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Première analyse des répercussions de la décision de la Cour suprême du Canada dans la cause Redwater

Auteur(s) : Janice Buckingham, c.r., Emily Paplawski, Melanie Gaston

Le 1er février 2019

Introduction

Il y a près de quatre ans, Redwater Energy Corporation (Redwater) a fait l’objet d’une mise sous séquestre par son principal créancier garanti, Alberta Treasury Branches (ATB). Ce qui, au départ, était le cas de l’insolvabilité d’une seule petite société pétrolière et gazière exploitant une centaine de biens visés par des permis délivrés par l’Alberta Energy Regulator (l’AER) a provoqué une réflexion nationale sur la politique environnementale et les secteurs de l’énergie et des services financiers. En Alberta, cette affaire a mis au jour des failles dans le régime provincial de réglementation du secteur de l’énergie et mis en évidence les conséquences financières de ces failles sur les sociétés de ressources et le public albertains.

En première instance, Redwater Energy Corporation (Re), 2016 ABQB 278, le juge en chef Wittmann avait conclu que les dispositions du régime de réglementation provincial prescrites dans la Oil and Gas Conservation Act[1] (OGCA) et dans la Pipeline Act[2] (PA) étaient inopérantes dans la mesure où elles exigeaient qu’un syndic satisfasse aux obligations inhérentes à l’abandon et à l’assainissement des puits de pétrole et de gaz d’un débiteur insolvable avant les réclamations des créanciers garantis. Près d’un an plus tard, la Cour d’appel de l’Alberta a confirmé cette décision ainsi que les motifs du juge en chef Wittmann en première instance, mais a exprimé une forte dissidence par la voix de la juge Sheila Martin.[3] Les yeux de l’Alberta et du pays tout entier se sont alors tournés vers la Cour suprême du Canada (CSC), les secteurs de l’énergie et des services financiers et les différents organismes de réglementation, pour ne nommer que ceux-là, en espérant obtenir une réponse claire concernant la capacité des professionnels de l’insolvabilité d’exclure certains biens assortis d’obligations de fin de vie de l’actif du débiteur, dans le but de maximiser l’actif du failli.

Le 31 janvier 2019, dans une décision partagée (cinq contre deux), la majorité des juges de la CSC ont accueilli l’appel de l’AER et de l’Orphan Well Association (OWA) et a déclaré que les obligations du débiteur, associées à l’abandon et à la remise en état, lient également le syndic, que ces obligations ne constituent ni des réclamations des « créanciers » ni des réclamations prouvables en matière de faillite, et que, par conséquent, ces obligations n’entrent pas en conflit avec le régime de priorité établi dans la Loi sur la faillite et l’insolvabilité[4] (BIA). Adoptant une démarche résolument différente de celle utilisée par le juge de première instance et par les juges majoritaires de la Cour d’appel, le juge en chef Wagner conclut, en s’exprimant au nom de la majorité des juges de la CSC, que l’AER a agi dans l’intérêt public et pour le bien public en rendant les ordonnances d’abandon et en assurant le respect des exigences relatives à la cote de gestion de la responsabilité. Suivant ce raisonnement, le régime de réglementation provincial peut coexister et s’appliquer conjointement avec la LFI.

Cette décision met fin à l’incertitude du traitement des obligations de fin de vie incombant aux débiteurs titulaires de permis de l’AER faisant l’objet d’une procédure d’insolvabilité. Selon la CSC, la valeur des principaux éléments d’actif d’un débiteur, ainsi réduite des obligations d’abandon et de remise en état, correspond simplement au coût inhérent des permis détenus par le débiteur pour les éléments d’actif visés et résulte du choix de l’Alberta de se doter d’un régime de réglementation l’industrie pétrolière et gazière et de contrôler l’impact de celle-ci sur l’environnement. Bien que cette décision ne concerne que la province de l’Alberta, celle-ci aura assurément des répercussions sur la réglementation des ressources naturelles partout au Canada, ainsi que sur les sources de financement des intervenants de l’industrie.

La CSC semble bien avoir tranché la question pour le moment, mais l’avenir nous dira si le gouvernement fédéral donnera suite à la demande formulée par les juges des différents tribunaux qui ont eu à se prononcer dans cette affaire de passer en revue le régime d’insolvabilité fédéral de manière à ce qu’il tienne compte de la nature et des besoins propres au secteur de ressources naturelles canadien. En attendant, l’AER, les intervenants de l’industrie, les institutions financières, les professionnels de l’insolvabilité ainsi que les législateurs provinciaux doivent travailler ensemble pour assurer le développement continu et responsable d’une des plus importantes ressources du pays, soit le pétrole et le gaz de l’Alberta.

Contexte

Le contexte entourant l’affaire Redwater est bien connu en Alberta. Redwater était un petit producteur de pétrole et de gaz coté en bourse. Lorsque son principal créancier garanti, Alberta Treasury Branches (ATB), a exigé le remboursement de sa créance, les services de Grant Thornton ont été nommés à titre de séquestre de Redwater en vertu de l’article 243 de la LFI.

Dès sa nomination, le séquestre a procédé à une évaluation des biens de Redwater visés par des permis et a avisé l’AER qu’il ne prendrait le contrôle que d’une vingtaine des 127 biens pour lesquels Redwater détenait des permis. Le séquestre a établi que seule cette vingtaine de biens avait de la valeur et il a donc renoncé aux autres biens ou les a abandonnés.

Peu après, l’AER a rendu des ordonnances de fermeture et d’abandon relativement aux biens visés par des permis auxquels le séquestre avait renoncé, et a déposé une demande visant à contraindre le séquestre à se conformer aux ordonnances et à s’acquitter de toutes les obligations réglementaires de Redwater relatives à l’abandon, à la remise en état et à l’assainissement des biens visés par des permis.

Le 28 octobre 2015, une ordonnance de faillite a été rendue à l’égard de Redwater, nommant Grant Thornton à titre de syndic de faillite. Le syndic a abandonné les éléments d’actif auxquels il avait renoncé en tant que séquestre, et a précisé qu’il n’avait pas l’intention de se conformer aux ordonnances de fermeture et d’abandon.

Comme nous l’avons vu dans des bulletins antérieurs d’Actualités Osler, la Cour du banc de la Reine de l’Alberta a conclu que la réclamation d’ATB, le principal créancier garanti de Redwater, avait priorité sur les obligations associées à la remise en état des puits et que, par conséquent, les syndics étaient autorisés à renoncer aux droits de la débitrice insolvable dans des biens visés par des permis et à vendre les biens visés par des permis ayant de la valeur, afin de maximiser l’actif de la débitrice. Cette décision de la Cour du banc de la Reine de l’Alberta a été confirmée en appel, malgré une forte dissidence exprimée par la juge Martin (qui siégeait à la Cour d’appel à ce moment-là).

L’AER et l’OWA ont ensuite fait appel de la décision devant la CSC.

Décision

S’exprimant au nom de la majorité, le juge en chef Wagner a déclaré que l’utilisation par l’AER des pouvoirs que lui confère la loi ne créait pas de conflit avec la LFI de façon à déclencher l’application de la doctrine de la prépondérance fédérale. En concluant qu’il n’existait pas de conflit entre le régime réglementaire provincial et la LFI, le juge en chef Wagner a tenu compte à la fois de l’incidence de l’article 14.06 de la LFI et de la question de savoir si les ordonnances d’abandon rendues par l’AER avaient été, ou non, correctement interprétées comme constituant des réclamations prouvables, selon les principes établis antérieurement par la Cour suprême du Canada dans TerreNeuveetLabrador c. AbitibiBowater Inc., 2012 CSC 67 (l’« arrêt Abitibi »).

En ce qui a trait au paragraphe 14.06(4) de la LFI, les juges majoritaires ont déclaré que l’objectif de cette disposition est manifestement de protéger les syndics contre toute responsabilité personnelle découlant du non‑respect d’ordonnances environnementales ou associée aux frais engagés par toute personne exécutant ces ordonnances. Comme l’a noté le juge en chef : « la disposition ne dit rien à propos de la responsabilité du « failli » ou de l’« actif », des notions distinctes mentionnées à maintes reprises dans la LFI ». Le paragraphe 14.06(4) concerne la responsabilité personnelle des syndics et il ne les investit pas du pouvoir de se soustraire aux engagements environnementaux auxquels l’actif qu’ils administrent est assujetti. La Cour a déclaré que la disposition découle du souci de protéger les syndics et a été adoptée en réponse à cette préoccupation, et non en vue de préserver la pleine valeur de l’actif au profit des créanciers.

Le juge en chef Wagner a donc conclu que la renonciation du syndic à un bien réel, en cas d’ordonnance environnementale, ne fait que protéger le syndic contre toute responsabilité personnelle, alors que la responsabilité continue de du débiteur failli demeure inchangée. Par conséquent, comme l’AER n’avait pas tenté de tenir le syndic personnellement responsable des frais d’abandon et avait seulement cherché à recouvrer ces frais contre la valeur de l’actif, il n’y avait aucun conflit d’application ni aucune entrave à l’application des dispositions de la LFI.

Quant à question de savoir si les ordonnances d’abandon être considérées comme des réclamations « prouvables en matière de faillite » et ainsi être assujetties au régime de priorité de la LFI, le juge en chef Wagner a appliqué, comme l’avaient fait les tribunaux d’instance inférieure, le test établi dans la décision antérieure de la Cour suprême dans l’arrêt Abitibi. Or, contrairement à ces tribunaux, le juge en chef Wagner n’est pas d’avis que le fait qu’une ordonnance d’abandon diminue la valeur de l’actif du failli est suffisant pour faire de cette ordonnance une réclamation prouvable en matière de faillite : « il subsiste une distinction entre [...] l’organisme de réglementation qui agit comme créancier car il recouvre une dette et celui qui n’est pas un créancier car il applique la loi ». Comme il a été décidé dans une décision antérieure de la Cour d’appel de l’Alberta, Panamericana de Bienes y Servicios S.A. c. Northern Badger Oil & Gas Ltd., 1991 ABCA 181, décision que la Cour considère toujours valide en droit canadien, un organisme de réglementation qui fait respecter un devoir public au moyen d’une ordonnance non pécuniaire n’est pas un créancier.

Après examen de l’objet et de l’incidence des ordonnances d’abandon, les juges majoritaires ont déclaré que : « Les obligations de fin de vie que l’organisme de réglementation veut imposer à Redwater sont de nature publique. Ni l’organisme de réglementation ni le gouvernement de l’Alberta ne peuvent bénéficier financièrement de l’exécution de ces obligations. Ces obligations à caractère public sont non pas envers un créancier, mais envers les concitoyens et échappent donc à la portée des ‘réclamations prouvables’. »

La Cour a donc accueilli l’appel, déclarant que : a) il n’y avait pas de conflit entre le régime de réglementation de l’Alberta et la LFI; b) bien que le syndic demeurait entièrement dégagé de toute responsabilité personnelle en vertu des lois fédérales, il ne pouvait se soustraire aux engagements environnementaux associés à l’actif du failli en invoquant le paragraphe 14.06(4); et c) d’après une juste application du test établi dans l’arrêt Abitibi, l’AER n’était pas un créancier de Redwater (premier volet du test), et les obligations environnementales de fin de vie de Redwater ne satisfaisaient pas la norme de la certitude suffisante en ce qui concerne la valeur pécuniaire (troisième volet du test) pour constituer une réclamation prouvable en matière de faillite. Ainsi, il a été déterminé que les obligations de Redwater envers l’AER n’étaient pas assujetties au régime de la priorité de la LFI.

La dissidence

Dans l’exposé des motifs des juges dissidents, la juge Côté, s’exprimant à la fois en son nom et au nom du juge Moldaver, reprend l’essentiel de l’analyse effectuée par les juges majoritaires de la Cour d’appel, et répond directement à l’analyse et aux motifs du juge en chef Wagner. Se penchant d’abord sur l’application et l’interprétation de l’article 14.06 de la LFI, la juge dissidente explique comment la décision rendue par les juges majoritaires supprime, sur le plan opérationnel, le droit exprès d’abandonner des biens non rentables (un droit expressément accordé par cet article) au profit général de l’actif.

Concernant ensuite l’application aux principes du fédéralisme coopératif et de la prépondérance fédérale, la juge Côté renvoie au libellé de l’article 14.06 qui précise que ces principes ne s’appliquent pas. Pour ces raisons, la juge dissidente estime que le régime de délivrance de permis pour l’exploitation de biens pétroliers et gaziers de l’Alberta entre en conflit avec la LFI et entrave la réalisation du régime de priorité établi dans cette loi. Selon elle, le régime de délivrance de permis de l’Alberta sert en fait de mécanisme de recouvrement de créances à l’endroit de sociétés en faillite et empêche un syndic de s’acquitter de ses obligations à titre de syndic lorsque les réclamations environnementales de l’AER n’ont pas été réglées.

La juge Côté est préoccupée par le fait que les juges majoritaires viennent préciser la décision relativement récente rendue dans l’arrêt Abitibi. Elle affirme que la concession de l’AER, devant les deux tribunaux d’instance inférieure, selon laquelle il est un créancier, satisfait suffisamment le premier volet du test formulé dans l’arrêt Abitibi, et que les faits examinés par les tribunaux d’instance inférieure établissent la preuve nécessaire aux fins du troisième volet du test (celui de la norme de la certitude suffisante de la valeur pécuniaire). Par ailleurs, tout comme les juges majoritaires, la juge dissidente reconnaît que le deuxième volet du test est satisfait, et aucune analyse plus approfondie n’est requise.

La juge Côté conclut qu’il peut exister des arguments irréfutables menant à la conclusion formulée par les juges majoritaires, mais elle fait remarquer que la CSC est un tribunal de droit, et non de politique, et que l’obligation de la Cour, en l’instance, est d’interpréter la loi et de l’appliquer. Elle s’oppose au fait qu’en « écartant [...] le principe du « pollueur‑payeur » adopté par le Parlement en faveur d’un régime du « prêteur‑payeur », l’AER fait passer la responsabilité à l’égard des engagements environnementaux du failli aux créanciers de celui-ci.

Répercussions

  1. Les juges majoritaires et les juges dissidents s’entendent pour dire que l’interaction entre le régime de délivrance de permis de l’Alberta et la législation sur la faillite et l’insolvabilité devrait faire l’objet d’un réexamen parlementaire. En effet, l’article 14.06 « n’est pas un modèle de clarté » et le « Parlement pourrait fort bien vouloir réexaminer cet article durant sa prochaine étude de la LFI ».
  2. Le principe du « pollueur‑payeur » a reçu un appui massif des intervenants du secteur de l’énergie tant sur le plan moral, économique, réglementaire qu’intellectuel, lequel principe a conduit à la décision de la CSC et est maintenant reconnu par la plus haute instance judiciaire du Canada. Les intervenants de l’industrie sont d’accord avec le principe sous-jacent à la décision de la CSC, et l’Association canadienne des producteurs pétroliers fait remarquer que la valeur d’un élément d’actif d’une société en faillite devrait être utilisée pour couvrir les frais de décontamination, de façon à ce que la responsabilité de ces travaux ne revienne pas aux autres intervenants de l’industrie ou encore au public.[5]  L’AER a précisé qu’elle « [traduction] croit fermement que le public ne devrait pas être tenu d’assumer les frais de fermeture et de remise en état qui sont imputables au titulaire de permis insolvable[6]». L’OWA, une entité indépendante sans but lucratif à qui l’AER a délégué le pouvoir d’abandonner et de remettre en état les puits orphelins et qui est financée principalement et directement par le secteur de l’énergie, salue la décision de la CSC, mais soutient que le problème se creuse depuis de nombreuses années et qu’il faudra probablement plusieurs années pour le régler.[7]
  3. Bien que la décision serve bien les entités qui souhaitent « [traduction] le rétablissement de l’équilibre entre les obligations environnementales et les intérêts des créanciers au niveau qui existait depuis bien des années avant cette affaire[8]», ce rétablissement pourrait avoir de lourdes conséquences. Le secteur de l’énergie se heurte à d’importantes contraintes économiques et politiques alors qu’il est soumis à des tensions juridiques sans précédent et à une incertitude réglementaire. Combinées à une série de restrictions imposées aux régimes d’accès aux pipelines, à la compression des régimes de production prévus par la loi, à la volatilité du prix des produits de base, à la tarification du carbone, aux projets de loi visant à restreindre la construction de nouvelles infrastructures, aux politiques relatives aux changements climatiques, aux relations interprovinciales tendues, à l’incertitude entourant les élections provinciales et fédérales imminentes, les répercussions de cette décision de la CSC pourraient exacerber l’instabilité en matière de prêts et d’investissements qui mine le secteur de l’énergie.
  4. Lorsqu’un titulaire de permis est susceptible de subir une décote aux termes du Programme d’évaluation de la responsabilité du titulaire de permis, nous croyons, et le public le croit probablement aussi, que l’AER prendra des mesures et interviendra. À tout le moins, nous nous attendons à ce que l’AER surveille de beaucoup plus près les activités de ses titulaires de permis, et à ce qu’il prenne des mesures en conséquence si une cote de responsabilité devient préoccupante.
  5. Bien que certains prêteurs puissent avoir tenu compte des risques associés à cette décision dans le calcul de la valeur d’emprunt dès que la CSC a accueilli le pourvoi, la décision rendue par la CSC dans cette affaire servira vraisemblablement, selon nous, de nouveau fondement aux prêteurs pour réduire le montant des prêts susceptibles d’être consentis aux producteurs d’énergie, surtout à ceux ayant d’importantes obligations d’abandon et de remise en état associées à leur actif. Même si les prêteurs tiennent déjà compte des obligations d’abandon et de remise en état d’un emprunteur dans le calcul du montant d’un prêt, nous croyons que la façon dont elles le seront changera. Ceux-ci pourraient chercher à déduire la valeur non actualisée des obligations d’abandon et de remise en état de la valeur de l’actif d’une société, ce qui entraînera une diminution du montant d’un prêt par rapport à l’ancienne méthode de calcul, laquelle reposait sur des rapports d’ingénierie fixant la valeur actuelle de ces obligations en fonction de la valeur des biens à la fin de leur vie productive ou de leur vie de réserve. Pour s’assurer que les emprunteurs traitent leurs obligations d’abandon et de remise en état au moment où elles sont contractées, plutôt que d’en différer la responsabilité à un moment ultérieur donné, les prêteurs pourraient également assujettir leurs prêts à de nouveaux engagements obligeant les emprunteurs à remplir chaque année certaines obligations d’abandon et de remise en état et à en rendre compte régulièrement, de sorte que les producteurs seraient contraints de financer l’exécution de ces obligations à même leurs flux de trésorerie courants. Nous pourrions même constater à l’avenir que les prêteurs font preuve d’une plus grande diligence en vérifiant les partenaires ayant un intérêt économique direct d’un emprunteur, de manière à évaluer les risques de responsabilité supplémentaires auxquels s’expose ce dernier lorsqu’il s’associe à des partenaires éventuellement insolvables dans le cadre de coentreprises, ou à évaluer si ces partenaires en coentreprise pourraient éventuellement assumer une partie des risques en cas d’insolvabilité éventuelle des emprunteurs.
  6. Les sociétés cotées en bourse ayant d’importantes obligations d’abandon et de remise en état, mais dont la cote de gestion de responsabilité à titre de titulaire de permis est faible, pourraient voir leur cours boursier décliner si les actionnaires venaient à croire qu’il deviendra plus difficile pour ces sociétés de financer leurs activités futures. Le déclin de leur cours boursier entraînerait une diminution de leur capacité de à mobiliser des capitaux et, par conséquent, de leur capacité à réussir. Le groupe d’acheteurs souhaitant acquérir de telles sociétés ou les actifs de celles-ci a très certainement diminué, mais ceux qui restent sont conscients des risques associés aux obligations d’abandon et de remise en état (voir Sequoia Resources Corp.)[9]. Les sociétés dont les bilans sont solides, dont la cote de gestion de responsabilité est élevée et qui ont la capacité de satisfaire les obligations supplémentaires en matière de communication de l’information financière établies par l’AER, dans l’exercice de son vaste pouvoir discrétionnaire concernant l’approbation de cessions de permis, auront les meilleures chances de réussir, en patientant avant de réaliser une acquisition d’entreprise ou d’éléments d’actif d’une société dont la capacité d’emprunt a fléchi ou dont les titres ont stagné, ou en accélérant le processus d’acquisition ou d’entrée en coentreprise. 
  7. En ce qui concerne les personnes invitées à siéger au conseil d’administration de sociétés pétrolières et gazières, cette décision de la Cour suprême du Canada leur rappellera de faire preuve d’une vigilance appropriée dans l’évaluation des obligations d’abandon et de remise en état et de l’incidence de ces obligations sur la capacité et les sources d’emprunt de la société aux fins du financement de ses activités. En ce qui concerne les sociétés dont les obligations d’abandon et de remise en état sont élevées, dont la cote de gestion de responsabilité est faible et qui sont incapables de financer adéquatement leurs obligations à l’aide de leurs flux de trésorerie, leur conseil d’administration pourrait envisager d’avoir recours à d’autres sources de capitaux ou de réaliser des opérations de fusion, d’acquisition, de dessaisissement ou de restructuration, afin d’assurer le paiement des obligations de fin de vie, de renforcer le bilan et d’éviter la faillite.
  8. Bien que cette décision rétablisse une certitude en ce qui concerne la responsabilité découlant des obligations d’abandon et de remise en état dans le cadre d’une mise sous séquestre, les conséquences sur le financement par emprunt pourraient faire en sorte que le rétablissement de l’équilibre tant attendu par l’industrie s’avère contraignant pour certains, et créateur d’occasions pour d’autres.   

Les auteurs tiennent à remercier les personnes suivantes pour leur contribution lors de la préparation de ce bulletin : Lorne Carson et Andrea Whyte.

 

[1] Oil and Gas Conservation Act, RSA 2000, c. O-6.

[2] Pipeline Act, RSA 2000, c P-15.

[3] Orphan Well Association v Grant Thornton Limited, 2017 ABCA 124.

[4] Bankruptcy and Insolvency Act, RSC 1985, c B-3.

[5] Voir le communiqué de presse du 31 janvier 2019 publié par Brad Herald, vice-président, Western Canada Operations, Canadian Association of Petroleum Producers à https://www.capp.ca/media/news-releases/redwater-decision

[6] Voir le communiqué de presse du 31 janvier 2019 publié par Gordon Lambert, président & directeur général d'Alberta Energy Regulator à https://www.aer.ca/providing-information/news-and-resources/news-and-announcements/news-releases/public-statement-2019-01-31

[7] Voir le communiqué de presse du 31 janvier 2019 publié par la Orphan Well Association à www.orphanwell.ca/wp-content/uploads/2019/01/OWA-Media-Release-Redwater-Decision-2018-01-31.pdf

[8] Supra, Note 4

[9] "PricewaterhouseCoopers Inc., LIT, in its capacity as the Trustee in Bankruptcy of Sequoia Resources Corp. and not in its personal capacity v. Perpetual Energy Inc., Perpetual Operating Trust, Perpetual Operating Corp. and Susan Riddell Rose, Alberta Court of Queen’s Bench Action No. 1801-10960".