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La Cour d’appel du Yukon confirme la valeur transactionnelle dans une décision en matière de dissidence

Auteur(s) : Alex Gorka, Jeremy Fraiberg, Kevin O’Brien, Brett Anderson

Le 12 février 2020

Introduction

Dans une récente décision rendue quant à l’affaire Carlock v. ExxonMobil Canada Holdings ULC, 2020 YKCA 4 (en anglais seulement), la Cour d’appel du Yukon (la Cour d’appel) a conclu que le prix négocié d’une opération constituait la juste valeur des actions des porteurs dissidents relativement à l’acquisition, en 2017, d’InterOil Corporation (InterOil) par ExxonMobil Canada Holdings ULC (ExxonMobil). La décision de la Cour d’appel venait infirmer la décision antérieure de la Cour suprême du Yukon (le tribunal de première instance), qui accordait aux actionnaires dissidents une étonnante prime de 43 % sur le prix négocié, comme nous l’avons vu dans notre bulletin d’actualités Osler antérieur.

Ce jugement démontre que les tribunaux canadiens considéreront le prix négocié dans les opérations de fusions et acquisitions publiques comme un solide indicateur de la juste valeur, ce qui correspond aux décisions récentes rendues sur cette question au Delaware et dans des décisions antérieures au Canada.

This judgment signals that Canadian courts will view the negotiated deal price in public M&A transactions as a strong indicator of fair value, consistent with recent decisions on this issue in Delaware and prior decisions in Canada.

Contexte

InterOil a été constituée en vertu de la Loi sur les sociétés par actions du Yukon et est cotée à la bourse de New York. Son principal actif était une coentreprise dans un projet en démarrage de pétrole et de gaz naturel en Papouasie–Nouvelle-Guinée. InterOil s’est engagée dans un processus de vente, qui s’est conclu par une entente avec Oil Search. Puis, ExxonMobil a fait une offre supérieure en vue d’acquérir InterOil au moyen d’un plan d’arrangement (le premier arrangement), consistant en un paiement de 45 $ US l’action d’Exxon Mobil Corporation, majoré d’un paiement de ressources conditionnel (PRC). Comme il a été décrit dans un précédent bulletin d’actualités Osler, le premier arrangement a d’abord été bloqué par la Cour d’appel, malgré l’appui de plus de 80 % des voix rattachées aux actions, en grande partie du fait de la non-divulgation de l’analyse financière sous-jacente à l’avis sur le caractère équitable obtenu à l’appui de l’opération et donc, du risque que les actionnaires ayant approuvé le premier arrangement n’aient pas exercé un vote pleinement éclairé.

À la suite d’une hausse du droit à la valeur conditionnelle (DVC) offerte aux actionnaires d’InterOil, de la production de l’analyse financière et de la tenue d’un deuxième vote des actionnaires approuvant l’opération à 91 % des voix exprimées, l’arrangement (le deuxième arrangement) a été approuvé par le tribunal de première instance.

Un faible pourcentage des actionnaires, soit 0,5 % d’entre eux, ont exercé leur droit à la dissidence relativement au deuxième arrangement. Le tribunal de première instance a retenu la preuve d’évaluation présentée par les actionnaires dissidents et déclaré qu’ils avaient droit à 71,46 $ US par action.

Décision

La Cour d’appel a rejeté la juste valeur établie par le tribunal de première instance à l’égard des actions des dissidents. En établissant la juste valeur, la Cour d’appel a statué que « lorsqu’il... existe un marché libre pour les actions ou une autre preuve de conduite sans lien de dépendance de nombreux participants au marché, agissant dans leur propre intérêt et fixant un prix, cette preuve devient alors un indicateur particulièrement fiable de la juste valeur... Une preuve objective relative au marché, en l’absence de preuve de déficience du marché, est plus fiable qu’une analyse théorique qui tente de tirer une valeur en fonction d’hypothèses de ce qu’un marché réel divulguerait, le cas échéant. »

Le tribunal de première instance s’est concentré sur les lacunes du processus et, par conséquent, n’a pas appliqué le principe de déférence envers le prix négocié, ni retenu celui-ci en tant qu’indicateur de la juste valeur. La Cour d’appel a rejeté chacune des lacunes invoquées par le tribunal de première instance. La Cour d’appel a notamment souligné : (1) qu’un processus de vente aux enchères n’est pas nécessaire pour que les actionnaires reçoivent la juste valeur de leurs actions, et que des mesures de protection de l’opération respectant les normes du marché peuvent être autorisées; (2) que l’absence d’autres offres constitue une preuve du marché objective de la juste valeur; (3) que l’offre de l’acheteur représentait une prime importante par rapport au prix avant l’annonce que les actions étaient détenues par un grand nombre de porteurs et étaient très liquides; (4) que les lacunes constatées en matière d’information et les conflits ont été réglés dans le deuxième arrangement. La Cour d’appel a statué que sa décision précédente, annulant le premier arrangement, n’empêchait pas que l’on puisse se fonder sur la portion au comptant originale du prix de l’opération convenu dans le premier arrangement en tant que juste valeur dans le deuxième arrangement.

En concluant que le prix de l’opération constituait la juste valeur, la Cour d’appel a indiqué que le prix de l’opération avait été négocié sur un marché concurrentiel, constitué de parties bien informées et avisées. De plus, rien n’indiquait qu’un prix plus élevé aurait pu être obtenu, car tous les éventuels acheteurs avaient été bien informés, et rien n’empêchait d’autres acheteurs potentiels de surenchérir par rapport à ExxonMobil.

Conclusion

Généralement, en l’absence de déficience du marché, le prix d’une opération fixé dans un processus de fusion et d’acquisition public et sans lien de dépendance témoigne souvent de la juste valeur qui lui est attribuée. Cette décision offre aux participants au marché une formulation claire et détaillée de ce principe, tout en infirmant la décision antérieure étonnante du tribunal de première instance. De plus, cette décision confirme que les sociétés ne sont pas tenues de procéder à une vente aux enchères pour obtenir la juste valeur de leurs actions.