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Le recours à l’aide médicale à mourir devrait-il être signalé au coroner ?

Auteur(s) : Michael Watts

8 novembre 2016

Le 17 juin 2016, le gouvernement fédéral a adopté le projet de loi C-14 sur l’aide médicale à mourir (AMAM), à la suite de la décision rendue par la Cour suprême en 2015, dans l’affaire Carter v. Canada. Conformément aux exigences du projet de loi C-14, les ministres de la Santé provinciaux ont été chargés de mettre en œuvre l’AMAM, au moyen de divers règlements. Plus particulièrement, les ministres de la Santé des provinces sont tenus d’établir des lignes directrices relativement aux renseignements qui devront figurer sur les certificats de décès de personnes décédées qui ont eu accès à l’AMAM. La question cruciale est de savoir si l’AMAM sera établie comme la cause du décès de ces personnes, plutôt que leur maladie ou leur invalidité.

En Ontario, la politique du ministère de la Santé et des Soins de longue durée (MSSLD) sur l’AMAM enjoint les médecins à aviser le Bureau du coroner en chef (le coroner) du décès d’un patient qui a demandé l’AMAM. Le coroner doit ensuite remplir le certificat médical de décès de ces personnes. Par la suite, l’Ordre des médecins et chirurgiens de l’Ontario (l’OMCO) a créé une politique complémentaire sur l’AMAM qui ordonne aux médecins d’aviser le coroner lorsqu’ils traitent un cas lié à l’AMAM.

En ce qui concerne la façon dont le coroner doit remplir le certificat de décès dans les cas d’AMAM, le coroner en chef de l’Ontario, le Dr Dirk Huyer, a déclaré ce qui suit :

Comme dans tous les cas exigeant de faire appel à un coroner, le certificat de décès sera rempli par le coroner qui mène l’enquête, en fonction des circonstances du décès. Dans le cadre législatif actuel, la cause immédiate du décès sera généralement établie comme étant la toxicité de la combinaison de médicaments, et la pathologie initiale ayant conduit à la demande d’AMAM sera considérée comme un facteur contributif.

Tel que le prévoit la Loi sur les coroners de 1990, la notification du coroner peut avoir différentes conséquences graves : le coroner peut prendre possession du corps, examiner le corps et procéder à l’investigation nécessaire dans l’intérêt public. L’investigation du coroner peut comporter une autopsie et donner lieu à une enquête. Toutes les investigations sont différentes et sont à la discrétion du coroner. Il est probable qu’aucun préavis ne sera donné quant à la nature et à la portée de l’investigation aux personnes qui accéderont à l’AMAM avant leur décès.

En faisant participer le coroner au processus lié aux décès avec AMAM, le MSSLD a implicitement pris une position selon laquelle les décès liés à l’AMAM sont visés par l’article 10 de la Loi sur les coroners de 1990, qui prévoit que le coroner sera avisé dans délai par :

10. (1) Quiconque est fondé à croire qu'une personne est décédée,
(f) autrement que par suite d'une maladie;
(g) dans des circonstances qui peuvent exiger une investigation.

Cependant, dans une série de décisions rendues entre mars et juin 2016, avant que le projet de loi C-14 ne reçoive la sanction parlementaire, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a rendu plusieurs jugements concluant que l’article 10 de la Loi sur les coroners de 1990 ne s’appliquait pas aux demandeurs cherchant à obtenir une autorisation judiciaire d’AMAM.

Dans AB v. Canada (Attorney General), le juge Perrell a retenu l’argument selon lequel l’alinéa 10(f) de la Loi sur les coroners de 1990 ne s’appliquait pas à AB, car la cause ultime ou antécédente de son décès était son lymphome à un stade avancé, même si AB cherchait à obtenir l’AMAM. Dans OP v. Canada (Attorney General), le juge Perrell autorisait la personne qui délivrait le certificat de décès d’OP à consigner que la cause du décès était sa pathologie sous-jacente, et non l’AMAM.

De plus, dans de nombreuses décisions, le juge Perrell a nié catégoriquement que les décès liés à l’AMAM constituent des circonstances exigeant une investigation dans l’intérêt public, et il a donc conclu que l’alinéa 10(g) de la Loi sur les coroners de 1990 ne s’appliquait pas. En expliquant ses motifs, le juge Perrell a déclaré : « Autrement dit, il n’est nullement nécessaire de tenir une investigation… aux termes de la Loi sur les coroners, soit parce que les renseignements à recueillir dans le cadre de cette investigation sont déjà connus, soit parce que ce ne serait d’aucune utilité pour le public. »

D’autres juristes ontariens étaient d’accord avec le juge Perrell et ont souscrit à son analyse de la qualification appropriée des décès liés à l’AMAM ainsi qu’à son interprétation de la Loi sur les coroners de 1990.

Fait important, d’après l’interprétation que fait le juge Perrell de l’article 10 de la Loi sur les coroners de 1990, un médecin peut délivrer le certificat de décès d’un patient ayant demandé l’AMAM, sans que ne soit requise l’intervention du coroner, et sans entraîner les graves conséquences susmentionnées. Dans la mesure où l’intervention du coroner brime le droit constitutionnel à l’AMAM, l’interprétation de la loi que fait le juge Perrell concorde avec les valeurs de la Charte et l’esprit de la décision rendue dans Carter.

Maintenant que le projet de loi C-14 a reçu la sanction parlementaire du Canada, l’incidence de l’interprétation que fait le juge Perrell de la Loi sur les coroners de 1990 et des décisions antérieures au 17 juin 2016 demeure confuse. Ce qui est évident, c’est que ces décisions entrent directement en conflit avec l’interprétation de la Loi sur les coroners de 1990 que fait le MSSLD. De plus, la politique du MSSLD relative à l’AMAM va à l’encontre des modifications proposées aux lois relatives à l’AMAM dans d’autres provinces. Par exemple, au Manitoba, les progressistes conservateurs ont apporté des modifications à la législation qui permet dorénavant de citer la pathologie sous-jacente comme cause du décès dans les certificats de décès de personnes ayant demandé l’AMAM.

Les administrations hospitalières qui songent à mettre en œuvre des politiques et procédures relatives à l’AMAM devraient savoir que la validité constitutionnelle de la politique sur l’AMAM du MSSLD exigeant que les médecins avisent le coroner dans les cas liés à l’AMAM pourrait être contestée à l’avenir.

Cet article est paru à l'origine dans Hospital News.