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La CSC confirme l’application de la règle anti-privation

Auteur(s) : Mary Paterson, Lindsay Rauccio

Le 13 octobre 2020

Dans la décision, Chandos Construction Ltd. c. Restructuration Deloitte Inc., la Cour suprême du Canada a confirmé l’application de la règle de common law appelée la règle anti-privation dans le contexte d’une poursuite en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité.

La règle anti-privation s’applique aux clauses qui sont déclenchées par une insolvabilité et qui ont pour effet de réduire la valeur de l’actif de l’entreprise insolvable. Selon cette règle, ces clauses sont nulles et inapplicables. La présente affaire a des répercussions sur les parties commerciales cherchant à se protéger si leur partie défaillante demande d’être protégée contre la faillite ou l’insolvabilité pendant l’exécution du contrat.

Faits

Chandos Construction Ltd. a conclu un contrat de sous-traitance avec Capital Steel Inc. se rapportant à la construction d’un projet de condominium à St. Albert, en Alberta. 

Le contrat à forfait conclu entre Chandos et Capital Steel comprenait une clause qui a été déclenchée « dans le cas où le sous-traitant devient insolvable, fait faillite, liquide ou distribue autrement ses actifs, permet la nomination d’un séquestre pour son entreprise, cesse d’exercer ses activités ou ferme ses chantiers », parmi d’autres événements.

Si la clause a été déclenchée, alors quatre conséquences sont survenues, dont la quatrième a contrevenu à la règle anti-privation. Cette conséquence obligeait Capital Steel à « renonce[r] à 10 % du prix du présent contrat de sous-traitance en faveur de l’entrepreneur à titre de frais pour les dérangements liés à l’achèvement des travaux par d’autres moyens et/ou pour la surveillance des travaux durant la période de garantie » (la clause de renonciation).

Lorsque Capital Steel a déclaré faillite, Chandos a cherché à recourir à la clause de renonciation pour réduire le montant qu’elle devait à Capital Steel aux termes du contrat de sous-traitance. Chandos devait à Capital Steel 149 618,37 $, mais elle a soutenu qu’elle avait le droit de déduire de cette somme le montant exigé pour remplir le contrat (22 800 $) et que Capital Steel devait renoncer aussi à la somme 10 % (137 330,05 $). Chandos a, par conséquent, soutenu qu’elle ne devait rien à Capital Steel, mais que c’était plutôt Capital Steel qui lui devait 10 511,66 $.

Le syndic a demandé des directives à la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta quant à la validité de la clause de renonciation

Le juge de première instance a estimé que la clause était valide en concluant que « tant que celle-ci ne vise pas à éviter l’effet des lois en matière de faillite, la règle anti-privation n’empêche pas les parties contractantes de convenir que, en cas d’insolvabilité de l’une d’entre elles, l’autre peut réclamer des dommages-intérêts liquidés. »

En appel, les juges majoritaires de la Cour d’appel de l’Alberta ont fourni un sommaire de la règle anti-privation dans la common law canadienne. Au final, les juges majoritaires ont conclu que la clause violait la règle anti-privation, notant qu’« une stipulation peut être invalide si elle viole la règle anti-provision ou s’il s’agit d’une clause pénale inexécutoire. »

Décision de la majorité : Confirmer le test fondé sur les effets à deux volets

Les juges majoritaires de la Cour suprême ont confirmé que le test approprié pour déterminer si la règle anti-privation a été violée consiste à déterminer si

  1. l’application de la clause pertinente a été déclenchée par une insolvabilité ou une faillite;
  2. la clause a pour effet de réduire la valeur de l’actif de la personne insolvable.

En confirmant ce test, les juges majoritaires ont refusé d’adopter la demande de l’appelante d’utiliser un test fondé sur l’objectif commercial véritable, demande qui a été adoptée par le R.-U. dans la décision Belmont Park Investments Pty. Ltd. v. BNY Corporate Trustee Services Ltd.

Écrivant pour la majorité, le juge Rowe a souligné qu’adopter un test fondé sur l’objectif commercial véritable

  • contournerait le régime législatif du législateur selon lequel l’ensemble des biens d’un failli doivent être dévolus au syndic, comme il est prévu à l’article 71 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité;
  • créerait une instabilité commerciale puisque l’application d’un tel test obligerait les tribunaux à déterminer l’intention des parties contractantes bien après les faits, ce qui nuirait à l’administration efficace des faillites d’entreprise;
  • encouragerait les parties qui peuvent plausiblement prétendre être de bonne foi à s’accorder une préférence à l’encontre des autres créanciers en insérant de telles clauses dans leurs contrats.

Le juge Rowe a également souligné qu’un test fondé sur les effets serait également conforme à la règle du pari passu prévue à l’article 141 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité.

Enfin, le juge Rowe a souligné qu’il y avait des nuances dans l’application de la règle anti-privation. Par exemple, les parties contractantes peuvent se protéger contre les risques potentiels liés à une insolvabilité ou une faillite. À cette fin, les parties peuvent inclure des clauses dans un contrat qui :

  • retirent certains biens de l’actif, sans pour autant réduire la valeur de ce dernier;
  • s’appliquent dans les cas où l’effet est déclenché par autre chose qu’une insolvabilité ou une faillite;
  • permettent d’obtenir une garantie, une assurance ou exigent une garantie d’un tiers.

Dissidence : Aller vers un test fondé sur l’objectif commercial véritable

La juge Côté a rédigé l’opinion dissidente, soulignant que bien qu’elle soit d’accord avec la description générale de l’existence d’une règle anti-privation dans la common law canadienne, elle était en désaccord avec le fait que le test fondé sur les effets présenté par la majorité devrait prévaloir.

Elle préfère plutôt le test fondé sur l’objectif commercial véritable utilisé au R.-U., dans le cadre duquel les tribunaux examineraient le contrat entre les parties contractantes pour déterminer s’il y a présence ou absence d’un fondement commercial légitime pour justifier une transaction ou une stipulation et, s’il y a une telle présence, cela veut dire qu’il n’y a aucun fondement pour conclure qu’il viole la règle anti-privation.

En adoptant ce test, la juge Côté a conclu que la liberté commerciale des parties serait mieux respectée par les tribunaux et les clauses commerciales seraient maintenues.

Il reste à déterminer si le test fondé sur les effets approuvé par la majorité dans Chandos ferait en sorte que plus d’ententes commerciales seraient conclues, ou si les nuances relevées par le juge Rowe seraient plus utilisées pour contourner la règle anti-privation.