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Les disparités de traitement dans les régimes de retraite et d’avantages sociaux en fonction de la date d’embauche sont désormais interdites au Québec (est-ce vraiment le cas?)

Auteur(s) : Julien Ranger

Le 13 juillet 2018

Les écarts de pensions et d'avantages sociaux entre les nouveaux travailleurs et les travailleurs expérimentés sont devenus l’une des questions politiques de l’heure dans le secteur des régimes de retraite et des avantages sociaux au Québec. Au cours des dernières années, les syndicats ont intensifié leurs pressions auprès du gouvernement du Québec en vue de faire bannir la pratique courante d’offrir des régimes de retraite et d’avantages sociaux différents aux employés, en fonction de leur date d’embauche.

Les dispositions figurant dans les régimes de retraite et d’avantages sociaux visant l’exclusion des nouveaux employés sont souvent appelées « clauses de disparit » ou « clauses orphelines » (ce dernier terme étant souvent utilisé pour évoquer la « vulnérabilité » des nouveaux employés et leur isolement par rapport au reste du groupe d’employés).

Il ressort donc de l’adoption du projet de loi 176, Loi modifiant la Loi sur les normes du travail et d’autres dispositions législatives afin principalement de faciliter la conciliation famille-travail, par l’Assemblée nationale du Québec, le 12 juin 2018, que le lobbyisme entrepris par les syndicats a porté ses fruits, du moins en partie.

Bien que les principaux objectifs du projet de loi 176 soient d’étendre les congés sociaux et de réglementer les agences de placement de personnel, ce projet de loi comporte également une disposition d'apparence toute simple visant à interdire les disparités de traitement dans les régimes de retraite et d’avantages sociaux en fonction de la seule date d’embauche.

Ce que signifie cette interdiction...

À la suite de l’adoption du projet de loi 176, l’article 87.1 de la Loi sur les normes du travail (Québec) comportera dorénavant l’alinéa suivant :

Est également interdite une distinction fondée uniquement sur une date d’embauche, relativement à des régimes de retraite ou à d’autres avantages sociaux, qui affecte des salariés effectuant les mêmes tâches dans le même établissement.

Cette disposition empêchera les employeurs de faire des distinctions en fonction de la date d’embauche, non seulement dans leurs régimes de retraite, mais aussi dans leurs autres régimes d’avantages sociaux, tels que les régimes d’assurance collective. L’exemple le plus évident des répercussions du projet de loi 176 est qu’un employeur ne pourra plus interdire l’accès à un régime à prestations déterminées (« PD ») seulement aux nouveaux employés embauchés à une date « X » ou ultérieurement.

L’interdiction d’imposer un « gel complet » (« hard freeze») à l’égard des participants à des régimes PD au Québec est déjà en vigueur (c.-à-d. qu’il faut continuer à tenir compte des hausses salariales accordées aux participants à des régimes PD au Québec dans le calcul de leurs prestations, même s’ils cessent d’accumuler des années de service). En plus de cette limite déjà en place, les employeurs ne peuvent maintenant plus interdire l’accès à leurs régimes PD aux nouveaux employés.

Même si le principal objectif de cette nouvelle interdiction est sans doute de permettre l’accès aux régimes PD aux nouveaux employés, la portée du projet de loi 176 est plus vaste et empêchera également d’autres types courants de modifications aux régime :

  • les employeurs ne pourront plus incorporer, dans un régime à cotisations déterminées, un barème de cotisations ou des cotisations de contrepartie ne s’appliquant qu’aux employés embauchés après une certaine date;
  • les employeurs ne pourront pas interdire l’accès aux régimes d’avantages sociaux après-retraite aux nouveaux employés;
  • les employeurs ne pourront pas instaurer un régime ou une protection d’assurance collective différent(e) à l’intention des employés embauchés après une certaine date.

Mais cette interdiction...

Le projet de loi 176 n’est pas rétroactif. Les écarts dans les avantages sociaux fondés sur la date d’embauche instaurés avant le 12 juin 2018 peuvent continuer de s’appliquer. Si un employeur a interdit l’accès à son régime PD ou à son régime d’avantages sociaux après-retraite aux nouveaux employés avant le 12 juin 2018, cette « distinction », cette restriction ou ce « gel » est toujours valide et continue de s’appliquer.

Il importe également de noter les points suivants relativement à l’application et aux conséquences du projet de loi 176 :

  • Il ne s’applique qu’aux employés en poste au Québec qui relèvent de la compétence provinciale. L’interdiction ne s’applique pas aux employés du Québec travaillant dans une entreprise assujettie aux lois fédérales, ni aux travailleurs non québécois qui participent à des régimes enregistrés au Québec. Elle s’applique toutefois aux employés du Québec qui participent à des régimes enregistrés à l'extérieur du Québec.
  • Elle n’empêche pas les employeurs de traiter les employés différemment en fonction de facteurs autres que la date d’embauche (pourvu que ces facteurs soient autorisés par les lois sur les droits de la personne ou sur les normes de pension). Par exemple, les employés du secteur de la fabrication et les employés de bureau pourraient encore se voir offrir des avantages sociaux différents.
  • Cela n’empêche pas les employeurs d’interdire l’accès à leurs régimes ni de modifier les prestations, tant que ces modifications s’appliquent à tous les participants d’une catégorie d’employés, et pas seulement aux nouveaux employés.

Il ne fait aucun doute que le projet de loi 176 enlèvera une certaine souplesse dans la conception des régimes. Cela dit, il reste des façons de structurer les modifications à apporter aux modèles de régimes pour que les employeurs puissent atteindre leurs objectifs sans enfreindre l’interdiction prévue par le projet de loi 176. Nous invitons les employeurs à nous consulter avant de conclure que certaines modifications ne peuvent pas être apportées.