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Leçons apprises : Un tribunal de l’Alberta refuse d’approuver un plan d’arrangement

Auteur(s) : Mike Proudfoot, Kelsey Armstrong, Matthew M. Huys, Jasleen Matharoo

Le 28 août 2023

Dans une décision ayant d’importantes répercussions sur les pratiques du marché en ce qui concerne le traitement du droit à la dissidence, les avis quant au caractère équitable et la gouvernance d’entreprise dans le cadre des opérations de vente de sociétés fermées, la Cour du Banc du Roi de l’Alberta a bloqué l’acquisition, par Pathway Health Corp. (TSXV : PHC) (Pathway), de HEAL Global Holdings Corp. (HEAL) et de The Newly Institute Inc. (Newly). Bien que le plan d’arrangement proposé ait été approuvé par 100 % des voix exprimées par les actionnaires de Newly et que le tribunal ait reconnu que le refus d’approuver l’arrangement empêcherait la poursuite de l’existence de Newly, le tribunal a estimé que l’arrangement n’était pas équitable et raisonnable.

 Cette décision renforce les éléments suivants :

  • L’importance de fournir une information claire et remarquable sur le droit à la dissidence s’il existe des circonstances particulières ou atténuantes qui peuvent compromettre la capacité des actionnaires dissidents à exercer leurs droits en vertu des lois sur les sociétés par actions applicables, en particulier dans le contexte de la vente d’une entreprise en difficulté.
  • La valeur d’un avis quant au caractère équitable, en particulier lorsqu’il existe une probabilité raisonnable que des différends surgissent au sujet de l’évaluation.
  • L’importance de constituer un comité spécial, ainsi que la nécessité de présenter en détail les principaux jugements portés au cours de l’examen et de l’approbation de l’opération.

Résumé

Le 31 mars 2023, Pathway, Newly et HEAL ont conclu une convention d’arrangement aux termes de laquelle Pathway acquerrait la totalité des actions ordinaires de Newly (les actions de Newly), autres que les actions de Newly détenues par HEAL, et la totalité des actions ordinaires de HEAL conformément à un plan d’arrangement en vertu de l’article 193 de la loi de l’Alberta intitulée Business Corporations Act (l’arrangement).

L’arrangement a été approuvé à la totalité des voix exprimées par les porteurs d’actions et les titulaires d’options représentés à l’assemblée extraordinaire des porteurs de titres qui s’est tenue le 30 mai 2023. Avant l’assemblée, des avis de dissidence avaient été reçus de la part d’un groupe d’actionnaires représentant 10,5 % des actions de Newly (les actionnaires dissidents). Certains autres actionnaires non dissidents, détenant 3 % des actions de Newly, se sont opposés à l’arrangement lors de l’audience de l’ordonnance définitive qui a suivi le vote des actionnaires, en invoquant plusieurs motifs, notamment :

  1. Le conseil d’administration de Newly n’a pas obtenu d’avis quant au caractère équitable indépendant et n’a pas évalué l’arrangement suivant un processus suffisant;
  2. L’arrangement et la situation financière de Newly ont empêché les actionnaires dissidents de voter contre l’arrangement et de recevoir une juste valeur pour leurs actions en vertu de la loi applicable.

Le tribunal s’est appuyé principalement sur la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire BCE Inc. c. Détenteurs de débentures de 1976 en ce qui concerne l’approbation par voie d’ordonnance définitive d’un plan d’arrangement proposé. En déterminant que l’arrangement n’était pas « équitable et raisonnable », le tribunal a accordé un poids particulier aux facteurs suivants :

  • Newly est devenue insolvable au cours de l’arrangement en raison i) de son obligation de payer aux actionnaires dissidents la juste valeur de leurs actions et ii) d’un prêt convertible qui devait arriver à échéance peu après la première audience prévue pour l’ordonnance définitive.
  • Newly n’a pas reçu d’avis quant au caractère équitable indépendant, malgré les objections soulevées concernant la méthode d’évaluation utilisée, ainsi que le fait que le prix de l’action présumée était considérablement sous-évalué par rapport à plusieurs opérations réalisées avant l’arrangement.
  • Newly n’a pas constitué de comité spécial et, bien que son chef de la direction se soit récusé à juste titre de la résolution approuvant l’arrangement, les deux administrateurs indépendants de Newly n’avaient siégé au conseil d’administration que pendant huit mois avant l’audience, et aucune preuve n’a été présentée quant aux documents ou au niveau d’examen effectués avant l’approbation de l’arrangement.

Il est important de noter que le tribunal a reconnu que l’arrangement était nécessaire à la poursuite des activités de Newly. Cependant, malgré cette conclusion, il n’a pas voulu approuver l’ordonnance définitive en raison de l’effet préjudiciable qu’elle aurait sur certains porteurs de titres.

Peu après la décision, Pathway a annoncé la démission de son équipe de haute direction et de son conseil d’administration, en grande partie en raison de son incapacité à générer un chiffre d’affaires suffisant ou à lever les capitaux requis pour faire face à ses obligations. Newly a conclu une liste de conditions non contraignantes prévoyant, entre autres, une restructuration de la dette et un délai de grâce.

Points à retenir

De la décision du tribunal, il y a lieu de retenir les points suivants :

Droit à la dissidence. La plupart des lois sur les sociétés par actions au Canada interdisent à une société de payer aux actionnaires dissidents la juste valeur de leurs actions si la société est insolvable, auquel cas les actionnaires dissidents peuvent choisir d’être rétablis dans l’intégralité de leurs droits en tant qu’actionnaires. Si une entreprise en difficulté financière propose de conclure un arrangement, il serait prudent d’informer clairement et simplement les actionnaires de la possibilité que, pendant la période de transition, les circonstances évoluent à un point tel que la société pourrait devenir insolvable et que la loi pourrait lui interdire de leur payer la juste valeur de leurs actions.

L’information doit être adaptée aux circonstances particulières de la transaction. Bien que cette situation puisse être considérée comme atténuante, elle illustre le fait que le strict respect des lois sur les sociétés par actions applicables peut ne pas suffire à établir qu’un arrangement proposé est équitable et raisonnable. Cette décision soulève également des questions importantes sur la structuration d’un plan d’arrangement afin de s’assurer que les actionnaires dissidents ne sont pas – ou ne sont pas perçus comme étant – empêchés par un détail technique d’exercer leur droit de voter contre l’opération.

Avis quant au caractère équitable. Cette décision renforce l’importance d’obtenir un avis quant au caractère équitable afin, entre autres, de rassurer le tribunal et les actionnaires sur le fait que le conseil d’administration a examiné le caractère équitable et raisonnable de l’arrangement proposé sur la base de critères objectifs. Cela est particulièrement vrai dans les cas où la société cible n’a pas constitué de comité spécial ou mené un vaste processus de vente avant de conclure la convention d’arrangement, et où il existe des opérations antérieures qui pourraient raisonnablement remettre en question le prix négocié. Bien qu’un avis quant au caractère équitable ne soit pas une « police d’assurance », les tribunaux l’ont toujours considéré comme un indicateur utile du caractère « équitable et raisonnable » d’une opération.

Comité spécial. Bien que ce ne soit pas une obligation légale dans le cadre des opérations d’acquisition de sociétés fermées canadiennes, cette décision renforce l’utilité de constituer un comité spécial dès le début d’un processus de vente afin de guider le conseil d’administration lors de la conception et de la mise en œuvre de procédures liées à des opérations importantes pouvant donner lieu à des conflits d’intérêts. Cela est particulièrement important pour les opérations dont certains aspects sont propres à des opérations d’initiés ou à des opérations entre personnes apparentées.

Indépendance du conseil d’administration. Le tribunal s’est inquiété du peu d’antécédents des administrateurs indépendants avec la société et du manque d’information sur le soutien apporté aux administrateurs indépendants dans le cadre de leur examen de l’arrangement. Il est important d’établir dans l’information fournie aux actionnaires que les administrateurs indépendants ont approuvé l’opération en toute connaissance de cause.

Cette décision rappelle que la question de savoir si un arrangement est « équitable et raisonnable » sera déterminée compte tenu de l’ensemble des facteurs en jeu. L’approbation des actionnaires a généralement un poids important, mais elle peut ne pas être déterminante si, comme le tribunal l’a constaté dans cette affaire, les actionnaires ne se voient pas offrir un droit « réel » à la dissidence et s’ils ne sont pas suffisamment rassurés (par l’obtention d’un avis quant au caractère équitable ou par le processus décisionnel du conseil d’administration) sur le fait que le prix de la transaction reflète la juste valeur.

Nous continuerons à surveiller la manière dont les tribunaux traitent les arrangements et si cette décision entraîne des changements dans les pratiques du marché.