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Le projet de loi C-14 et l'écart de celui-ci par rapport à Carter 2015

Auteur(s) : Michael Watts, David Solomon

18 juillet 2016

 

Le 17 juin 2016, en réponse à Carter 2015 et après un vigoureux débat public entre la Chambre des communes et le Sénat, le Parlement a pris le projet de loi C-14, qui a reçu la sanction royale à cette date, lequel est maintenant devenu une loi en vigueur venant modifier le Code criminel). Même si le projet de loi adhère aux critères d’accès à l’AMM établis dans Carter 2015, le gouvernement fédéral libéral a ajouté des critères restrictifs qui limitent l’accès à l’AMM à « ceux dont la mort naturelle est devenue raisonnablement prévisible compte tenu de l’ensemble de leur situation médicale » :

Critères d'admissibilité relatifs à l'aide médicale à mourir

241.‍2 (1) Seule la personne qui remplit tous les critères ci-après peut recevoir l’aide médicale à mourir :

(a) elle est admissible — ou serait admissible, n’était le délai minimal de résidence ou de carence applicable — à des soins de santé financés par l’État au Canada;

(b) elle est âgée d’au moins dix-huit ans et est capable de prendre des décisions en ce qui concerne sa santé;

(c) elle est affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables;

(d) elle a fait une demande d’aide médicale à mourir de manière volontaire, notamment sans pressions extérieures;

(e) elle consent de manière éclairée à recevoir l’aide médicale à mourir.

 

Problèmes de santé graves et irrémédiables

(2) Une personne est affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables seulement si elle remplit tous les critères suivants :

(a) elle est atteinte d’une maladie, d’une affection ou d’un handicap grave et incurable;

(b) sa situation médicale se caractérise par un déclin avancé et irréversible de ses capacités;

(c) sa maladie, son affection, son handicap ou le déclin avancé et irréversible de ses capacités lui cause des souffrances physiques ou psychologiques persistantes qui lui sont intolérables et qui ne peuvent être apaisées dans des conditions qu’elle juge acceptables;

(d) sa mort naturelle est devenue raisonnablement prévisible compte tenu de l’ensemble de sa situation médicale, sans pour autant qu’un pronostic ait été établi quant à son espérance de vie.


Comme il a été souligné précédemment, la plus importante dérogation aux critères établis dans Carter 2015 est l’exigence, en ce qui concerne la signification des qualificatifs « graves et irrémédiables », que : a) la personne présente un « déclin avancé de ses capacités » et b) la mort naturelle soit « raisonnablement prévisible », même en l’absence d’un pronostic médical. Par déduction, cela exclut non seulement les personnes dont le stade de la maladie n’est ni avancé ni terminal, mais aussi les personnes qui ont des capacités, mais qui souffrent d’une maladie mentale grave et incurable ou d’une affection psychiatrique, même si cette maladie ou cette affection est grave et irrémédiable et qu’elle cause des souffrances intolérables à la personne.

Le Sénat avait d’abord voté pour modifier le projet de loi C-14 en supprimant entièrement le paragraphe 241.2 (2) ci-dessus, afin d’harmoniser le projet de loi avec les critères relatifs à l’AMM établis dans Carter 2015, mais avait fini par capituler devant la Chambre des communes, en approuvant la version de cette dernière du projet de loi, qui maintient l’intégralité du paragraphe 241.2 (2). Ce faisant, une majorité des membres du Sénat ont reconnu ou accepté : a) qu’il [Traduction] « valait mieux avoir ce projet de loi que pas de projet de loi du tout » (c.-à-d. Pour empêcher une « approche disparate de la protection des personnes vulnérables »),[1] b) que la « Chambre rouge » devait d’accepter le vote répété de la Chambre des communes élue sur sa version du projet de loi (c.-à-d. dont les Libéraux fédéraux, et non les sénateurs nommés, devront répondre aux prochaines élections); et (c) que les personnes ou les groupes exclus puissent contester la constitutionnalité du projet de loi C-14 devant les tribunaux.[2]

Même si le projet de loi C-14 prescrit que, dans les 180 jours suivant la date de son entrée en vigueur (c.-à-d. au plus tard, le 17 décembre 2016), le ministre de la Justice et le ministre de la Santé doivent entreprendre un ou des examens indépendants des questions portant sur les demandes d’aide médicale à mourir faites par des mineurs matures, sur les demandes par anticipation et sur les demandes où la maladie mentale est la seule condition médicale invoquée, il ne prescrit pas expressément l’examen de la question relative à la mort « raisonnablement prévisible ».

Les défenseurs d’un plus vaste accès à l’AMM, et de nombreux avocats et juristes, sont toutefois préoccupés par le fait que la loi exclue maintenant les adultes capables qui sont affligés d’une pathologie qui n’est pas classée comme terminale, mais qui engendre des souffrances persistantes et intolérables. Les Canadiens qui étaient auparavant admissibles à l’AMM en vertu des critères établis dans Carter 2015 (y compris les personnes qui ont reçu l’AMM au Québec ou à la suite d’autorisations judiciaires dans d’autres provinces avant l’adoption de la loi) font maintenant partie de la catégorie exclue et devront dorénavant faire face à des difficultés d’accès aux soins et à la justice, car en l’absence d’initiatives gratuites de la part du milieu juridique, ils devront puiser dans leurs propres ressources pour s’adresser aux tribunaux pour faire une demande d’accès à l’AMM en invoquant le caractère inconstitutionnel du projet de loi C-14 ou, celui-ci n’est pas jugé inconstitutionnel, ils devront demander une exemption constitutionnelle. Cela limitera l’accès à l’AMM à ceux qui auront les « moyens de payer », ce qui est incompatible avec notre système de santé publique universel.

Bien que les auteurs soient d’accord avec le point de vue juridique selon lequel le projet de loi C‑14 est inconstitutionnel à cet égard, tant qu’il ne sera pas déclaré invalide par les tribunaux en tout ou en partie, il s’agit de la « loi du pays » et les établissements de santé et les professionnels de la santé réglementés doivent dorénavant s’y conformer. Afin de se conformer l’arrêt de la Cour suprême à l’égard des droits des patients à l’autonomie et à la dignité en ce qui concerne l’AMM, les établissements de santé publics devraient instaurer ce qui suit : a) des politiques assurant que les patients reçoivent de l’information sur tous les choix en matière de soins (c.-à-d. l’AMM et les soins palliatifs) qui s’offrent à eux et qui sont appropriés en réponse aux besoins cliniques, aux préoccupations ou aux désirs des patients;[3] b) des lignes directrices concernant l'accès à l'AMM, et c) si un établissement confessionnel (ailleurs qu'au Québec) refuse de fournir l'AMM, des protocoles de recommandation afin d'assurer que le patient puisse avoir accès aux services d'AMM. De même, les professionnels de la santé réglementés devraient se familiariser rapidement avec le projet de loi C-14 et avec toute directive ou politique provenant de leur ordre professionnel en santé et des établissements de santé où ils offrent leurs services, y compris les dispositions des politiques existantes relatives à l’« obligation d’information »[4] et à toute autre « obligation de recommandation » applicable à ceux qui prévoient refuser de pratiquer d’offrir directement l’AMM au nom d’impératifs moraux.


[1]     Susana Mas, « Health minister warns of 'patchwork approach' without new doctor-assisted death law », CBC News (le 6 juin 2016), en ligne : cbc.ca http://www.cbc.ca/news/politics/philpott-assisted-dying-monday-1.3617856.

[2]     Catharine Tunney, « Liberals' assisted-dying bill is now law after clearing final hurdles », CBC News (le 17 janvier 2016), en ligne : cbc.ca http://www.cbc.ca/news/politics/assisted-dying-bill-senate-approval-1.3640195.

[3]     En vertu de l’énoncé de principes 2-15 intitulé Professional Obligations and Human Rights du Collège des médecins et chirurgiens de l’Ontario (CMCO), les médecins doivent fournir de l’information sur toutes les options cliniques qui peuvent être offertes ou appropriées en fonction des préoccupations ou des besoins cliniques des patients. Les médecins ne doivent pas dissimuler d’information relativement à l’existence de procédures ou de traitements qui seraient contraires à leur conscience ou à leurs croyances religieuses.

[4]     Ibid.