appuient sur des clauses de choix des tribunaux prévues dans les modalités d’utilisation ou dans d’autres ententes conclues avec leurs utilisateurs ou leurs clients. Dans sa décision, la Cour a reconnu que la Colombie-Britannique n’a pas de compétence territoriale exclusive sur les réclamations qui découlent de la Privacy Act, et ce faisant, elle confirme la certitude que procurent les clauses relatives au choix des tribunaux sur le plan commercial. De plus, la Cour a appliqué une telle clause dans le contexte d’un réseau social, soulignant de ce fait que les modalités d’utilisation en matière de commerce sur Internet au Canada seront applicables.
 

*Les associés d’Osler Mark A. Gelowitz et Tris Mallett ont représenté Facebook dans le cadre de ce litige et ont plaidé cette cause à la Cour d’appel.