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La stratégie en matière de PI du Canada est bien inspirée, mais inspirera-t-elle les innovateurs?

Auteur(s) : Nathaniel Lipkus

Le 4 mai 2018

Le Canada est réputé pour bien des choses – son hockey, ses soins de santé, Justin Bieber – mais certainement pas pour sa perspicacité en matière de propriété intellectuelle. Nous avons produit certaines des innovations les plus prometteuses au monde et pourtant, nous sommes éternellement à la traîne quand vient le temps de déposer des brevets et d’exploiter la valeur des nouvelles technologies grâce à l’octroi de licences et à la commercialisation de cette PI.

Pourquoi sommes-nous si peu doués pour exploiter la PI au Canada? Parce que les entreprises canadiennes qui ont réussi grâce à la PI sont plutôt rares; la PI n’est donc pas vraiment une priorité pour les chefs d’entreprise canadiens. Les magnats de l’immobilier, des services financiers et des ressources naturelles qui conseillent les entreprises émergentes attribuent rarement leur réussite à la PI. Les gagnants du grand essor des logiciels au cours de la dernière décennie ont obéi à cette idée fausse selon laquelle il est impossible de breveter un logiciel. Vous trouverez rarement un gourou d’affaires canadien convaincu de l’importance de la PI.

Même les plus belles histoires de réussite en matière de PI au Canada se sont soldées par un échec. Nortel et RIM sont rapidement montées en force grâce à une PI à la fine pointe. Après l’effondrement de ces deux sociétés, les brevets de Nortel ont été répartis entre ses principaux concurrents mondiaux. Quant à RIM, elle a versé des milliards de dollars aux titulaires de brevets partout dans le monde tandis qu’elle regardait des sociétés comme Apple et Samsung avaler l’intégralité de son marché.

Mais de récentes forces impérieuses – un changement de mentalité, mais aussi de politique publique – offrent au Canada une nouvelle occasion de devenir un chef de file mondial en favorisant et en finançant la PI, et en tirant parti de nos talents dans ce domaine.

Soutenus par l’expertise dans des domaines aussi florissants que l’apprentissage machine, des centres universitaires partout au pays ont mené des travaux de recherche transformationnelle et ont essaimé des sociétés en démarrage prometteuses afin d’exploiter la valeur de la PI canadienne grâce à des projets de commercialisation ambitieux. Nous détenons enfin un avantage. Mais nous n’avons pas encore réglé la question de la PI.

Chargé de présenter un programme d’innovation décisif, Innovation, Sciences et Développement économique Canada (ISDE) a récemment dévoilé sa stratégie en matière de propriété intellectuelle – 85,3 millions de dollars seront alloués aux initiatives d’éducation et de sensibilisation à la PI, aux outils stratégiques en PI pour la croissance, et aux modifications à apporter aux lois relatives à la PI afin de protéger les entreprises canadiennes et les établissements de recherche. ISDE mérite un A pour sa créativité. Et si on ajoute à cela son engagement pour la recherche fondamentale et les supergrappes industrielles, elle obtient un A+ pour l’ambition.

Mais lequel de ces outils convaincra les innovateurs de changer de comportement?

Les innovateurs réagissent aux mesures incitatives. Jour après jour, ils doivent faire le tri, espérant concentrer leurs efforts sur les véritables priorités. Jusqu’ici, les signaux envoyés par le gouvernement canadien n’ont jamais présenté la PI comme une véritable priorité. Le gouvernement a bien offert des crédits d’impôt pour les dépenses en recherche et développement, mais les brevets ont été exclus de ces incitatifs. Il a offert des outils d’autoassistance pour la PI et une politique de porte ouverte, mais jamais d’incitatifs financiers.

Les innovateurs ont suivi l’approche mitigée qu’a toujours adoptée le gouvernement en matière de PI, et l’attitude des innovateurs canadiens à l’égard de la PI est souvent plus négative qu’au sud de la frontière. Cette divergence est dangereuse pour les entreprises canadiennes, qui se retrouvent bien malgré elles dans la ligne de mire des titulaires de brevets américains. Les nouveaux outils stratégiques présentés par le gouvernement canadien devraient amorcer un changement de mentalité à l’égard de la PI auprès des innovateurs canadiens.

Une chose est certaine, la stratégie en matière de PI instaure une solide infrastructure de PI à l’intention des entreprises canadiennes décidées à exploiter la PI à leur avantage. Les supergrappes industrielles pourront créer des regroupements de PI de calibre mondial et les entreprises canadiennes pourront, pour la première fois, intégrer stratégiquement leur PI aux normes de la technologie mondiale. Tout en passant à l’offensive, les entreprises canadiennes seront également protégées contre les chasseurs de PI étrangers qui se servent des brevets et des marques de commerce pour les rançonner. La stratégie en matière de PI offre un nouveau départ qui était plus que nécessaire – si elle avait été en vigueur à l’époque de Nortel et de RIM, ces sociétés auraient peut-être gagné leur pari.

Mais rien de tout ça ne changera le comportement des innovateurs. Ils continueront de lutter le matin pour éteindre les feux qui se sont allumés au cours de la nuit. Les collectifs de brevets, les marchés de la PI et l’organisation des normes, ou encore les initiatives de formation sur les notions de base en PI passeront inaperçus. La stratégie en matière de PI du Canada, telle qu’elle est conçue aujourd’hui, ne suffira pas à faire pencher la balance en faveur de la PI auprès des innovateurs.

Pour changer leur comportement, il faudrait des mesures incitatives claires afin de protéger la PI. Ce que veulent les innovateurs, c’est obtenir le maximum de chaque dollar investi. Plusieurs mesures incitatives ayant fait leurs preuves – certaines modestes, certaines plus ambitieuses – ont été présentées au gouvernement en vue de soutenir la protection de la PI auprès des chercheurs et des petites entreprises, mais aussi des grandes sociétés. Ces mesures comprennent un coupon de commercialisation qui associerait le financement de la protection de la PI aux subventions de recherche, un programme de premier brevet qui aiderait les petites entreprises à déposer leur première demande de brevet, et un régime de taxation de la propriété intellectuelle prévoyant des incitatifs fiscaux pour la commercialisation de la PI canadienne.

Le gouvernement canadien connaissait très bien toutes ces mesures incitatives, puisque toutes ces options lui avaient été recommandées par des intervenants ainsi que dans des rapports des comités parlementaires. Pourtant, elles sont restées lettre morte au profit d’une infrastructure régie par le gouvernement dont l’objectif est de jeter les bases de la compétitivité canadienne.

Peut-être que la stratégie de PI annoncée cette semaine n’est qu’un début. Peut-être que, au fur et à mesure que ISDE donnera forme à sa politique en poursuivant ses annonces, de nouvelles mesures de soutien seront proposées aux innovateurs. Mais pour l’heure, rien ne changera dans le monde des innovateurs au Canada – et la PI demeurera une question en arrière-plan.

Cet article a paru à l’origine dans The Globe and Mail.