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L’arrêt Carter c. Canada (Procureur général)

Auteur(s) : Michael Watts, David Solomon

18 juillet 2016

 

Le 6 février 2015, la Cour suprême, dans Carter c. Canada (Procureur général) [1] (Carter 2015), a déclaré invalides la prohibition du Code criminel [2] à l'égard de quiconque « aide ou encourage quelqu’un à se donner la mort » et la prohibition du même code pour une personne de « consentir à ce que la mort lui soit infligée », dans la mesure où ces prohibitions privent une personne qui demande l'AMM du « droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne », infraction visée par l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés [3] (la Charte), « d’une manière non conforme aux principes de justice fondamentale ».

En faisant cette « déclaration d’invalidité », la Cour a conclu que la violation de l’article 7 de la Charte ne pouvait pas être sauvegardée par l’article premier de la Charte, en tant que « limite raisonnable » prescrite par une règle de droit « dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique ». Même si le but des prohibitions du Code criminel était de protéger les personnes vulnérables contre l’incitation à s’enlever la vie dans un moment de faiblesse, ces prohibitions étaient d’une portée beaucoup trop vaste parce qu’elles s’appliquaient à tous, y compris aux personnes qui ne sont pas vulnérables. La Cour a souscrit à la conclusion du juge de première instance, concluant, sur la foi des témoignages de scientifiques, de médecins et d’autres personnes qui connaissent bien le processus de prise de décision relatif à la fin de vie au Canada et à l’étranger, qu’un « régime permissif » comportant des « garanties adéquatement conçues et appliquées » pouvait protéger les personnes vulnérables contre les abus et les erreurs.

La Cour a suspendu l’application de sa déclaration d’invalidité pendant 12 mois, soit jusqu’au 6 février 2016, pour permettre au Parlement et aux législatures provinciales de répondre, « si elles [sic] choisissent de le faire, » en adoptant une loi compatible avec les paramètres constitutionnels énoncés dans Carter 2015. Cependant, en raison des retards occasionnés par la tenue des élections fédérales en 2015, le nouveau gouvernement fédéral libéral a demandé une prolongation de six mois de la période de suspension applicable à la déclaration d’invalidité contenue dans l’arrêt Carter c. Canada (Procureur général)[4] (Carter 2016), afin de rédiger une nouvelle loi relative à l’AMM, en débattre et l’adopter, mais il n’a obtenu de la Cour suprême qu’une prolongation de quatre mois (équivalant à la période de quatre mois pendant laquelle le Parlement a été dissout, soit du 2 août au 3 décembre 2015), soit jusqu’au 6 juin 2016.

Ne sont pas visés par cette prolongation : a) le Québec, car cette province a déjà adopté une loi détaillée sur l’AMM, soit la Loi concernant les soins de fin de vie [5] (la Loi du Québec) qui est entrée en vigueur le 10 décembre 2015; et b) les personnes d’autres provinces que le Québec qui répondent aux critères établis dans Carter 2015 et qui pourraient s’adresser à la cour supérieure de leur territoire de compétence pour exercer un « recours » (c.-à-d. une ordonnance d’un tribunal relative à l’AMM) pendant la période de prolongation. De l’avis de la Cour, le fait d’exiger l’obtention d’une autorisation judiciaire durant cette période intérimaire assure le respect de la primauté du droit et offre une protection efficace contre les risques que pourraient courir les personnes vulnérables, en attendant la nouvelle loi sur l’AMM.

Dans Carter 2016, la Cour suprême (et des tribunaux d’instances inférieures, dans des décisions ultérieures) [6] citait le paragraphe 127 de Carter 2015 comme étant le « paragraphe exécutoire » qui décrit la déclaration d’invalidité en établissant les critères selon lesquels une personne peut avoir accès à l’AMM :

[127]     La réparation appropriée consiste donc à rendre un jugement déclarant que l’al. 241(b) et l’art. 14 du Code criminel sont nuls dans la mesure où ils prohibent l’aide d’un médecin pour mourir à une personne adulte capable qui (1) consent clairement à mettre fin à sa vie; et qui (2) est affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables (y compris une affection, une maladie ou un handicap) lui causant des souffrances persistantes qui lui sont intolérables au regard de sa condition. [...]


Fait important à souligner, la Cour suprême n’a pas limité l’accès à l’AMM aux personnes mourantes ou à un stade avancé du déclin de leurs capacités. Au contraire, au paragraphe [1] de l’arrêt Carter 2015 le tribunal fait état du « choix cruel » auquel sont confrontées toutes les personnes qui demandent l’aide médicale à mourir et dont la jurisprudence subséquente a confirmé qu’il existe, qu’elles soient mourantes ou à un stade avancé de déclin :

[1]        Au Canada, le fait d’aider une personne à mettre fin à ses jours constitue un crime. Par conséquent, les personnes gravement et irrémédiablement malades ne peuvent demander l’aide d’un médecin pour mourir et peuvent être condamnées à une vie de souffrances aiguës et intolérables. Devant une telle perspective, deux solutions s’offrent à elles : soit mettre fin prématurément à leurs jours, souvent par des moyens violents ou dangereux, soit souffrir jusqu’à ce qu’elles meurent de causes naturelles. Le choix est cruel.


Comme l’a déclaré par la suite la Cour d’appel de l’Alberta dans Canada (Attorney General) v EF (demande d’autorisation judiciaire déposée dans le cadre de Carter 2016 pendant la période de prolongation susmentionnée) : [Traduction] « La situation est cruelle, que la maladie engendrant les souffrances soit classée comme terminale ou non. » [7]

En déclarant inconstitutionnelles les prohibitions sur l’AMM du Code criminel dans Carter 2015, qu’une personne malade soit en phase terminale ou à un stade avancé de déclin, la Cour suprême a reconnu l’AMM comme un droit protégé par l’article 7 de la Charte. De l’avis de la Cour, la réaction d’une personne à des problèmes de santé graves et irrémédiables est une question [Traduction] « primordiale pour sa dignité et son autonomie ». La loi permet aux personnes se trouvant dans cette situation de « demander une sédation palliative, de refuser une alimentation et une hydratation artificielles ou de réclamer le retrait d’un équipement médical essentiel au maintien de la vie », mais leur nie le droit de demander l’aide médicale à mourir. Ainsi, la loi privait ces personnes de la possibilité de prendre des décisions relatives à leur intégrité physique et aux soins médicaux et, par conséquent, portait atteinte à leur liberté. Et, en laissant ces personnes subir des souffrances intolérables persistantes, elle [Traduction] « portait atteinte à leur sécurité ». [8]

Comme l'a déclaré la juge de première instance, citée par la Cour suprême dans Carter 2015 : « Les risques inhérents à l’autorisation de l’aide médicale à mourir peuvent être reconnus et réduits considérablement dans un régime soigneusement conçu, qui impose des limites strictes scrupuleusement surveillées et appliquées » [9] La juge de première instance a conclu qu'il était possible pour « un médecin qualifié et expérimenté d’évaluer de manière sûre la capacité du patient et le caractère volontaire de sa décision, et que la coercition, l’abus d’influence et l’ambivalence pouvaient tous être évalués de façon sûre dans le cadre de ce processus ».

Pour arriver à cette conclusion, la juge de première instance « s’est surtout appuyée sur la preuve relative à l’application de la norme du consentement éclairé dans la prise d’autres décisions d’ordre médical au Canada, notamment les décisions de fin de vie ». Elle a estimé qu’« il serait possible pour les médecins d’appliquer la norme du consentement éclairé à l’égard des patients qui demandent de l’aide pour mourir, et elle a ajouté la mise en garde suivante : les médecins devraient s’assurer que les patients sont informés comme il se doit de leur diagnostic et de leur pronostic ainsi que des soins médicaux qu’ils peuvent recevoir, y compris les soins palliatifs visant à calmer la douleur et à leur éviter la perte de leur dignité ». [10]

Autrement dit, la question fondamentale que la Cour doit trancher nécessite une opinion clinique (ou deux) de la part d’un ou de plusieurs médecins (ou d’autres professionnels de la santé réglementés qualifiés) et consiste à déterminer si la personne concernée : a) a la capacité requise et b) si elle a donné son consentement éclairé à l’obtention de l’AMM, dans des circonstances qui satisfont aux autres critères établis dans Carter 2015, afin qu’il y ait un équilibre entre « le caractère sacré de la vie et la nécessité de protéger les personnes vulnérables », d’une part, et « l’autonomie et la dignité d’un adulte capable qui cherche dans la mort un remède à des problèmes de santé graves et irrémédiables », d’autre part. [11]


[1]     2015 CSC 5 (CanLII), http://canlii.ca/t/gg5z5 [Carter 2015].

[2]     LRC 1985, ch. C-46, http://canlii.ca/t/69jhf.

[3]     Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11, http://canlii.ca/t/q3x8.

[4]     2016 CSC 4 (CanLII), http://canlii.ca/t/gmxkr.

[5]     LRQ chap. S-32.0001, http://canlii.ca/t/69nmg.

[6]     Voir, par exemple, Canada (Attorney General) v EF, 2016 ABCA 155 (CanLII), http://canlii.ca/t/grqkg paragr. 4.

[7]     Ibid., paragr. 37.

[8]     Carter 2015, supra, note 5, paragr. 66.

[9]     Ibid., paragr. 105.

[10]    Ibid., paragr. 106.

[11]    Ibid., paragr. 2.