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Un tribunal de l’Ontario précise dans quelle mesure une municipalité peut limiter l’utilisation des routes par les promoteurs de projets éoliens

Auteur(s) : Richard Wong, Lindsay Rauccio, Jack Coop, Michael Bowman

11 septembre 2015

Le 13 août 2015, la Cour divisionnaire de l’Ontario a rendu sa décision dans l’affaire Wpd Sumac Ridge Wind Inc. c. Corporation of the City of Kawartha Lakes, 2015 ONSC 4164.[1] Cette décision, qui constituera une bonne nouvelle pour les promoteurs de parcs éoliens en Ontario, confirme que les municipalités ne peuvent pas refuser de façon arbitraire ou dans un but illégitime, à un titulaire d'autorisation, le droit d’utiliser une route qui est expressément mentionnée dans une autorisation de projet d’énergie renouvelable (APER). 

Les promoteurs de parcs éoliens ont habituellement besoin d'utiliser les routes municipales pendant la construction et l'exploitation, notamment en y effectuant des reconstructions ou déviations temporaires, pour permettre la livraison de composantes surdimensionnées comme les pales d'éolienne, ainsi que l’installation et l’entretien de l'infrastructure de transmission ou de distribution nécessaires pour se relier au réseau.  Par conséquent, un promoteur de parc éolien conclura généralement une entente d’utilisation de la route avec la municipalité touchée, pour que les deux parties puissent clarifier leurs droits respectifs de manière coordonnée. Les APER renvoient aussi habituellement à une entente d’utilisation de la route dans le cadre d’une disposition relative à la planification de la circulation routière ou d’une disposition semblable; il est cependant difficile de négocier ce genre d’entente lorsque la municipalité a déclaré ne pas voir le projet d’un bon œil. Dans cette affaire, la municipalité est allée beaucoup plus loin, entre autres en adoptant une résolution qui visait à interdire à wpd Sumac Ridge Wind Inc. (le « demandeur ») l’accès à une route, malgré le fait qu'il s'agissait d'une voie d'accès cruciale et qu’elle était mentionnée dans la demande sous‑jacente à l'APER.

La Cour a conclu qu’en refusant au demandeur l’accès à une route, la municipalité était délibérément allée à l'encontre de l’APER et avait agi de mauvaise foi en s’attaquant indirectement à l’APER. La Cour a donc annulé la résolution qui refusait au demandeur l’accès à la route en cause, et ordonné à la municipalité d’entamer des négociations de bonne foi avec le demandeur concernant l’utilisation de la route, de manière à ne pas aller à l'encontre de l’APER.

Contexte

Le ministère de l’Environnement avait accordé une APER au demandeur en décembre 2013, conformément à la Loi sur la protection de l’environnement. L’APER autorisait le demandeur à construire cinq éoliennes (le « projet ») dans la municipalité de Kawartha Lakes (la « municipalité »). L’APER stipulait que le demandeur devait déployer des efforts raisonnables pour conclure une entente d’utilisation de la route avec la municipalité dans les trois mois suivant la présentation d’un plan de circulation routière à la municipalité.

La municipalité semble s’être opposée au projet dès le départ. Avant la délivrance de l’APER, la municipalité a demandé au gouvernement provincial d’imposer un moratoire sur l’ensemble des autorisations de projets d’éoliennes, jusqu’à ce que des études aient confirmé leur effet sur la santé humaine. De plus, en février 2013, la municipalité a adopté une résolution demandant au gouvernement provincial de rejeter la demande d’APER du demandeur. Toutefois, malgré ce qui précède, la municipalité n’a soulevé de préoccupations à l’égard des routes d’accès proposées qu’après que le demandeur a reçu l’APER, malgré le fait que la municipalité ait été expressément consultée à ce sujet. 

Environ quatre mois après la délivrance de l’APER au demandeur, la municipalité a adopté une résolution qui visait à empêcher le demandeur d’utiliser une route clé. Plus particulièrement, la résolution adoptée par la municipalité prévoyait que [traduction] « toute demande du demandeur ou de ses successeurs futurs concernant l’utilisation de la portion non ouverte de la route Wild Turkey pour accéder à la propriété ou pour y faire circuler des véhicules dans le cadre de l'aménagement du projet d’éoliennes soit rejetée ».

Le demandeur a déposé une demande de contrôle judiciaire pour annuler la résolution et a demandé des ordonnances enjoignant la municipalité à examiner ce qui suit et à rendre une décision à cet égard de bonne foi :

  • les demandes du demandeur visant à permettre la mise à niveau et l’utilisation de la route Wild Turkey;

  • les demandes du demandeur concernant les permis municipaux nécessaires pour la construction et l’exploitation rapides du projet.[2]

Points de vue exprimés par les parties lors de l'audience de la demande

Le demandeur a fait valoir que la résolution adoptée par la municipalité démontrait l’intention de celle-ci d'empêcher ou d'entraver la construction du projet, et que la route dont il était question était un élément essentiel de l’APER qui avait été demandée et approuvée par le ministère.

La municipalité a soutenu que la résolution représentait un exercice légitime de sa compétence sur les voies publiques en vertu de la Loi sur les municipalités, 2001 de l'Ontario (Loi sur les municipalités)[3] , que la résolution visait à protéger l’intérêt du public et qu’elle s’appuyait sur des rapports faits par des consultants indépendants. La municipalité a aussi plaidé que la résolution n'allait pas à l'encontre de la Loi de 2009 sur l’énergie verte et l’économie verte (Loi sur l’énergie verte) ou de l’APER, parce que des routes de rechange existaient.

La résolution va à l'encontre de l’APER

Le paragraphe 14(1) de la Loi sur les municipalités prévoit qu'un règlement municipal est sans effet dans la mesure où il est incompatible avec une loi provinciale.  Le paragraphe 14(2) de la Loi poursuit en précisant qu’il y aura incompatibilité entre un règlement municipal et un texte de nature législative si le règlement municipal va à l’encontre du texte de nature législative.[4]

La Cour a indiqué que le critère pour déterminer si la résolution va à l’encontre de l’APER exige que soient pris en compte : 1) l’objet du texte de nature législative, et 2) la question à savoir si l’exercice du pouvoir municipal est incompatible avec cet objet.

La Cour a accepté que l’objet d'une APER, en tant que texte provincial de nature législative, avait été bien expliqué par la Cour dans l’affaire East Durham Wind Inc. c. Grey (Municipality), [2014] O.J. No. 3742 (Div. Ct.). Dans cette affaire, la Cour a conclu que [traduction] « la Loi sur l’énergie verte vise, dans son ensemble, à promouvoir et à faciliter la réalisation de projets d’énergie renouvelable en Ontario ». La Cour a également conclu que, sous ce régime législatif, une APER avait pour objet d’autoriser la construction du projet en vue d’atteindre l’objectif de la province d’augmenter la production d’énergie renouvelable.

Dans l'affaire en cause, la Cour a jugé que la résolution adoptée par la municipalité allait à l’encontre de l’APER et qu’elle devait être annulée pour les motifs suivants :

  • la compétence de la municipalité sur les voies publiques est circonscrite par la Loi sur l’énergie verte et l’article 14 de la Loi sur les municipalités;

  • l’APER approuve la demande exactement comme le demandeur l’a présentée, et exige que le demandeur construise le projet conformément à la demande;

  • la demande fait explicitement référence à certaines routes d’accès, dont la route Wild Turkey;

  • le demandeur devrait demander une modification de l’APER pour être autorisé à emprunter une route de rechange (et la preuve a démontré que la municipalité était au courant de ce fait);

  • il serait inapproprié de remettre en question les éléments de l’APER compte tenu du processus exhaustif et spécialisé établi par la Loi sur l’énergie verte;

  • la municipalité ne s’est pas opposée à l’utilisation de la route Wild Turkey pendant le processus d’approbation de l'APER, bien qu’elle ait été consultée sur cette question précise;

  • l’incompatibilité doit être examinée en fonction des modalités de l’APER telle qu'elle a été approuvée, et non comme elle serait si elle était modifiée.

Les actions de la municipalité démontrent sa mauvaise foi

L’analyse de l’incompatibilité réalisée par la Cour a permis de trancher la demande; la Cour a toutefois choisi de répondre aux arguments du demandeur à savoir si la municipalité avait agi de mauvaise foi, étant donné que les motifs de la Cour sur cette question sont susceptibles d’éclairer les discussions et négociations futures entre le demandeur et la municipalité.

Selon la Cour, une municipalité fait preuve de mauvaise foi lorsqu’elle agit de façon déraisonnable et arbitraire, sans faire preuve du degré d’équité, d’ouverture et d’objectivité exigé d’une administration municipale[5] ou lorsqu’elle agit dans un but illégitime.[6]

La Cour a conclu que la municipalité avait agi de mauvaise foi, la preuve au dossier ayant démontré que la municipalité avait été motivée par son opposition au projet plutôt que par l’exercice légitime de sa compétence sur les voies publiques.  En particulier :

  • la municipalité a refusé d’entamer des discussions avec le demandeur concernant les autorisations nécessaires pour le projet avant la délivrance de l’APER;

  • la municipalité a pressé le gouvernement provincial de rejeter la demande d’APER du demandeur;

  • la municipalité n’a exprimé aucune préoccupation en ce qui a trait à l’utilisation de la route Wild Turkey avant la délivrance de l’APER, bien que les municipalités soient expressément consultées sur les routes d’accès proposées pour les projets d’énergie renouvelable;[7]

  • les arguments de la municipalité pour refuser de permettre l’utilisation de la route Wild Turkey ont changé avec le temps;

  • le propre rapport de la municipalité, sur lequel celle-ci s’est appuyée pour refuser l’accès à la route Wild Turkey, permettait de conclure que le véritable objectif de la municipalité était de s’opposer au projet;

  • le conseil municipal a adopté la résolution en cause avant que le demandeur n’ait pu remplir le document intitulé « Municipal Class Environmental Assessment », comme l’avait auparavant demandé la municipalité;

  • le fait de permettre à la municipalité de contester l’utilisation de la route Wild Turkey par le demandeur à cette étape-ci équivaut à une attaque indirecte contre l’APER, en plus de mettre en péril le processus exhaustif établi par la Loi sur l’énergie verte.

Conséquences

Cette décision, ainsi que le raisonnement dans l'affaire East Durham, souligne qu’une fois qu’une APER a été accordée prévoyant l’utilisation d’une route, une municipalité ne peut pas invoquer le pouvoir que lui confère la Loi sur les municipalités pour aller à l'encontre de l’APER de façon arbitraire ou dans un but illégitime, en refusant l’accès à cette route. 

L'objet habituel des ententes d’utilisation de la route porte notamment sur la confirmation de questions comme l’octroi d’une servitude non exclusive aux fins requises pour la construction et l’exploitation du projet éolien, la durée de l’entente et les options de renouvellement, le droit de la municipalité d’autoriser d’autres tiers à utiliser la route pour d’autres infrastructures, la communication à la municipalité des effets prévus sur la circulation routière, l’emplacement du réseau électrique le long de la route, la présentation de plans à la municipalité, les droits de déplacement, les assurances exigées, les obligations de réparation et l’indemnisation de la municipalité, mais les municipalités ne peuvent pas refuser l’accès à une route en invoquant leur pouvoir à l'égard des voies publiques en vertu de la Loi sur les municipalités.  La Cour a précisé que les questions légitimes concernant l’accès devraient être examinées dans le cadre du processus de l’APER, ce qui pourrait obliger les municipalités à se pencher de bonne foi  sur les questions névralgiques d’utilisation de la route à un stade précoce du processus d’approbation.

 

[1]     Il semble que la municipalité ait demandé à l’avocat de la municipalité d’en appeler de la décision; toutefois, en date du 28 août 2015, aucune demande d’autorisation d’interjeter appel n’avait été déposée auprès de la Cour d’appel.

[2]     Le demandeur avait également demandé une ordonnance enjoignant à la municipalité d'autoriser la construction et l’exploitation rapides du projet du demandeur; ce recours n’a cependant pas été exercé lors de l'audience de la demande.

[3]     Plus particulièrement, la partie III de la Loi sur les municipalités, confère aux municipalités la compétence sur les voies publiques.

[4]     Bien que la résolution en cause ne constitue pas un règlement municipal, le paragraphe 5(3) de la Loi sur les municipalités exige que les municipalités exercent leurs pouvoirs en adoptant des règlements. Toutefois, la Cour a fait remarquer que si un règlement permet l’adoption d’une résolution allant à l’encontre d’un texte provincial de nature législative, la résolution est sans effet.

[5]     Voir Grosvenor c. East Luther Grand Valley, (2007) O.R. (3e) 346 au paragr. 44.

[6]     Voir Roncarelli c. Duplessis, [1959] S.C.R. 121 (C.S.C.) au paragr. 143.

[7]     Voir l'article 5.2 du formulaire Consultation des municipalités conformément au Règl. de l’Ontario 359/09.