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Pénalité administrative pour un délit d’initié – les critères pour en fixer le montant

Auteur(s) : Fabrice Benoît, Jean-François Forget

20 avril 2015

AMF v. Roy (2015 QCBDR 43)

L’Autorité des marchés financiers (« AMF ») reprochait à Mme Renée Roy (« Roy ») d’avoir effectué des opérations sur les titres d’un émetteur assujetti alors qu’elle était en possession d’une information privilégiée. Le 2 juillet 2014, le Bureau de décision et de révision donnait raison à l’AMF et réservait sa décision quant à la pénalité administrative à imposer dans les circonstances.

Le 27 mars dernier, le Bureau a condamné Roy à une pénalité administrative de 60 000 $. Le Bureau a également revu en détail les critères permettant de déterminer la pénalité appropriée dans les circonstances. L’AMF réclamait une pénalité représentant le triple des profits réalisés par Roy, alors que cette dernière plaidait qu’elle devait se limiter aux profits réalisés, soit 30 570 $.

Suivant une analyse fouillée de nombreuses décisions rendues par les organismes de réglementation des valeurs mobilières des autres provinces canadiennes ainsi que par le Bureau lui-même, ce dernier réitère les objectifs recherchés par l’exercice de sa juridiction sur le monde financier, soit la préservation de l’intégrité des marchés, la répression des délits d’initiés et la dissuasion générale.

Le Bureau souligne notamment que devant une infraction de cette nature, il est important, dans un effort de préservation de la confiance du public, que les autorités financières sévissent adéquatement envers les contrevenants.

En ce sens, le Bureau rappelle les nombreux critères développés en jurisprudence qui peuvent s’avérer pertinents1 pour déterminer le montant de la pénalité administrative et retient les suivants pour ce dossier :

  • Le sérieux du manquement : un délit d’initié s’avère une inconduite sérieuse justifiant « des conséquences lourdes »;
  • La position de la ou du contrevenant(e) au sein de ou par rapport à l’émetteur assujetti, i.e. la personne était-elle une initiée de cet émetteur ou s’agit-il plutôt d’une « tippee »;
  • Les antécédents et la conduite antérieure de la ou du contrevenant(e).
  • Le caractère intentionnel des gestes posés : de nombreux indices peuvent le révéler dont notamment le fait d’emprunter afin d’investir davantage sur le titre en possession d’information privilégiée.
  • Le degré de repentir de la ou du contrevenant(e). Dans ce dossier, le Bureau a noté que Roy avait surtout tenté de brouiller les pistes lors de l’audience sur la responsabilité. Bien qu’il lui était loisible de présenter une défense, cette position a amené le Bureau à conclure qu’elle ne ressentait pas réellement de regrets, malgré les représentations faites lors de l’audience sur la sanction à imposer.
  • Les profits réalisés : encore une fois, le fait d’avoir emprunter afin de maximiser son profit pécuniaire ajouté au rendement spectaculaire que peut procurer une transaction effectuée en possession d’information privilégiée, a certainement un impact sur la décision du Bureau à l’égard de la sanction.
  • Les facteurs atténuants peuvent être multiples. En voici quelques exemples, pour la plupart applicables à Roy :
    • Collaboration au processus d’enquête de l’AMF
    • Inexpérience générale sur les marchés
    • N’était pas un(e) initié(e) de l’émetteur assujetti
    • Contexte factuel particulier
    • Risque de récidive absent
  • Les dommages causés à l’intégrité du marché : même en l’absence de preuve spécifique quant à un dommage subi par des investisseurs, le Bureau a affirmé que ceux-ci ont été floués en général et ont subi un tort. Au final, la confiance du public dans le fonctionnement des marchés financiers est la principale victime d’un délit d’initié.
  • Les sanctions imposées en pareille situation : le Bureau fait état dans sa décision de certains précédents2 dans lesquels la pénalité imposée était équivalente au double du profit réalisé.

Les ordonnances rendues par le Bureau doivent avant tout servir à réglementer, à des fins prospectives et préventives, les marchés financiers et non à punir. Néanmoins, la nécessité de dissuader les acteurs des marchés financiers d’adopter des comportements similaires à ceux de Roy justifie, selon le Bureau, une pénalité administrative d’un montant de 60 000 $ représentant le double du profit réalisé.

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Autorité des marchés financiers c. Demers, 2006 QCBDRVM 17

2  Autorité des marchés financiers c. Lefebvre, 2011 QCBDR 121; Autorité des marchés financiers c. Claude Cajolet, 2010 QCBDRVM 12