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Employés visés : La Cour supérieure du Québec clarifie le statut des réclamations des employés dans le cadre de procédures LACC

Auteur(s) : Sandra Abitan, Ad. E. , Julien Morissette, Ilia Kravtsov, Maggie Fortin

Le 15 septembre 2023

Les licenciements et les réductions d'effectifs sont des caractéristiques de la plupart des restructurations. Bien que les employés puissent généralement faire valoir une créance dans le cadre du processus d'insolvabilité, les réclamations et les plaintes parallèles auprès des organismes de réglementation des relations de travail et des tribunaux administratifs sont relativement courantes. Dans un jugement récent, la Cour supérieure du Québec a précisé que toutes les créances des employés peuvent être éteintes par un plan d'arrangement en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC), y compris celles déposées auprès des organismes de réglementation et des tribunaux administratifs.

Le 5 septembre 2023, la Cour supérieure du Québec a rendu un jugement[1] concernant le traitement des créances des employés licenciés dans le cadre des procédures de restructuration de Magasin Laura (P.V.) inc./Laura's Shoppe (P.V.) inc. (Laura) en vertu de la LACC, suivant l’homologation du plan d'arrangement de Laura (Plan). À la suite d'une demande de KPMG inc., agissant en tant que contrôleur nommé par le tribunal pour Laura (Contrôleur), la Cour a déclaré que 

  • cinq anciennes employées de Laura, licenciées dans le cadre des procédures LACC (Employées), sont des créanciers visés (« affected creditors ») en vertu de l’Ordonnance établissant la procédure à suivre pour le dépôt et le traitement des preuves de réclamation (Ordonnance relative au processus de réclamation) et en vertu du Plan
  • les plaintes des Employées (Plaintes) devant le Tribunal administratif du travail (Tribunal) sont des créances visées (« affected claims ») en vertu du Plan
  • l’homologation du Plan et sa mise en œuvre subséquente a eu pour effet d’éteindre toutes les créances visées, y compris celles des Employées

Cette décision clarifie la portée des créances d’employés visées par un plan d'arrangement déposé en vertu de la LACC.[2]

Contexte

Dans le cadre de sa restructuration, Laura a fermé un certain nombre de magasins et a licencié un total de 265 employés des magasins et du siège social. À la suite de leur licenciement et alors que les procédures LACC étaient en cours, les Employées ont déposé les Plaintes auprès de la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), alléguant que leur licenciement était illégal et qu'il n'avait pas été effectué dans le cadre de la restructuration, mais plutôt fondés sur des motifs discriminatoires. Laura a été informée des Plaintes par la CNESST, sans être informée des réparations demandées par les Employées.

Après avoir reçu les Plaintes, le Contrôleur a émis des avis de surseoir à la CNESST. Malgré les avis de surseoir, les termes de l'ordonnance initiale et les dispositions de suspension des procédures qui y sont contenues, la CNESST a procédé au dépôt des Plaintes auprès du Tribunal sans en informer Laura ou le Contrôleur.

Quatre des cinq Employées ont déposé des preuves de réclamation auprès du Contrôleur dans le cadre du processus de réclamation, sans révéler qu'elles cherchaient parallèlement à obtenir des réparations supplémentaires devant le Tribunal.

Décision

La Cour a estimé qu'indépendamment des motifs sous-jacents à l'origine du licenciement des Employées, conformément à l'Ordonnance relative au processus de réclamation, toutes les créances des employés licenciés au cours des procédures LACC sont considérées comme des créances de redressement (« restructuring claims ») dans le cadre du Plan, et font l'objet d’une transaction et d'un règlement à la suite de la mise en œuvre du Plan. Le fait que les Plaintes n'aient pas été quantifiées ou qu'elles aient pu résulter d'une violation alléguée des droits des Employées protégés par la Charte des droits et libertés de la personne n'a pas modifié leur statut de créance visée en vertu du Plan.

La Cour a noté que l'objectif principal du processus de réclamation est d'obliger tous les créanciers à divulguer pleinement et à justifier toutes les créances qu'ils peuvent avoir contre les débiteurs, ce qui comprendrait, en l'espèce, la divulgation des Plaintes. Dans le contexte de l'intention déclarée de Laura de déposer un Plan et d’émerger des procédures LACC, il était de la plus haute importance que le Contrôleur et Laura soient informés de toutes les créances, de sorte que les créanciers ne puissent pas « se tapir dans les mauvaises herbes » en vue de faire valoir leurs créances après la mise en œuvre du Plan.

Le juge Pinsonnault a estimé que les Employées ne pouvaient pas choisir à leur gré les créances à faire valoir dans le cadre du processus de réclamation en vertu de la LACC et celles à faire valoir devant le Tribunal. En effet, l'objectif principal de la LACC est de permettre aux débiteurs de restructurer leurs affaires en soumettant un plan d'arrangement à leurs créanciers. Pour qu'un débiteur émerge avec succès d’une procédure de restructuration et soit le mieux placé pour une réussite future, il est essentiel que toutes les créances faisant l'objet du processus de réclamation soient définitivement traitées conformément aux termes du Plan, et que les créanciers n'aient pas la possibilité de conserver et de faire valoir des créances qui sont par ailleurs affectées par le Plan.

Dans le contexte de l’homologation du Plan, la Cour a déterminé que celui-ci était juste et raisonnable, ainsi que conforme aux dispositions de la LACC et des ordonnances de la Cour. Il est donc approprié que les créances des employés licenciés ainsi que les Plaintes constituent des créances visées par le Plan et soient conséquemment éteintes.

Points importants à retenir

Cette décision rappelle aux créanciers qu'ils doivent faire preuve d'une totale transparence lorsqu'ils font valoir leurs créances dans le cadre d'un processus de réclamation en vertu de la LACC. Un créancier ne peut pas « se tapir dans les mauvaises herbes » afin d’obtenir un avantage sur les autres créanciers.

Cette décision apporte également une certitude quant au statut des créances des employés dans le cadre de procédures LACC, puisque la Cour a confirmé que l'exercice par un employé de droits découlant d'une loi d'ordre public (y compris ceux protégés par la Charte des droits et libertés de la personne) ne lui confère pas un statut différent de celui des autres créanciers. La capacité de réduire les effectifs et de diminuer de façon permanente la main-d'œuvre est un outil précieux dont disposent les débiteurs dans leur boîte à outils de restructuration LACC, et les réclamations des employés licenciés qui en découlent peuvent faire l’objet d’une transaction dans le cadre d'un plan d'arrangement.


[2] Le délai pour en appeler de ce jugement n’est pas encore écoulé.