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Vaccination obligatoire pour les employés : Quels sont les enjeux?

Auteur(s) : Allan Wells, Kelly O’Ferrall, Shaun Parker, John Salloum, Sunia Hassan

Le 10 février 2021

Bien que le Canada ne soit qu’aux débuts du déploiement des vaccins contre la COVID-19 en raison de la quantité limitée des vaccins et de la possibilité d’une rupture d’approvisionnement, plusieurs employeurs se demandent déjà ce à quoi ressemblera leur milieu de travail une fois que les vaccins contre la COVID-19 seront disponibles en grande quantité pour le public au Canada. Plus particulièrement, les employeurs envisagent d’adopter une politique de vaccination.

La mise en place d’une politique de vaccination serait souhaitable pour la plupart des employeurs, étant donné leur obligation de prendre toutes les précautions raisonnables pour protéger la santé et la sécurité de leurs travailleurs. Toutefois, la teneur de telles politiques variera nécessairement selon la nature du lieu de travail. Les politiques de vaccination envisagées vont de l’encouragement des employés à se faire vacciner jusqu’à l’obligation de se faire vacciner pour pouvoir travailler sur place.

Les employeurs qui envisagent une politique de vaccination obligatoire doivent assurer l’équilibre entre, d’une part, la sécurité du lieu de travail et, d’autre part, les droits contractuels de leurs employés, leurs droits à la vie privée et la législation sur les droits de la personne. Malheureusement, ni le gouvernement ni la santé publique n’ont, à ce jour, émis de directive qui puisse aider les employeurs à atteindre et à maintenir cet équilibre.[1]

Un précédent en matière de politiques de vaccination obligatoire

Les tribunaux se sont penchés sur le droit des employeurs de mettre en œuvre des politiques de vaccination obligatoire contre la grippe sur leur lieu de travail, mais les questions soulevées visaient généralement les secteurs des soins de santé et des soins en établissement et concernaient les employés syndiqués. Et, bien sûr, il y a peu de comparaisons entre le vaccin contre la grippe et le vaccin contre la COVID-19.

Les syndicats ont, par le passé, contesté les politiques de vaccination obligatoire, car il s’agissait selon eux d’un exercice déraisonnable des droits de la direction. Dans ce contexte, si la politique de vaccination obligatoire n’est pas expressément autorisée par une convention collective, l’arbitre de grief doit déterminer si la politique est raisonnable et exécutoire en se demandant si la politique :

  • est conforme à la convention collective;
  • est raisonnable;
  • est claire et sans équivoque;
  • est portée à l’attention des employés concernés avant que l’employeur ne tente d’agir;
  • indique clairement que sa violation entraînerait le congédiement (et si les employés concernés en sont avisés);
  • est, dès son intégration, appliquée de façon constante par l’employeur.

Bien que les facteurs susmentionnés aient été élaborés dans le contexte de griefs syndicaux, ils fournissent des orientations utiles pour les politiques de vaccination dans les milieux non syndiqués. Plus particulièrement, un employeur qui introduit une politique de vaccination dans un milieu de travail non syndiqué doit s’assurer que celle-ci est raisonnable et claire. Il doit par ailleurs en informer ses employés bien avant de tenter sa mise en œuvre ou son application. La politique de vaccination devra, dès son adoption, être appliquée par l’employeur de façon constante pour éviter toute plainte ou allégation, notamment d’injustice ou de discrimination.

Caractère raisonnable

Sous réserve des questions en matière de droits de la personne et de confidentialité dont il est question ci-dessous, on ignore encore si les employeurs seront en mesure d’imposer la vaccination à tous leurs employés lorsque les vaccins deviendront disponibles en grande quantité ou s’ils pourront congédier leurs employés qui refusent de se faire vacciner, leur imposer des mesures disciplinaires ou encore les refuser sur le lieu de travail. Il reste également à voir si les politiques de vaccination obligatoire peuvent constituer un fondement aux poursuites pour congédiement déguisé. Le caractère raisonnable d’une politique de vaccination obligatoire dans les circonstances particulières déterminera fort probablement si cette politique peut s’appliquer ou si elle mènera à des poursuites.

Comme il est mentionné précédemment, il n’existe actuellement aucune directive du gouvernement ou de santé publique qui permette de déterminer si les employeurs doivent encourager leurs employés à se faire vacciner ou exiger que ceux-ci soient vaccinés pour accéder au lieu de travail et il est possible qu’aucune directive claire ne soit publiée. Si le gouvernement du Canada ou ceux des provinces publiaient des recommandations ou des directives sur les vaccins, ou rendaient la vaccination obligatoire dans certains établissements (comme les garderies et les écoles) ou lieux publics, les employeurs seraient probablement mieux en mesure de déterminer s’ils doivent rendre obligatoire la vaccination dans leur lieu de travail.

En l’absence de directives gouvernementales ou de santé publique, le caractère raisonnable d’une politique de vaccination obligatoire dépendra probablement du milieu de travail dans lequel la politique est mise en œuvre. Les employeurs des soins de santé ou des habitations collectives (et, pourrait-on dire, des secteurs du tourisme d’accueil, du commerce de détail et du voyage, entre autres) sont peut-être plus à même de défendre avec succès les politiques de vaccination obligatoire que les employeurs dans des milieux de travail à moindre risque où les employés ne sont pas tenus de travailler en contact étroit avec leurs collègues ou le public.

Les données recueillies par les différents paliers de gouvernement sur la transmission de la COVID-19 sur le lieu de travail peuvent aider à déterminer si un lieu de travail ou un poste est plus à risque à l’égard de la transmission de la COVID-19. Par exemple, des données récentes recueillies en Ontario semblent indiquer que les lieux de travail du secteur de la transformation des aliments ont connu deux fois plus d’éclosions de COVID-19 que ceux du commerce de détail (il reste à savoir s’il y a une corrélation avec la nature de ces lieux de travail ou si c’est plutôt avec le temps pendant lequel chaque secteur a été actif au cours de la dernière année).

Une politique de vaccination obligatoire mise en œuvre par un employeur a plus de chances de survivre à une contestation judiciaire si elle tient compte des différents types d’espaces de travail et des différents profils de risque de transmission de la COVID-19 et si elle les distingue les uns des autres.

Les principes relatifs aux droits de la personne qui guident les politiques de vaccination

En vertu des lois fédérales et provinciales sur les droits de la personne, les employeurs peuvent être tenus d’accommoder, si cela n’impose pas une contrainte excessive, un employé qui ne peut pas être vacciné pour une raison liée à un motif interdit de discrimination prévu dans ces lois. L’invalidité (qui est définie de façon large dans la législation sur les droits de la personne), le sexe (notamment dans le cas de l’employée enceinte) ainsi que la religion ou les croyances sont des exemples de tels motifs pouvant justifier le refus d’un employé de se faire vacciner.

Si un employé refuse de se faire vacciner en raison d’une invalidité documentée, d’une grossesse ou de sa religion, l’employeur devra déterminer s’il peut accommoder l’employé sans en subir une contrainte excessive. Les mesures d’accommodement doivent être évaluées au cas par cas, en tenant compte des besoins particuliers de l’employé.

Ce peut être, par exemple, de permettre à un employé de travailler à domicile ou de prendre d’autres précautions, notamment d’exiger que l’employé porte un équipement de protection individuelle et de maintenir une distanciation physique (conformément aux mesures de santé et de sécurité en place au moment où nous rédigeons ces lignes). Le fardeau de preuve requis pour établir une contrainte excessive peut être élevé; les inconvénients subis par l’employeur, à eux seuls, ne suffisent pas à l’établir. Il peut être difficile pour un employeur de faire valoir que le fait de permettre à un employé de travailler à domicile, ou de travailler sur place en prenant les mesures de sécurité préventive appropriées, constituera pour lui une contrainte excessive s’il a précédemment affirmé qu’il était sûr pour les employés de travailler dans de telles conditions avant que le vaccin ne soit disponible en grande quantité.

L’employeur pourrait être justifié d’imposer une politique de vaccination obligatoire pour certains employés au sein d’un lieu de travail déterminé, notamment lorsqu’il existe une exigence professionnelle justifiée (p. ex. la nécessité d’assurer la sécurité au travail) que l’employeur ne peut autrement remplir sans subir une contrainte excessive. Citons, à titre d’exemple, un emploi où les employés ne peuvent absolument pas travailler à domicile et où ils doivent être en contact étroit et régulier les uns avec les autres, ou encore un emploi dans le cadre duquel les employés sont régulièrement appelés à voyager par voie aérienne, dans le cas où les compagnies aériennes refuseraient l’embarquement de passagers non vaccinés. Dans une telle situation, la réponse appropriée à l’employé serait déterminée au cas par cas.

Retour sur le lieu de travail et vaccination

Selon le moment choisi, les employeurs qui envisagent une politique de vaccination pourraient l’inclure dans leur programme de retour sur le lieu de travail. Depuis le début de la pandémie, de nombreux employeurs on fait remplir des questionnaires anonymes par leurs employés pour déterminer si ces derniers étaient à l’aise de retourner sur le lieu de travail. Les employeurs pourraient, de la même façon, sonder leurs employés pour savoir s’ils se sont fait vacciner ou s’ils ont ou non l’intention de le faire (si oui, quand). Les employés qui ont été vaccinés seraient les premiers à retourner sur le lieu de travail et pourraient joindre leurs autres collègues vaccinés. Dans le cas où un employé indique qu’il n’entend pas se faire vacciner, l’employeur pourrait lui demander de justifier sa décision pour qu’il puisse déterminer s’il s’agit d’un cas pouvant mettre en cause un motif interdit de discrimination (auquel cas il devra procéder à l’évaluation au cas par cas décrite ci-dessus de la possibilité d’accommoder l’employé).

Questions en matière de confidentialité 

Les employeurs – qu’ils soient ou non soumis à la législation canadienne en matière de protection de la vie privée – devront faire preuve de prudence dans la collecte et la conservation des renseignements personnels de leurs employés, notamment leur vaccination ou non et tout renseignement s’y rapportant. Ces renseignements personnels seraient généralement réputés être de nature sensible et devraient être protégés en conséquence par la mise en œuvre de mesures de protection appropriées. Les employeurs qui sont assujettis à la législation canadienne régissant le secteur privé en matière de protection des renseignements personnels au Canada devront en outre tenir compte des principes de limitation de la collecte et de l’utilisation, en plus de déterminer les renseignements personnels qu’il est strictement nécessaire de recueillir et de conserver, tout cela dans le but de veiller à la sécurité du lieu de travail. Par exemple, un employeur ayant une politique de vaccination obligatoire pour un lieu de travail particulier peut avoir besoin de recueillir des renseignements pour vérifier si un employé s’est fait ou non vacciner, mais peut ne pas avoir besoin de conserver ces renseignements une fois qu’ils ont été analysés et qu’une décision a été prise pour permettre à l’employé de retourner sur le lieu de travail. Il convient également de déterminer quand ces renseignements personnels ne seront plus nécessaires et pourront être détruits de façon sécuritaire.

Conclusion

En l’absence de directives gouvernementales et médicales qui permettent aux employeurs d’obliger leurs employés à se faire vacciner ou qui leur permettent de recommander fortement la vaccination de tous leurs employés, même une politique de vaccination obligatoire soigneusement rédigée qui répondrait aux préoccupations des employés en matière de droits de la personne et de protection de la vie privée, en dehors du contexte des soins de santé, pourrait faire l’objet d’une contestation judiciaire.

 

[1] Nous notons néanmoins que la vaccination est obligatoire pour certains travailleurs dans des secteurs particuliers (par exemple, en Ontario, en vertu des Règles adoptées sous le régime en vertu de la Loi sur la garde et la petite enfance, les exploitants de garderies doivent s’assurer que leurs employés sont immunisés selon les directives du médecin-hygiéniste local).