Passer au contenu

Le rejet par la CVMO d'allégations de délit d'initié met l'accent sur les difficultés associées à ces poursuites

Auteur(s) : Lawrence E. Ritchie, Karin Sachar, Alexander Cobb, Shawn Irving

28 août 2014

Le 26 août 2014, un comité de la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario (le « comité ») a rendu sa décision très attendue concernant les allégations de délit d'initié, de divulgation de renseignements sur le marché et de conduite contraire à l'intérêt du public dans le cadre de l'offre d'achat hostile de Baffinland Iron Mines Corporation par Nunavut Iron Ore Acquisition Inc. en 2010. La décision a rejeté toutes les allégations contre les intimés, démontrant une fois de plus les difficultés que comportent de telles poursuites.

Les allégations

Les faits de l'affaire sont relativement simples. De février à avril 2010, Baffinland a retenu les services d'un consultant pour fournir des conseils stratégiques au conseil et au chef de la direction.  Au cours de la période de consultation et après celle-ci, certains renseignements confidentiels ont été communiqués au consultant par la société, notamment des renseignements concernant les négociations de Baffinland avec ArcelorMittal portant sur une coentreprise éventuelle. Au début de septembre 2010, le consultant, de concert avec le coïntimé, a acquis un important bloc d'actions de Baffinland (un achat initial), et a par la suite lancé une offre publique d'achat sur la société. 

Le personnel de la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario (le « personnel ») a allégué que le consultant, de concert avec le coïntimé, avait utilisé des renseignements confidentiels qui lui avaient été communiqués afin d'effectuer l'achat initial puis de lancer l'offre publique d'achat.

Afin de prouver que les deux individus avaient enfreint l'article 76(1) de la Loi sur les valeurs mobilières (la « Loi »), le personnel devait démontrer que les intimés avaient entrepris l'offre publique d'achat alors qu'ils étaient des personnes ayant des rapports particuliers avec Baffinland et connaissaient des faits pertinents concernant Baffinland n'ayant pas encore été divulgués au public. Le personnel a également allégué que le consultant avait enfreint l'article 76(2) de la Loi en informant des tiers, notamment le coïntimé, des faits pertinents au sujet de Baffinland avant que ces faits n'aient été divulgués au public. De plus, le personnel a allégué que les intimés avaient agi à l'encontre de l'intérêt public en utilisant les renseignements confidentiels de cette manière, et que le consultant en particulier avait agi à l'encontre de l'intérêt public en n'ayant pas toujours agi dans l'intérêt supérieur de Baffinland pendant qu'il était consultant et par la suite.

La décision et les conclusions

Après plus de 40 jours de preuve et d'arguments, où plus de 2 600 documents ont été déposés, le comité a rejeté les allégations contre les deux intimés. Il a conclu qu'au moment de l'achat initial, le consultant n'avait pas connaissance de faits pertinents sur Baffinland qui n'avaient pas été divulgués au public. Par conséquent, le consultant ne pouvait pas avoir fait part au coïntimé de tels faits n'ayant pas été divulgués au public. Ni les allégations de délit d'initié ni les allégations de divulgation de renseignements sur le marché n'ont pu être établies.

Qu'est-ce qu'un fait pertinent?

Pour en arriver à sa conclusion, le comité a examiné si les renseignements confidentiels concernant le statut et les modalités des négociations avec ArcelorMittal constituaient des « faits pertinents » au sens du paragraphe 76(1) d e la Loi. Le comité a confirmé que le statut et les modalités des négociations concernant une coentreprise potentielle entre deux sociétés publiques pouvaient, dans certains cas, constituer des faits pertinents. Cependant, le comité a apporté une précision importante sur la portée du « test de la probabilité-magnitude » américain, qui indique que la question visant à déterminer si un fait éventuel est pertinent dépend de l'importance du fait éventuel et de la probabilité qu'il puisse se produire. Dans des affaires antérieures, les comités de la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario avaient appliqué ce test, soutenant que la possibilité d'un événement très important puisse être pertinente, même si la probabilité qu'il survienne est faible. Dans l'affaire Baffinland, le comité a précisé que, bien que le test de la probabilité-magnitude puisse être utile à l'évaluation de la pertinence, la principale question reste à savoir si la divulgation de l'éventualité non divulguée pouvait raisonnablement avoir une incidence importante sur le cours du marché. Dans ce cas, les négociations qu'on alléguait être un fait pertinent n'étaient pas à une étape avancée et la transaction proposée n'était ni imminente ni même vraisemblable. Par conséquent, le comité n'a pas admis que la divulgation des négociations ait pu avoir eu une incidence importante sur le cours du marché. 

Le comité a aussi conclu que, même si les renseignements obsolètes concernant les négociations avaient pu être pertinents à une date antérieure, si les événements survenus ou le temps écoulé nient ou réduisent l'importance de ces renseignements, ceux-ci ne peuvent plus être considérés comme des renseignements « pertinents ».  Dans ce cas, les renseignements confidentiels communiqués au consultant agissant à ce titre ont cessé d'être exacts ou pertinents à la date à laquelle l'achat initial a été effectué.

À quel moment un fait pertinent est-il « divulgué au public »?

Le comité a également apporté une importante précision concernant la signification de l'expression « divulgué au public ». Les renseignements concernant l'existence de négociations entre Baffinland et ArcelorMittal ont été « largement et équitablement communiqués » à l'industrie sidérurgique et aux investisseurs avertis dans les petites sociétés d'exploration au Canada. Ils ont fait l'objet de commentaires dans l'industrie et dans les publications sur l'investissement, et étaient connus, à divers degrés, par un certain nombre de membres de l'industrie, notamment des partenaires stratégiques potentiels ainsi que des conseillers et analystes financiers. Le comité a indiqué que les renseignements avaient bien été divulgués à un public spécialisé. Cependant, les renseignements n'avaient pas été communiqués de manière à ce qu'ils soient connus des épargnants en général et, même si ça avait été le cas, le public n'avait pas eu la possibilité raisonnable de digérer l'information. Par conséquent, ces renseignements n'avaient pas été « divulgués au public ».

Qu'est-ce qu'un rapport particulier?

Même si ce n'était pas nécessaire, le comité a aussi examiné la question de savoir si les intimés auraient entretenu un rapport particulier avec Baffinland s'il avait conclu que les intimés connaissaient des faits pertinents. Le comité a jugé que, si ça avait été le cas, il aurait conclu que le consultant entretenait des rapports particuliers avec Baffinland en vertu des paragraphes 76(5)d) et e) de la Loi pour les motifs suivants :

  • Le consultant a obtenu des renseignements sur Baffinland pendant son mandat, alors qu'il était une personne exerçant une activité commerciale ou professionnelle avec Baffinland ou pour le compte de celle-ci; 
  • Le conseiller a obtenu des renseignements sur Baffinland pendant et après son mandat des administrateurs et dirigeants de Baffinland, qui étaient eux-même des personnes entretenant un rapport particulier avec Baffinland.

De plus, le comité aurait conclu que le coïntimé (l'« initié présumé ») entretenait un rapport particulier avec Baffinland en raison du fait qu'il avait acquis la totalité de ses renseignements sur Baffinland du consultant, dans des circonstances où il savait ou aurait dû savoir que le consultant entretenait un rapport particulier avec Baffinland.

Compétence en matière d'intérêt public

L'un des aspects les plus pertinents de la décision est l'approche du comité quant à la compétence en matière d'« intérêt public » de la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario. Ayant conclu que la « loi sur les valeurs mobilières » n'avait pas été enfreinte, le comité a toutefois examiné s'il avait la compétence pour rendre une ordonnance en vertu de sa compétence en matière d'intérêt public (article 127) relativement à (i) une opération effectuée alors que la personne détient des renseignements confidentiels, non pertinents; ou au (ii) manquement d'agir dans l'intérêt de l'émetteur alors que la personne entretient un rapport particulier avec l'émetteur.

Le comité a indiqué que l'article 76 de la Loi n'interdisait pas la négociation d'actions en raison de renseignements confidentiels non pertinents ou de rumeurs, de spéculations ou de suppositions, et que, par conséquent, il n'était pas approprié de conclure que les intimés avaient agi à l'encontre de l'intérêt public alors que l'on avait conclu qu'ils n'avaient pas connaissance de faits pertinents. De la même manière, le comité a conclu qu'il ne relevait pas de sa compétence de tirer des conclusions concernant des allégations que le consultant n'avait pas toujours agi dans l'intérêt de Baffinland pendant ou après son mandat. Le comité n'a trouvé aucun motif de le condamner aux fins de la protection des investisseurs ou de la promotion de marchés financiers justes et efficaces et de la confiance dans les marchés financiers.

Conséquences

À première vue, l'affaire Baffinland peut être considérée comme un autre revers pour les organismes de réglementation dans la poursuite en justice d'un délit d'initié allégué. Comme nous l'avons mentionné dans des articles précédents sur le blogue Gestion de risques et réponse aux crises d'Osler, les organismes de réglementation au nord et au sud de la frontière demeurent confrontés à de nombreux défis quand vient le temps de prouver des allégations de délit d'initié et de divulgation de renseignements sur le marché, qui comprennent des ressources financières limitées, des outils d'enquête et d'application de la loi perçus comme n'étant pas suffisamment efficaces, et une structure nationale inadéquate pour la coordination des activités de surveillance et d'application de la loi.

Ce comité semble avoir mis la barre haute quant à ce qui constitue un « fait pertinent » dans le contexte des allégations de délit d'initié. Néanmoins, la décision Baffinland souligne que les participants aux marchés financiers doivent continuer de faire preuve de prudence lorsqu'ils utilisent et divulguent des renseignements confidentiels de nature délicate ayant été obtenus alors qu'ils entretenaient un rapport particulier avec un émetteur assujetti.

 

Authored by: Lawrence E. Ritchie, Alexander Cobb, Shawn Irving, Karin Sachar