Passer au contenu

Les modifications proposées à la Loi sur Investissement Canada tiennent compte des investissements contrôlés dans les faits par des entreprises d’État

Auteur(s) : Shuli Rodal, Michelle Lally

2 mai 2013

Le 29 avril 2013, le gouvernement fédéral a présenté son projet de loi d’exécution du budget 2013, le projet de loi C-601, qui donnerait également suite aux annonces faites par le gouvernement fédéral le 7 décembre 2012 au sujet des investissements par des entreprises d’État étrangères « entreprises d’État ».

Contre toute attente, le projet de loi C-60 va plus loin que prévu en élargissant la définition d’entreprise d’État contenue dans la Loi sur Investissement Canada et en conférant au ministre de l’Industrie le pouvoir de déterminer si :

  • une unité sous contrôle canadien est contrôlée en fait par une ou plusieurs entreprises d’État;
  • une unité est contrôlée ou non en fait par une entreprise d’État;
  • il y a eu ou non une acquisition de contrôle d’une unité dans les faits par une entreprise d’État.

Par conséquent, pour certains investissements, les modifications proposées pourraient faire en sorte qu’un investisseur soit considéré comme une entreprise d’État, ce qui éliminerait l’actuelle « règle refuge » selon laquelle une acquisition de moins d’un tiers des actions avec droit de vote d’une société par actions, ou de moins de la majorité des intérêts avec droit de vote d’une société de personnes ou d’une coentreprise, n’entraîne pas une acquisition de contrôle. Les modifications conféreraient au ministre un nouveau pouvoir, celui d’examiner tous les investissements auxquels prennent part des entreprises d’État, y compris les investissements minoritaires par des entreprises d’État, afin de déterminer s’ils leur procurent dans les faits le contrôle de l’entreprise canadienne, et ainsi exiger un examen de l’avantage net aux termes de la Loi sur Investissement Canada

Le projet de loi C-60 suscite donc beaucoup d’incertitude quant au traitement que le gouvernement fédéral réservera aux investissements proposés par des entreprises d’État, ce qui n’était pas prévu en décembre 2012.

 

Aperçu 

Comme on le prévoyait, le projet de loi C-60 inclut des modifications à la Loi sur Investissement Canada visant à mettre en œuvre les réformes annoncées précédemment, qui :

  • définissent ce qu’est une entreprise d’État, y compris un gouvernement étranger ou une unité contrôlée ou influencée, directement ou indirectement, par un gouvernement étranger;
  • mettent en place de nouveaux seuils d’examen des acquisitions de contrôle par des non-Canadiens, autres que des entreprises d’État, commençant à 600 millions de dollars et augmentant éventuellement à 1 milliard de dollars en fonction de la « valeur d’affaire »;
  • établissent un seuil indexé séparé pour l’examen des acquisitions de contrôle par une entreprise d’État;
  • pourraient éventuellement autoriser d’importantes prolongations des délais d’examen en matière de sécurité nationale.

En plus de mettre en œuvre les réformes annoncées précédemment, le projet de loi C-60 comprend également des modifications à la Loi sur Investissement Canada qui accroissent la surveillance exercée par le gouvernement fédéral sur les investissements proposés par des entreprises d’État :

  • en étendant la définition d’« entreprise d’État » à un individu qui agit sous l’autorité d’un gouvernement étranger ou son influence;
  • en autorisant le ministre à déterminer si une unité qui est par ailleurs sous contrôle canadien est contrôlée en fait par une entreprise d’État;
  • en conférant au ministre le pouvoir de déterminer si une unité est contrôlée par une entreprise d’État ou s’il y a eu une acquisition de contrôle dans les faits par une entreprise d’État.

Contexte

En décembre 2012, après avoir longuement examiné, puis finalement avoir approuvé, les acquisitions de Nexen Inc. par l’entreprise d’État chinoise CNOOC et de Progress Energy Resources Corp. par l’entreprise d’État malaisienne PETRONAS, le gouvernement fédéral a resserré l’admissibilité des investissements futurs par des entreprises d’État en publiant de nouvelles Lignes directrices sur les investissements par des entreprises d’État étrangères, ainsi que plusieurs énoncés de politique et promesses de réforme de son processus d’examen des investissements par des entreprises d’État (voir Actualités Osler – Les nouvelles règles régissant l’investissement étranger par les sociétés d’État permettent-elles d’atteindre l’équilibre adéquat?). Les nouvelles lignes directrices indiquaient ce qui suit :

  • le gouvernement fédéral surveillera de près les investissements proposés par des entreprises d’État dans tous les secteurs;
  • les acquisitions futures de contrôle d’une entreprise canadienne de sables bitumineux par une entreprise d’État ne seront dorénavant considérées comme représentant un avantage net pour le Canada que dans des circonstances exceptionnelles;
  • à la suite de l’augmentation du seuil d’examen général des investissements par des non-Canadiens, les acquisitions de contrôle d’entreprises canadiennes par des entreprises d’État demeureront assujetties au seuil actuel, plus bas;
  • le fardeau de la preuve repose sur les investisseurs étrangers, ceux-ci devant convaincre le ministre que les investissements envisagés qui sont assujettis à l’examen au titre de la Loi sur Investissement Canada sont vraisemblablement à l’avantage net du Canada;
  • il sera attendu que, les investisseurs d’entreprises d’État abordent, dans leurs plans et engagements, la question à savoir s’ils sont susceptibles d’être sujets à l’influence d’État, en plus de démontrer un engagement fort envers des activités transparentes et de nature commerciale;
  • pour déterminer si une acquisition de contrôle proposée procure un avantage net au Canada, le ministre tiendra également compte du respect des principes de marché libre par l’entreprise d’État et de l’effet de l’investissement sur le niveau et la nature de l’activité économique au Canada, notamment l’effet sur les niveaux d’emploi, de production et de capital au Canada.

Nouveaux seuils

 

Le projet de loi C-60 confirme l’intention du gouvernement fédéral de mettre en œuvre une augmentation du seuil d’examen général pour les acquisitions de contrôle par des non-Canadiens, autres que des entreprises d’État, à 600 millions de dollars en fonction de la « valeur d’affaire », pour éventuellement le porter à 1 milliard de dollars sur quatre ans. Une fois en vigueur, ce nouveau seuil remplacerait l’actuel seuil pour les acquisitions de contrôle par des non-Canadiens fondé sur la valeur comptable, qui est actuellement fixé à 344 millions de dollars pour 2013 et qui est indexé annuellement en fonction de la croissance du PIB nominal. Le projet de loi C-60 confirme les augmentations du seuil, mais exclut maintenant les acquisitions de contrôle par des entreprises d’État, réalisant ainsi la promesse faite par le gouvernement fédéral en décembre 2012 de maintenir l’actuel seuil d’examen plus bas pour les investissements par des entreprises d’État. 

Les modifications aux seuils d’examen n’entreront en vigueur qu’une fois que le gouverneur en conseil l’aura ordonné par décret. Il reste toutefois un aspect important à régler, soit celui de la définition de « valeur d’affaire ». Selon le plus récent avant-projet, la « valeur d’affaire » est définie en fonction de la capitalisation boursière, en ajoutant le passif et en soustrayant l’argent comptant, dans le cas de sociétés cotées en bourse, et au prix d’achat, dans le cas de sociétés fermées et d’acquisitions d’actifs. L’avant-projet a créé une certaine incertitude autour de la détermination du dépassement du seuil, surtout dans le cas d’initiateurs multiples, et visait davantage d’opérations que ce n’est le cas en vertu de l’actuel seuil fondé sur la valeur comptable (voir Actualités Osler – Modifications proposées à la Loi sur Investissement Canada et au processus d’examen des investissements étrangers – Avantage ou fardeau accru pour les investisseurs étrangers?). L’incidence de l’augmentation proposée du seuil d’examen des transactions dépendra donc de la définition prescrite de « valeur d’affaire ».

 

Définition d’entreprise d’État 

L’annonce faite en décembre 2012 par le gouvernement fédéral concernant la révision de la définition d’entreprise d’État pour comprendre les unités qui sont « influencées directement ou indirectement » par un gouvernement étranger sera mise en œuvre par le projet de loi C-60. Toutefois, la nouvelle définition d’entreprise d’État contenue dans le projet de loi est élargie aux individus qui agissent sous l’autorité d’un gouvernement étranger ou son influence, directe ou indirecte. 

On ignore de quelle façon le gouvernement fédéral évaluera l’influence directe ou indirecte d’une unité, ou si un individu agit sous l’autorité d’un gouvernement étranger ou son influence, directe ou indirecte, mais il s’agira vraisemblablement d’un seuil plus bas que la norme appliquée selon le critère du « contrôle dans les faits ». La définition élargie d’entreprise d’État risque de créer une grande incertitude au sein des entités qui sont théoriquement fermées parce qu’elles ne sont pas contrôlées en droit ou de fait par un gouvernement étranger, mais qui pourraient comporter des investissements minoritaires par un gouvernement ou entretenir des relations commerciales avec des gouvernements étrangers ou des relations importantes avec des fonctionnaires du gouvernement. L’inclusion des « individus » cause un surcroît d’incertitude quant à savoir si les nominations de membres du conseil d’administration par des investisseurs minoritaires ou les relations individuelles de membres du conseil d’administration avec des gouvernements étrangers constitueront des cas où un individu agit sous l’autorité d’une entreprise d’État ou son influence.

 

Décision du ministre relative au statut d’entreprise d’État et au contrôle par une entreprise d’État 

Dans ses annonces faites en décembre 2012, le gouvernement fédéral a indiqué qu’il surveillerait minutieusement les transactions effectuées par les entreprises d’État dans l’ensemble de l’économie canadienne et qu’il examinerait de près le degré de contrôle ou d’influence que l’entreprise d’État exercerait vraisemblablement sur l’entreprise canadienne visée par l’acquisition et l’industrie dont elle fait partie, de même que l’étendue de contrôle ou de l’influence que l’État étranger exercerait vraisemblablement sur l’entreprise d’État faisant l’acquisition de l’entreprise canadienne. 

Le projet de loi C-60 comprend des modifications à la Loi sur Investissement Canada qui conféreraient au ministre de nouveaux pouvoirs de déterminer si : 

  • une unité sous contrôle canadien est contrôlée en fait par une ou plusieurs entreprises d’État;
  • une unité est contrôlée ou non en fait par une entreprise d’État;
  • il y a eu ou non une acquisition de contrôle d’une unité dans les faits par une entreprise d’État.

Le ministre pourrait demander à l’unité les renseignements qu’il considère nécessaires pour prendre sa décision et, si l’unité refuse ou néglige de fournir les renseignements demandés dans un délai raisonnable, le ministre pourrait déclarer que l’unité n’est pas sous contrôle canadien, qu’elle soit ou non contrôlée en fait par une entreprise d’État, ou qu’il y ait eu ou non une acquisition de contrôle de l’unité dans les faits par une entreprise d’État. 

Les modifications proposées à l’égard de contrôle dans les faits ajoutent un nouveau niveau d’incertitude quant au traitement que réservera le gouvernement fédéral aux investissements proposés par des entreprises d’État. Dans le cas de certains investissements, les modifications proposées élimineraient l’actuelle « règle refuge » selon laquelle une acquisition de moins d’un tiers des actions avec droit de vote d’une société par actions, ou moins de la majorité des intérêts avec droit de vote d’une société de personnes ou d’une coentreprise, n’entraîne pas une acquisition de contrôle. Les modifications donneraient au ministre la capacité nouvelle d’examiner tous les investissements auxquels prennent part des entreprises d’État, y compris les investissements minoritaires par des entreprises d’État, pour déterminer s’ils procurent un contrôle dans les faits à l’entreprise d’État, et ainsi exiger un examen de l’avantage net en vertu de la Loi sur Investissement Canada

Des dispositions similaires sur le contrôle de fait s’appliquent aux entreprises culturelles. Notre expérience dans ce secteur nous porte à croire qu’il est possible de conclure des transactions où le contrôle de fait peut être un problème, mais qu’il faut s’attendre dans certains cas à ce que les démarches soient plus longues et plus complexes si l’on veut respecter ces dispositions. 

Prolongation des délais associés à l’examen en matière de sécurité nationale 

Dans son annonce de décembre 2012, le gouvernement fédéral a évoqué des modifications à la Loi sur Investissement Canada visant à doter le ministre de la souplesse nécessaire pour prolonger les délais des examens en matière de sécurité nationale dans des circonstances exceptionnelles. Au moment de l’annonce de décembre 2012, il était difficile de dire quels délais le ministre souhaiterait prolonger. 

La Loi sur Investissement Canada prévoit un certain nombre de délais associés aux examens en matière de sécurité nationale, y compris : i) le délai dont dispose le ministre pour donner avis qu’il entend mener un examen de sécurité nationale et ordonner ledit examen; ii) si un examen de sécurité nationale est ordonné, le délai dont dispose le ministre pour mener ledit examen et renvoyer un investissement au gouverneur en conseil s’il croit que l’investissement risque de porter atteinte à la sécurité nationale ou qu’il n’est pas en mesure de déterminer si tel sera le cas; et iii) le délai dont dispose le gouverneur en conseil pour prendre toutes les mesures nécessaires pour préserver la sécurité nationale. 

Le projet de loi C-60 propose des modifications visant à prolonger à 30 jours un certain nombre de délais relativement courts de cinq jours et de permettre, moyennant une entente à cet égard entre le ministre et l’investisseur non canadien, que divers délais soient prolongés. 

Même si les prolongations proposées des délais associés aux examens en matière de sécurité nationale et la possibilité de négocier des prolongations accroissent la souplesse du processus, ces propositions peuvent donner lieu à un examen prolongé lorsque l’investisseur pourrait se sentir obligé d’accepter la demande de prolongation du ministre pour éviter l’échec de sa transaction. 

Dans l’ensemble, le projet de loi C-60 donnerait au gouvernement fédéral la souplesse nécessaire pour évaluer les investissements proposés par des entreprises d’État sous tous les angles possibles et pour effectuer un examen long et minutieux des transactions sur le plan de la sécurité nationale.


1  Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 21 mars 2013 et mettant en œuvre d’autres mesures.

Le texte complet du projet de loi C-60 est accessible à l’adresse suivante : http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?Language=E&Mode=1&DocId=6113748&File=4.

 

Authored by Michelle Lally, Peter Glossop, Peter Franklyn, Shuli Rodal, Matthew Anderson