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Le Canada envisage une nouvelle règle anti-chalandage fiscal

14 août 2013

Le 12 août 2013, le ministère des Finances du Canada a publié le document de consultation Chalandage fiscal – Le problème et les solutions possibles. Le document décrit un certain nombre de mesures possibles pour lutter contre l’usage abusif des conventions fiscales. Si elles sont appliquées, ces mesures pourraient avoir un impact considérable sur les investissements entrants au Canada. Elles pourraient notamment nuire aux investissements dans les sociétés canadiennes – plus particulièrement celles du secteur des ressources – par des fonds de placement privés, des entreprises d’État et des gouvernements étrangers. Elles pourraient également avoir des conséquences défavorables pour certaines structures de sociétés de portefeuille établies par des entreprises multinationales. Le présent bulletin dresse un sommaire du document de consultation qui fait suite à l’annonce du gouvernement dans le budget fédéral de 2013 de son intention d’étudier la question du chalandage fiscal (abordé dans le bulletin Info budget 2013 en bref).

Le travail entrepris par le gouvernement canadien s’inscrit dans la foulée de la vaste étude à l’échelle internationale de l’utilisation et de l’abus potentiel des conventions fiscales bilatérales; le document de consultation a été publié moins d’un mois après la communication par l’OCDE aux pays du G20 de son Plan d’action concernant l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices qui préconisait l’élaboration, d’ici septembre 2014, de dispositions conventionnelles types et de recommandations relatives à la conception de règles nationales pour empêcher que les avantages prévus par les conventions puissent être accordés lorsque les circonstances ne s’y prêtent pas (voir notre bulletin Actualités sur le plan d’action de l’OCDE).

Le document de consultation

L’apparence d’abus

Le document décrit le chalandage fiscal comme une situation où une personne qui n’a pas droit aux avantages d’une convention fiscale fait appel à une entité intermédiaire qui, elle, y a droit, afin d’obtenir indirectement les avantages en question. On y cite des preuves anecdotiques et empiriques (indirectes) voulant que des contribuables étrangers aient recours à de telles entités intermédiaires situées dans les pays parties à une convention fiscale. Les caractéristiques des pratiques de chalandage fiscal incluent le fait pour une entité intermédiaire de payer peu ou pas d’impôt dans son pays de résidence sur le revenu gagné au Canada, et que l’entité intermédiaire n’exerce pas d’activités commerciales « réelles et importantes » (autres que la gestion de revenus de placement). Le document affirme que le recours à une entité pour obtenir les avantages d’une convention fiscale constitue un « usage abusif », parce qu’il va à l’encontre de la raison pour laquelle le Canada convient avec un partenaire de réduire le taux d’imposition sur les revenus – à savoir que l’autre pays en tant que pays de résidence impose les revenus et que les personnes qui bénéficient des avantages de la convention avec le Canada sont en fait des résidents de ce pays (non des investisseurs de pays tiers dans une entité intermédiaire passive).

Le document souligne que l’Agence du revenu du Canada a eu peu de succès lorsqu’elle a contesté devant les tribunaux le chalandage fiscal, même si la règle générale anti-évitement (RGAE) s’applique en cas d’usage inapproprié ou abusif des conventions fiscales du Canada. Les tribunaux sont généralement d’avis que le choix d’une juridiction fiscale par les résidents de pays tiers ne peut en soi être perçu comme une stratégie abusive ou que celui-ci a été effectué dans des circonstances où l’entité intermédiaire était le « bénéficiaire effectif » du revenu de source canadienne. Dans ce contexte judiciaire, le document conclut que « les tribunaux du Canada doivent disposer d’une orientation législative plus claire établissant que le chalandage fiscal constitue un usage inapproprié des conventions fiscales conclues par le Canada ».

Contre-mesures possibles

À l’analyse du document sur le chalandage fiscal, il est clair que le gouvernement consulte le public non pas pour savoir si le Canada devrait freiner le chalandage fiscal, mais comment. Le document inclut sept questions soumises à la consultation et chacune des questions porte sur différentes approches pour prévenir le chalandage fiscal.

Sur la question fondamentale à savoir si une règle anti-chalandage fiscal devrait être incorporée aux lois nationales ou à chacune des conventions fiscales bilatérales du Canada, le document souligne que la dernière approche serait inefficace et prendrait beaucoup de temps puisqu’il faudrait renégocier la plupart des conventions fiscales du Canada, ce qui nécessiterait le consentement des partenaires concernés. À l’opposé, une approche fondée sur la loi interne pourrait être mise en œuvre plus rapidement et aurait un effet immédiat sur l’ensemble des conventions fiscales du Canada. Bien que le gouvernement sollicite l’avis du public sur la question, il semble privilégier une approche nationale qui inclurait des modifications aux lois canadiennes qui s’appliqueraient aux conventions fiscales existantes et futures, et auraient préséance sur toute disposition contraire de celles-ci. Le document n’aborde pas la possibilité d’une entente multilatérale qui est l’une des mesures envisagées dans le Plan d’action de l’OCDE.

Le document propose différents types de règles qui pourraient être adoptées pour prévenir le chalandage fiscal. Celles-ci vont des règles générales exprimées brièvement en termes vagues, à des règles plus techniques et plus détaillées fondées sur le modèle américain de la disposition sur les restrictions apportées aux avantages. Chacune de ces règles vise à limiter les avantages conférés par les conventions fiscales aux entités intermédiaires qui sont détenues ou contrôlées par des résidents d’un ou de plusieurs pays tiers en présence d’autres caractéristiques du chalandage fiscal. Les forces et les faiblesses des différentes variantes sont notées – par exemple, le document reconnaît que certaines règles contre le chalandage fiscal peuvent être trop larges et entraîner le refus injustifié des avantages des conventions fiscales. Les personnes intéressées sont invitées à évaluer les différentes propositions en gardant à l’esprit que le processus de consultation vise à recueillir des commentaires pour alimenter la discussion en vue de trouver « une solution pragmatique au problème du chalandage fiscal ».

Réflexions sur le document de consultation

Les positions du gouvernement, comme en fait foi le document de consultation, présentent un intérêt immédiat pour les contribuables qui ont mis en place ou prévoient mettre en place des entités intermédiaires basées sur les conventions, afin de bénéficier de réductions de taux ou d’exemptions d’impôt canadien. Ces mesures auront une incidence significative sur les investissements directs étrangers dans les sociétés canadiennes (en particulier sur les entreprises minières, pétrolières et gazières) parce que les sociétés de capital d’investissement et les autres investisseurs dans ces sociétés ont souvent recours à des sociétés de portefeuille dans des pays qui ont signé une convention fiscale avec le Canada. Les marchés financiers canadiens ont réussi à attirer l’inscription en bourse de sociétés du secteur des ressources qui, dans bien des cas, exercent la majeure partie de leurs activités à l’étranger et où se trouve également un nombre important d’investisseurs. Certains de ces investissements étrangers entrants ont déjà été touchés par l’adoption récente par le Canada de règles sur les opérations de transfert de sociétés étrangères affiliées. Le document n’aborde pas la question de l’accès aux capitaux internationaux à la suite de l’adoption des mesures proposées.

Dans bien des cas, il existe une foule de raisons pour recourir à une entité intermédiaire pour investir (notamment l’utilisation d’une même juridiction pour des investisseurs multiples, la limitation des exigences en matière de production et de dépôt de rapports pour les investisseurs multiples, l’accès à des traités bilatéraux d’investissement et l’utilisation d’une entité commune pour des investissements multiples). D’un point de vue fiscal canadien, l’utilisation de sociétés de portefeuille intermédiaires pourrait ouvrir droit à des réductions des taux de retenue d’impôt applicables aux intérêts, aux dividendes et aux redevances, ou à des exemptions de gains en capital. L’adoption d’une règle anti-chalandage fiscal pourrait refuser les avantages conférés par une convention fiscale à des sociétés établies à diverses fins, notamment pour avoir droit aux taux et exemptions des conventions du Canada, mais pas nécessairement à cette seule fin.

Le processus de consultation donne aux contribuables l’occasion de soumettre des suggestions à l’égard de l’approche du Canada en matière de chalandage fiscal. Le gouvernement invite les personnes intéressées à faire part de leurs commentaires d’ici le 13 décembre 2013. Les contribuables et autres parties ayant un intérêt sur le sujet peuvent aborder ces questions comme suit :

  • la justification économique pour prévenir le chalandage fiscal – en demandant par exemple au gouvernement s’il a tenu compte de l’impact éventuel sur les investissements directs étrangers d’une règle anti-chalandage fiscal par rapport au coût estimatif du chalandage fiscal sur les recettes fiscales du Canada;
  • la conception de l’approche du Canada en matière de chalandage fiscal;
  • le besoin de prévoir des exemptions pour les investissements qui ne visent pas principalement à obtenir des avantages en vertu d’une convention fiscale avec le Canada et la conception de telles exemptions; et
  • le besoin de tenir compte d’une période de droits acquis pour les investissements existants (une question sur laquelle le document de consultation reste muet ou qui n’est pas abordée).

Veuillez communiquer avec n'importe quel membre de l’équipe du groupe de droit fiscal pour obtenir plus d’information ou de l’assistance sur le processus de consultation, les conventions fiscales ou d'autres questions fiscales.