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La Cour d’appel de New York clarifie les règles de compétence législative de l’article 8 de l’UCC relativement à la validité de titres

Auteur(s) : Joyce M. Bernasek, Malcolm Peck-McQueen

Le 12 mars 2024

Le 20 février 2024, la Cour d’appel de l’État de New York (la Cour d’appel) a rendu une décision dans laquelle elle clarifie une importante règle de compétence législative énoncée dans l’Uniform Commercial Code de New York (l’UCC). Dans l’affaire Petróleos de Venezuela S.A. c. MUFG Union Bank, N.A.,[1] la Cour d’appel a interprété, pour la première fois, le sens du mot « validité » d’un titre tel qu’il est utilisé à l’alinéa 8-110(a)(1) de l’UCC. Elle a affirmé que la loi vénézuélienne régit la validité de certains billets garantis émis par Petróleos de Venezuela, S.A. (PDVSA), société pétrolière détenue en propriété exclusive par le gouvernement du Venezuela, en vertu d’un acte de fiducie régi par la loi de New York (l’acte de fiducie).

La décision fournit des précisions aux porteurs d’obligations et de billets, en particulier en ce qui concerne ceux émis par des entités souveraines. Le présent article traite de la décision rendue par la Cour d’appel ainsi que de ses conséquences aux termes de l’Uniform Commercial Code et des lois provinciales sur le transfert des valeurs mobilières au Canada.

Exposé des faits

Offre publique d’échange

Entre 2007 et 2011, PDVSA a émis des billets venant à échéance en 2017 (les billets de 2017). En 2016, son conseil d’administration a approuvé un échange d’obligations (l’offre publique d’échange) dans le cadre duquel les porteurs de billets de 2017 pouvaient déposer leurs billets en échange de nouveaux billets venant à échéant en 2020 (les billets de 2020). Le soutien au crédit pour les billets de 2020 était assuré au moyen i) d’une garantie de PDVSA Petróleo S.A. (Petróleo), filiale vénézuélienne détenue en propriété exclusive par PDVSA, et ii) d’un gage de PDV Holding, Inc. (collectivement avec PDVSA et Petróleo, les entités de PDVSA), société du Delaware détenue en propriété exclusive par PDVSA, correspondant à 50,1 % de sa participation dans CITGO Holding, Inc. (le gage de CITGO), qui détient CITGO Petroleum Corporation, société américaine de raffinage et de commercialisation de produits pétroliers.

Le conseil d’administration de chaque entité de PDVSA a approuvé l’offre publique d’échange suivant les formalités applicables de l’entité (y compris, dans le cas de PDVSA, l’approbation du gouvernement vénézuélien, l’unique actionnaire).

PDVSA a clôturé l’offre publique d’échange et émis les billets de 2020 le 28 octobre 2016. Les principaux documents relatifs à l’émission comprenaient l’acte de fiducie, les billets de 2020 eux-mêmes et un contrat de gage et de nantissement régissant le gage de CITGO (le contrat de gage et, avec l’acte de fiducie et les billets de 2020, les documents constitutifs), chacun d’eux contenant une clause expresse sur la compétence législative de l’État de New York. MUFG Union Bank, N.A. était le fiduciaire, et GLAS Americas LLC était l’agent de garantie pour les billets de 2020 (collectivement, les créanciers).

Contexte politique au Venezuela

L’offre publique d’échange s’est déroulée dans un contexte marqué par d’intenses conflits politiques au Venezuela. Les partis politiques opposés au président Maduro contrôlaient l’Assemblée nationale vénézuélienne et dénonçaient les mesures prises par Maduro et PDVSA relativement à l’offre publique d’échange. Au début de mai 2016, Maduro a revendiqué par décret d’urgence le droit de signer des « contrats d’intérêt public » de manière unilatérale, sans obtenir l’approbation de l’Assemblée nationale. Celle-ci a réagi en adoptant une résolution rejetant ce décret sur la base de deux dispositions de la Constitution du pays.

Après l’annonce de l’offre publique d’échange, l’Assemblée nationale a adopté une deuxième résolution qui, entre autres, rejetait le gage de CITGO. Toutefois, PDVSA a clôturé l’offre, comme nous l’avons vu plus haut, malgré les résolutions de l’Assemblée nationale.

En dépit de la victoire revendiquée par Maduro à l’élection présidentielle de 2018, l’Assemblée nationale du Venezuela a nommé son propre président Juan Guaidó à titre de président intérimaire du pays. Guaidó a nommé les nouveaux membres du conseil d’administration ad hoc de PDVSA, qui ont ensuite nommé les nouveaux membres des conseils d’administration des autres entités de PDVSA. En octobre 2019, une troisième résolution de l’Assemblée nationale déclarait officiellement que l’acte de fiducie violait la Constitution du Venezuela.

Contexte du litige

À la suite du non-paiement par PDVSA du capital et des intérêts des obligations de 2020, dont le versement était prévu en octobre 2019, le conseil ad hoc a engagé une procédure devant le tribunal de district des États-Unis pour le district sud de New York. Les entités de PDVSA cherchaient à obtenir i) des déclarations selon lesquelles les billets de 2020, l’acte de fiducie et le contrat de gage sont invalides, illégaux, nuls ab initio et donc inexécutoires et ii) une injonction interdisant aux créanciers de faire valoir leurs recours aux termes des billets de 2020.

Le tribunal de district a conclu, en s’appuyant sur une méthode traditionnelle d’analyse du centre de gravité dans les conflits, que la loi de New York s’appliquait à la validité de l’offre publique d’échange. Il a ensuite i) déclaré que les documents constitutifs étaient exécutoires, que les entités de PDVSA étaient en défaut et que les créanciers avaient le droit d’exercer des recours, et ii) rendu une décision pécuniaire en faveur des créanciers.

Les entités de PDVSA ont interjeté appel devant la Cour d’appel de deuxième instance, contestant les décisions du tribunal de district sur la question du choix de la loi applicable. Notant que la question de savoir si le choix contractuel de la loi de New York par les parties l’emporte sur l’alinéa 8-110(a)(1) de l’UCC reste ouverte en vertu de la loi de New York et de l’absence de causes en la matière, la Cour d’appel de deuxième instance a reporté sa décision et a plutôt soumis la question relative à l’alinéa 8-110(a)(1) à la Cour d’appel.

Décision de la Cour d’appel

La Cour d’appel a considéré que la question était de savoir si, compte tenu de la présence de clauses sur la compétence législative de New York dans les documents constitutifs, l’alinéa 8-110(a)(1) de l’UCC, qui stipule que la « validité » des titres est déterminée par les lois locales du territoire de l’émetteur, exige l’application de la loi vénézuélienne pour déterminer si les billets de 2020 étaient invalides en raison d’un défaut dans le processus d’émission de ces titres (c’est-à-dire la violation des dispositions constitutionnelles exigeant que l’émission soit approuvée par l’Assemblée nationale).

L’alinéa 8-110(a)(1) stipule que « [l]a loi locale du territoire de l’émetteur, comme le précise le paragraphe [8-110(d)], régit […] la validité d’un titre ». Le mot « validité » n’est pas défini dans l’UCC. Selon le paragraphe 8-110(d), le terme « territoire de l’émetteur » désigne « le territoire dans lequel l’émetteur du titre est organisé ou, si la loi de ce territoire le permet, la loi d’un autre territoire précisé par l’émetteur ».

La Cour d’appel a fait remarquer qu’en vertu du droit des contrats de New York, l’inclusion d’une clause sur la compétence législative de New York démontre que l’intention des parties était de faire en sorte qu’un tribunal ne procède pas à une analyse de conflit de lois, à moins que les parties ou le législateur n’expriment clairement une intention contraire. Les parties ayant choisi la loi de New York, conformément au paragraphe 5-1401(1) de la General Obligations Law (GOL), les documents constitutifs étaient régis par les règles de fond de New York, sauf si l’une des exceptions s’appliquait. Une de ces exceptions prévoit que le choix de la loi de New York ne s’applique pas dans la mesure où le paragraphe 1-301(c) de l’UCC prévoit le contraire. Selon ce paragraphe, si l’article 8-110 précise la loi applicable, c’est celui-ci qui s’applique et un accord contraire n’a d’effet que dans la mesure permise dans la loi précisée (c’est-à-dire la loi vénézuélienne en tant que loi du territoire de PDVSA).

La Cour d’appel a cité les commentaires officiels de l’UCC, qui précisent que la règle impérative de l’article 8-110 sur la validité était proscrite, parce que la question de savoir si un émetteur peut faire valoir la défense de l’invalidité risque de mettre en jeu d’importantes politiques du territoire de constitution de l’émetteur. L’historique de la règle confirme également que le fait de soustraire la validité des titres à l’acceptation plutôt large du choix de la loi applicable de New York par les parties au paragraphe 5-1401(1) de la GOL vise à s’aligner sur l’opinion courante selon laquelle la loi du territoire de l’émetteur doit régir la validité des titres, dans la mesure où ils sont émis suivant une mesure appropriée prise par la société ou une autre mesure similaire.

En ce qui concerne le sens du mot « validité » aux termes de l’alinéa 8-110(a)(1), la Cour d’appel a soutenu que ce terme nécessitait une analyse des dispositions connexes de la Constitution vénézuélienne, car ces dispositions peuvent régir le processus par lequel les billets de 2020 ont été « dûment autorisés ». En l’absence d’une définition de « validité » dans l’UCC, la Cour d’appel s’est appuyée sur l’interprétation largement répandue du terme en droit commercial et en droit des sociétés (c’est-à-dire l’autorisation en bonne et due forme de l’émetteur). Une autorisation en bonne et due forme soulève deux questions, chacune étant évaluée en fonction des documents constitutifs internes de l’émetteur et de la loi externe en vertu de laquelle l’émetteur est organisé :

  1. L’entité avait-elle le pouvoir de conclure le contrat?
  2. Le ou les organes compétents de l’entité ont-ils approuvé le contrat de la manière exigée?

La Cour d’appel a pris soin de faire la distinction entre la validité et i) le caractère exécutoire et ii) les conséquences de la validité ou de l’invalidité. Le caractère exécutoire soulève la question de savoir si les clauses contractuelles sont contraires à la loi locale (par exemple, les restrictions relatives aux taux usuraires), tandis que la validité se rapporte aux exigences établies relativement à l’autorisation en bonne et due forme (c’est-à-dire le processus suivant lequel le titre est créé). De plus, la loi choisie continue de régir les conséquences de la validité ou de l’invalidité. Par conséquent, étant donné que la loi de New York régit généralement les documents constitutifs, sauf en ce qui concerne la validité, même si les billets de 2020 étaient invalides en vertu de la loi vénézuélienne, l’effet de cette invalidité serait néanmoins régi par la loi de New York.

En gardant cette distinction à l’esprit, la Cour d’appel a conclu que les dispositions constitutionnelles pouvaient avoir une incidence sur la validité des billets de 2020, parce qu’elles portent sur la question de savoir si PDVSA avait le pouvoir d’émettre les billets de 2020 et, corollairement, quelles procédures elle devait suivre pour exercer un tel pouvoir. Le paragraphe 8-202(b) de l’UCC vient renforcer la conclusion de la Cour d’appel. Ce paragraphe stipule qu’« [un] titre [...] entaché à son émission par un vice qui influe sur sa validité, est valide entre les mains d’un acquéreur en considération d’une contrepartie de valeur qui n’est pas avisé de l’existence d’un vice particulier, à moins que le vice comporte la violation d’une disposition constitutionnelle » (italiques ajoutés), auquel cas « le titre est valide entre les mains d’un acquéreur en considération d’une contrepartie de valeur qui n’est pas avisé de l’existence d’un vice particulier, autre que celui qui acquiert le titre à l’émission initiale ». L’historique du texte indique que la validité n’est pas limitée strictement au respect des formalités de l’entreprise, mais qu’elle peut également être déterminée par voie de référence à une disposition constitutionnelle.

La Cour d’appel a donc répondu à la question soumise par le tribunal de deuxième instance en concluant que l’alinéa 8-110(a)(1) exige l’application de la loi vénézuélienne (y compris, éventuellement, les dispositions constitutionnelles vénézuéliennes) pour déterminer si les billets de 2020 étaient valides. L’affaire est maintenant devant le tribunal de deuxième instance. Il convient toutefois de noter que le tribunal de deuxième instance a affirmé dans sa décision de certification qu’à la lumière de la décision de la Cour d’appel, il renverrait vraisemblablement l’affaire devant le tribunal de district en vue d’une analyse de la loi vénézuélienne quant au pouvoir de PDVSA d’effectuer l’offre publique d’échange.

Points à retenir

L’affaire Petróleos est la première fois que la Cour d’appel procède à un examen de la règle du choix de la loi applicable de l’UCC en ce qui concerne la validité de titres. Les créanciers et les débiteurs qui effectuent des opérations sur des titres de créance peuvent désormais avoir une plus grande certitude, en vertu de la loi de New York, quant à la loi qui régira les questions de validité des titres. Cela est d’une importance capitale pour les placements d’obligations et de billets, puisque les obligations ou les billets sont les principaux instruments qui créent la dette. Lorsqu’un émetteur est une entité non gouvernementale traditionnelle, la validité est souvent une question relativement simple de respect des formalités de l’entreprise, comme l’approbation du conseil d’administration ou des actionnaires. Il est souvent d’usage d’obtenir des avis juridiques sur la validité pour rassurer davantage les créanciers. Cependant, comme le montre l’affaire Petróleos, les créanciers d’entités souveraines et gouvernementales doivent veiller tout particulièrement à ce que toutes les lois applicables (y compris, éventuellement, les dispositions constitutionnelles) du territoire de l’émetteur soient respectées lors de l’émission de titres de créance.

Au Canada, chaque province a adopté une Loi sur le transfert des valeurs mobilières  qui s’inspire largement de l’article 8 de l’UCC. Ces lois provinciales contiennent des règles sur la compétence législative semblables à celles de l’article 8. Bien qu’il n’y ait pas, à notre connaissance, de jurisprudence au Canada interprétant les règles sur la compétence législative en ce qui a trait à la validité des titres, l’affaire Petróleos pourrait éclairer un tribunal canadien chargé d’examiner des questions de cette nature, étant donné les parallèles entre les lois sur le transfert des valeurs mobilières et l’article 8. Par exemple, la Loi sur le transfert des valeurs mobilières, 2006 (Ontario) (la LTVMO) contient la même règle de choix de la loi applicable en ce qui concerne la validité d’un titre : la question est déterminée en fonction des lois internes du territoire de constitution ou d’organisation de l’émetteur.[2] Cependant, contrairement au paragraphe 8-110(d) de l’UCC, la LTVMO n’autorise pas un émetteur à préciser une autre « autorité législative » aux fins de la validité si la loi de son territoire de constitution le permet. De plus, la LTVMO prévoit que si un moyen de défense ou un vice mettant en cause la validité existe, il incombe au demandeur d’en prouver l’inopposabilité.[3] Ces différences montrent un respect encore plus grand en vertu de la LTVMO des politiques du territoire de constitution d’un émetteur en ce qui concerne les moyens de défense relatifs à l’invalidité.

Dans le cas d’un émetteur souverain ou gouvernemental comme PDVSA, la LTVMO prévoit expressément qu’un titre est valide s’il est émis conformément à la loi du territoire de l’émetteur et aux « dispositions constitutives qui régissent l’émetteur ».[4] Un tribunal canadien pourrait interpréter une telle disposition comme l’a fait la Cour d’appel dans l’affaire Petróleos relativement au paragraphe 8-202(b) en affirmant que la validité peut également être déterminée par voie de référence aux dispositions constitutionnelles régissant l’émetteur (par exemple, l’article 150 du Venezuela relativement à PDVSA). Par conséquent, les créanciers d’obligations et de billets dont l’émission est régie par la loi canadienne doivent prendre soin de s’assurer que toutes les lois applicables dans le territoire de l’émetteur sont respectées afin de garantir la validité des titres.


[1] 2024 NY Slip Op 00851, accessible à l’adresse https://www.nycourts.gov/reporter/3dseries/2024/2024_00851.htm (Petróleos).

[2] L.O. 2006, chap. 8, al. 44(1)5. D’autres règles s’appliquent aux émetteurs constitués en vertu des lois fédérales canadiennes, à la Couronne du chef du Canada et à la Couronne du chef d’une province du Canada.

[3] LTVMO, par. 53(5).

[4] LTVMO, art. 2.