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La Cour divisionnaire confirme la constitutionnalité du processus d'examen des projets d'énergie renouvelable en vertu de la Loi sur la protection de l'environnement de l'Ontario

Auteur(s) : Jennifer Fairfax, Daniel Kirby, Jack Coop, Pierre-Alexandre Henri

2 février 2015

Le 29 décembre 2014, la Cour divisionnaire de l'Ontario a publié sa décision concernant l'affaire Dixon v. Director, Ministry of the Environment. Dans cet appel de trois décisions du Tribunal ontarien de l’aménagement du territoire, la Cour s'est penchée sur une contestation de la validité constitutionnelle des dispositions portant sur les audiences visant à faire autoriser un projet d'énergie renouvelable qui se trouvent aux paragraphes 142.1 et 145.2.1 de la Loi sur la protection de l'environnement (LPE). Entre autres, les appelants, qui s’opposaient à l’aménagement de divers projets éoliens, prétendaient que les dispositions en matière d’audience contrevenaient à leur droit à la sécurité de la personne prévu à l’article 7 de la Charte étant donné que le critère à respecter en vertu de la LPE, selon lequel des « dommages graves à la santé des êtres humains » doivent avoir été causés, était trop strict. La Cour a rejeté cet argument, entre autres, et a confirmé que les dispositions en matière d’audience visant à faire autoriser un projet d’énergie renouvelable étaient constitutionnellement valides. Le 13 janvier 2015, les appelants, ayant été déboutés par la Cour divisionnaire, ont demandé l'autorisation d'interjeter appel auprès de la Cour d'appel de l'Ontario.

Faits sommaires

En 2013 et en 2014, le directeur du ministère de l’Environnement a autorisé la construction et l’exploitation de trois projets de centrales éoliennes, soit le projet éolien St Columban, le projet éolien K2 et le projet éolien Armow. Le directeur a délivré une autorisation de projet d’énergie renouvelable (APER) conformément au paragraphe 47.5 de la LPE pour chaque projet.

Aux termes du paragraphe 142.1 de la LPE, toute personne qui réside en Ontario peut demander au Tribunal ontarien de l’aménagement du territoire de tenir une audience aux fins de l’examen d’une décision du directeur de délivrer une APER au motif que le fait d’entreprendre le projet d’énergie renouvelable conformément à l’APER causera des « dommages graves à la santé des êtres humains »1). Des résidents situés à proximité des trois projets éoliens approuvés ont demandé la tenue de telles audiences. Dans les trois cas, le Tribunal ontarien de l’aménagement du territoire a conclu que les résidents n’avaient pas établi que le fait d’entreprendre les projets causerait des dommages graves à la santé des êtres humains. Le Tribunal ontarien de l’aménagement du territoire a également rejeté les divers arguments constitutionnels avancés par les résidents. Il a donc rejeté les demandes d’examen des résidents.

Motifs de l'appel

Conformément aux dispositions en matière d'appel de la LPE, les résidents ont interjeté appel auprès de la Cour divisionnaire « sur une question de droit », et invoqué cinq motifs d’appel, dont les motifs clés suivants :

  1. Le Tribunal ontarien de l’aménagement du territoire aurait dû déclarer inconstitutionnel le critère énoncé dans les dispositions en matière d'audience relative à une APER de la LPE (soit le critère relatif aux « dommages graves à la santé des êtres humains ») puisqu'il est trop strict et donc contraire à l'article 7 de la Charte, ou interpréter ce critère de façon moins restrictive et comme exigeant uniquement des perspectives raisonnables de dommages graves à la santé des êtres humains.
  2. Le Tribunal ontarien de l’aménagement du territoire devrait également avoir déclaré comme étant inconstitutionnels les pouvoirs d'approbation du directeur en vertu du paragraphe 47.5 de la LPE et de l'article 54 du Ontario Regulation 359/09, Renewable Energy Approvals (qui prévoit des exigences en matière de distances et de bruit pour les projets d'énergie renouvelable éoliens)2 et également contraires à l'article 7 de la Charte.
  3. Le Tribunal ontarien de l’aménagement du territoire a erré en droit en déclarant que pour démontrer que des dommages graves à la santé des êtres humains ont été causés, les appelants devaient faire témoigner un expert médical compétent.

Décision de la Cour divisionnaire

Dans sa décision, la Cour a abordé les trois motifs d'appel clés suivants :

(a)  « Dommages graves » et article 7 de la Charte

La Cour a rejeté les arguments des appelants selon lesquels les alinéas 142.1(3) et 145.2.1(2) contreviennent à l’article 7 de la Charte. Les appelants ont fait valoir sans succès l’argument selon lequel le critère relatif aux « dommages graves à la santé des êtres humains » est (i) impossible à atteindre et (ii) est plus strict que le critère prévu à l’article 7 de la Charte. La Cour a expressément rejeté l’argument des appelants selon lequel le seuil prévu à l’article 7 pour les dommages physiques vise des dommages physiques non négligeables plutôt que graves.

La Cour a déclaré que le libellé des alinéas 142.1(3) et 145.2.1(2) de la LPE (« causera des dommages graves à la santé des êtres humains ») était essentiellement conforme à la jurisprudence qui exige qu’un appelant démontre que des dommages « graves » ont été causés pour établir qu’il y a eu violation de la sécurité de la personne selon l’article 7 de la Charte. La Cour était d’accord avec les arguments présentés par le directeur et les titulaires de l’autorisation selon lesquels les dommages tant psychologiques que physiques doivent être « graves »; les dommages envisagés aux termes de l’article 7 sont des dommages « graves », qu’il s’agisse de dommages psychologiques ou physiques.

Plus précisément, en ce qui concerne les dommages psychologiques, s’appuyant sur la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Nouveau‑Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. G. (J.), [1999] 3 RCS 46, la Cour a déclaré que pour qu’il y ait atteinte à la sécurité de la personne, l’acte de l’État doit, lorsque les effets sont évalués objectivement, avoir des répercussions graves et profondes sur l’intégrité psychologique d’une personne ayant une sensibilité raisonnable.3)

Pour ce qui est des dommages physiques, la Cour a rejeté l’argument des appelants selon lequel dans l’affaire Chaoulli c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 35, la Cour suprême a établi un niveau de preuve moins élevé pour une violation de l’article 7. Bien que la Cour suprême ait concédé dans cette affaire que les dommages physiques prévus à l’article 7 pourraient être un « état cliniquement lourd de conséquences pour leur santé actuelle ou future », le sens de « cliniquement lourd » est expliqué dans d’autres passages de cette décision qui soulignent l’importance du critère de « sériosité » pour les dommages tant physiques que psychologiques, comme des dommages physiques aussi graves que le risque de décès.

(b)  Compétence du Tribunal ontarien de l’aménagement du territoired'examiner les décisions du directeur de délivrer des APER aux fins de conformité avec la Charte

Les appelants ont soulevé l’argument selon lequel le Tribunal ontarien de l’aménagement du territoire avait compétence pour examiner le processus d’APER suivi par le directeur au moment de décider de délivrer les APER afin de déterminer si les décisions du directeur sont conformes avec la Charte. La Cour a rejeté cet argument.

La Cour a déclaré que la compétence d’un tribunal d’octroyer un recours en vertu de la Charte dépend du mandat qui lui est conféré par la loi. Autrement dit, le demandeur ne peut étendre la compétence d’un tribunal simplement en invoquant un recours prévu par la Charte; la possibilité pour un demandeur d’exercer un recours prévu par la Charte dépendra du mandat conféré au tribunal par la loi.

La Cour a soutenu que la LPE ne confère au Tribunal ontarien de l’aménagement du territoire aucune compétence pour trancher les questions de droit prévues au paragraphe 47.5 de la LPE du Ontario Regulation 359/09, Renewable Energy Approvals. La LPE confère au Tribunal ontarien de l’aménagement du territoire uniquement le pouvoir restreint d'examiner une décision prise par le directeur en matière d'APER si le projet d'énergie renouvelable approuvé causera des dommages graves à la santé des êtres humains (ou des dommages graves et irréversibles aux végétaux ou aux animaux).4 Étant donné que le Tribunal ontarien de l’aménagement du territoire n'a pas le mandat d'examiner les pouvoirs d'approbation du directeur dans le cadre d'une audience d'une APER, il avait raison de conclure qu'il n'est pas de son ressort de le faire (ni d'examiner la décision du directeur) aux fins de conformité avec la Charte.

(c)  Possibilité de prouver que des « dommages graves à la santé des êtres humains » ont été causés sans recourir à un expert médical

La Cour a rejeté l’argument des appelants selon lequel le Tribunal ontarien de l’aménagement du territoire a erré en déclarant que le témoignage de témoins vivant aux alentours de projets éoliens existants ne suffisait pas pour démontrer que des dommages graves ont été causés ou qu’il y a eu violation de l’article 7 et qu’il fallait le témoignage d’experts médicaux pour établir un lien de causalité entre les éoliennes et les problèmes physiques ou psychologiques évoqués par ces témoins.

La Cour a indiqué que le Tribunal ontarien de l’aménagement du territoire a évalué la preuve fournie par les témoins à la lumière de la preuve fournie par les experts médicaux des intimés, qui ont établi qu’un autodiagnostic empirique de la part des témoins ne pouvait permettre d’établir un lien de causalité avec les éoliennes. Ce faisant, le Tribunal ontarien de l’aménagement du territoire a tiré des conclusions de fait ou tout au plus mélangé des faits et des questions de droit, que la Cour n’était pas en mesure d’examiner puisqu’en vertu des dispositions en matière d’appel de la LPE, elle est autorisée à examiner les « questions de droit » seulement.

Importance de la décision

La décision rendue par la Cour divisionnaire dans l’affaire Dixon est la plus récente d’un nombre croissant de décisions où des APER ont été contestées avec succès. Quelques éléments importants sont à noter :

  1. Premièrement, au sujet de la question de savoir si le critère prévu par la loi (« dommages graves à la santé des êtres humains ») est conditionnel, la Cour divisionnaire est le premier tribunal à avoir commenté la nouvelle étude de Santé Canada publiée en novembre 2014, selon laquelle aucun lien définitif ne peut être établi entre le bruit des éoliennes et la santé des être humains. La Cour divisionnaire a indiqué que les résultats de cette étude ne permettent pas de tirer de conclusions au sujet d'un lien de causalité et qu'ils ne fournissent aucune nouvelle preuve pertinente sur la constitutionnalité du critère d'examen prévu par la loi (« dommages graves à la santé des êtres humains »). Cette conclusion va dans le sens des commentaires formulés dans un numéro précédent d'Actualités Osler selon lesquels il est peu probable que l'étude donne de l'eau au moulin des opposants aux projets éoliens qui cherchent à prouver l'existence de « dommages graves à la santé des êtres humains » au sens de la Loi sur la protection de l'environnement (Ontario) ou qu'il y a eu violation de l'article 7 de la Charte.
  2. Deuxièmement, la Cour divisionnaire a porté un coup dur aux groupes environnementaux qui cherchent à constitutionnaliser le droit à un environnement propre et établi clairement qu'on ne peut prétendre à tort et à travers qu'il y a eu violation du droit à la sécurité de la personne prévu à l'article 7 de la Charte simplement en alléguant qu'un projet pollue ou risque de polluer l'environnement. Il incombe toujours à la personne qui prétend qu'il y a eu violation de la Charte dans le contexte environnemental de prouver de façon appropriée que les effets allégués sur la santé physique et/ou psychologique sont graves et liés directement à une mesure ou décision gouvernementale.

Maintenant que les appelants ont interjeté appel auprès de la Cour d'appel de l'Ontario, au motif que la Cour divisionnaire avait erré dans son analyse constitutionnelle, il ne nous reste plus qu'à attendre que le plus haut tribunal de la province d'Ontario rende sa décision dans cette affaire.


1  LPE, sous-al. 142.1(3)a). Le sous‑al. 142.1(3)b) prévoit qu’une personne peut également demander la tenue d’une audience aux fins de l’examen d’une décision concernant une APER pour le motif que le fait d’entreprendre le projet d’énergie renouvelable conformément à l’APER causera des « dommages graves et irréversibles à des végétaux, à des animaux ou à l’environnement naturel ».

2  Ontario Regulation 359/09, Renewable Energy Approvals, partie V.0.1 de la Loi, art. 54.

3  Se reporter au par. 61 (le gras à été ajouté par la suite afin d'y mettre l'accent).

4  Se reporter au par. 113. Une fois de plus, le Tribunal de l’environnement a également le pouvoir d’examiner la décision du directeur de déterminer si le projet d’énergie renouvelable approuvé causera des dommages graves et irréversibles à des végétaux ou à des animaux. Si le Tribunal de l’environnement détermine que c’est le cas, il peut révoquer l’APER, modifier la décision du directeur ou ordonner au directeur de prendre les mesures qu’il lui a indiquées.