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La Cour d’appel fédérale infirme la décision du tribunal inférieur de révoquer le permis du projet de nouvelle centrale nucléaire de Darlington – le projet de centrale nucléaire est autorisé

Auteur(s) : Maureen Killoran, c.r., Jennifer Fairfax, Tommy Gelbman, Thomas McNerney

28 septembre 2015

Le 10 septembre 2015, la Cour d’appel fédérale (la « CAF ») a infirmé la décision rendue par la Cour fédérale du Canada (la « CFC ») dans l’affaire Greenpeace Canada c. le Procureur général du Canada, 2014 CF 463, laquelle avait i) révoqué le permis de préparation de l’emplacement (le « permis ») délivré en faveur d’Ontario Power Generation (« OPG ») en vue de construire de nouveaux réacteurs nucléaires à la centrale existante de Darlington et ii) ordonné que l’évaluation environnementale entreprise en vertu de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (la « LCEE de 1992 »)1 soit retournée à la commission d’examen conjoint (la « commission d’examen conjoint ») pour y être approfondie.

La décision confirme l’interprétation actuelle du rôle d’une commission d’examen conjoint chargée de recueillir et d’« examiner » les effets environnementaux possibles d’un projet en vertu des articles 16(1)a) et b) de la LCEE de 1992. La CAF a appliqué la notion bien établie que la commission d’examen conjoint doit effectuer « quelque examen » des questions pertinentes; puisque la LCEE de 1992 ne stipule pas la façon dont les effets environnementaux doivent être examinés, la commission d’examen conjoint fixe l’étendue de l’examen à son gré.

La décision confirme également que la norme d’examen d’une décision d’une commission d’examen conjoint constitue une norme de décision raisonnable, laquelle oblige les juges de l’instance supérieure à s’appuyer sur l’expertise de la commission d’examen conjoint et sur son examen direct de la preuve. Le tribunal d’instance supérieure ne doit pas imposer sa propre vision sur la façon d’examiner les effets environnementaux. La décision aide à comprendre le cadre d’analyse que le tribunal appliquera. La dissidence de la CAF rédigée par le juge Rennie met en lumière que, même si le cadre d’analyse est simple, les juges peuvent et doivent faire preuve de déférence sur la façon dont il est appliqué.

Enfin, la décision met l’accent sur la déférence devant être accordée à la commission d’examen conjoint concernant son examen des effets environnementaux d’un projet, et la façon dont il gère la preuve qui lui est présentée, à la lumière a) de l’exigence selon laquelle l’évaluation environnementale doit être effectuée le plus tôt possible dans le processus de planification et b) du degré d’incertitude pouvant toucher la prévision des effets environnementaux de certain projets.

Une analyse de la décision de la CFC figure dans notre Actualité Osler du 18 juin 2014.

Contexte

En juin 2006, OPG a demandé l’approbation de la construction de nouveaux réacteurs nucléaires à la centrale nucléaire de Darlington existante à Clarington, en Ontario. Le projet fédéral de nouvelle centrale nucléaire de Darlington (le « projet »), qui prévoyait la construction, l’exploitation, le démantèlement et l’abandon de réacteurs nucléaires et la gestion des déchets conventionnels et radioactifs connexes, a déclenché une évaluation environnementale en vertu de la LCEE de 1992 et du Règlement sur les dispositions législatives et réglementaires désignées. Le projet constituait la première nouvelle construction de réacteurs nucléaires proposée au Canada depuis une génération, soit la première depuis l’adoption de la LCEE de 1992 et la première à recourir possiblement à l’uranium enrichi comme carburant.

L’évaluation environnementale du projet a été confiée à une commission d’examen conjoint composée de trois membres, qui avait pour mandat a) de procéder à une évaluation environnementale du projet en fonction de l’étude d’impact environnemental (l’« étude d’impact environnemental ») préparée par OPG et b) d’examiner la demande de permis d’OPG. Le processus d’évaluation environnementale mobilisait le public, la Commission canadienne de sûreté nucléaire (la « CCSN ») et d’autres organismes et ministères gouvernementaux, et comportait des audiences publiques et la présentation de soumissions écrites.

Puisque OPG n’avait pas encore fait le choix d’un type de réacteur en particulier pour le projet, l’étude d’impact environnemental a envisagé, et la commission d’examen conjoint a examiné, plusieurs types de réacteurs possibles en ayant recours à la méthode tenant compte de l'« enveloppe des paramètres de la centrale » (la « méthode EPC »)2, qui consiste à examiner les paramètres du type de réacteur et du site en tenant compte des impacts les plus nuisibles possible sur l’environnement.

Le 25 août 2011, la commission d’examen conjoint a publié son rapport (le « rapport ») dans lequel elle conclut que le projet ne risque vraisemblablement pas de nuire de façon importante à l’environnement, dans la mesure où les recommandations de la commission d’examen conjoint et les engagements d’OPG sont respectés. Le rapport indiquait que, si le projet était lancé, le type de réacteur choisi « devait avoir démontré qu’il respectait la [méthode EPC] et les exigences de la réglementation et devait respecter les hypothèses, les conclusions et les recommandations » de l’évaluation environnementale. Si le type de réacteur choisi « est fondamentalement différent de ceux qui ont été évalués » par la commission d’examen conjoint, le rapport prévoyait que l’évaluation environnementale « ne s’appliquait pas et qu’une nouvelle évaluation environnementale devait être effectuée ». En se fondant en partie sur l’évaluation environnementale, la CCSN a délivré à OPG le permis de dix ans.

Le 14 mai 2014, la CFC a rendu sa décision dans l’affaire Greenpeace Canada c. le Procureur général du Canada, 2014 CF 463. L’affaire, introduite par des groupes environnementaux non gouvernementaux, contestait la proposition d’OPG de construire jusqu’à quatre nouveaux réacteurs nucléaires dans le cadre du projet. La décision a tenu compte de deux demandes de révision judiciaires :

  • une contestation du caractère adéquat de l’évaluation environnementale fédérale du projet en vertu de la LCEE de 1992;
  • une contestation de la délivrance du permis fondée sur l’omission de respecter les exigences de la LCEE de 1992 et de la Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires (la « LSRN »). 

La CFC a rejeté l’argument principal des demandeurs portant sur le caractère inadéquat de l’évaluation environnementale (indiquant qu’« il ne peut y avoir une méthode réglementaire unique pour la conduite d'une évaluation environnementale »), mais elle a conclu que l’évaluation environnementale ne respectait pas les alinéas 16(1)a) et b) de la LCEE de 1992 puisqu’elle omettait d’« examiner » trois questions :

  • les lacunes du scénario limitatif concernant les émissions de substances dangereuses et les stocks de produits chimiques se trouvant sur place (la « question liée aux émissions de substances dangereuses »);
  • la prise en compte du combustible nucléaire épuisé (la « question liée au combustible nucléaire épuisé »); et
  • le report de l’analyse d’un accident grave de cause commune (la « question liée à un accident de cause commune »).

Par conséquent, la CFC a renvoyé l’évaluation environnementale à la commission d’examen conjoint pour qu’elle examine de nouveau ces trois questions et a annulé le permis de préparation de l’emplacement en faisant valoir que l’évaluation environnementale ne se conformait pas encore entièrement à la LCEE de 1992.

OPG, la CCSN et le procureur général ont porté la décision de la CFC en appel.

Décision de la CAF

Les motifs de la majorité justifiant la décision ont été rédigés par les juges Trudel et Ryer, alors que le juge Rennie a énoncé les motifs de sa dissidence, qui fixent le cadre d’analyse adopté par la majorité.

Le tribunal a conclu à l’unanimité que le juge du CFC a commis une erreur dans ses conclusions concernant la question liée au combustible nucléaire épuisé et la question liée à un accident de cause commune. En ce qui concerne la question liée au combustible nucléaire épuisé, le tribunal a conclu que la commission d’examen conjoint avait examiné attentivement la question et que le juge du tribunal d’instance inférieure avait commis une erreur en substituant son point de vue à celui de la commission d’examen conjoint. En ce qui concerne la question liée à un accident de cause commune, le tribunal a déclaré que la LCEE de 1992 n’oblige pas la commission d’examen conjoint à tenir compte des effets environnementaux de tous les scénarios improbables. Par conséquent, l’évaluation de la commission d’examen conjoint de la probabilité d’un accident, et ainsi son évaluation limitée des effets environnementaux, relevait de sa discrétion et sa conclusion était raisonnable dans le contexte de la preuve et des questions qui lui ont été présentées.

Toutefois, le tribunal a été partagé en ce qui concerne la conclusion de la CFC sur la question liée aux émissions de substances dangereuses. Le juge Rennie, dissident, a conclu que la question n’avait pas été examinée adéquatement, alors que la majorité a conclu qu’elle l’avait été.

La majorité a résumé les questions portées en appel de la façon suivante :

a) Est-ce que le juge a choisi la norme d’examen adéquate pour analyser la question liée aux émissions de substances dangereuses examinée par la commission d’examen conjoint en vertu de la LCEE de 1992?

b) Est-ce que le juge a appliqué de façon inadéquate la norme d’examen?

Sur la première question, le tribunal a donné raison à la CFC sur le fait que la question doit être examinée selon la norme d’examen fondée sur la décision raisonnable.

Sur la deuxième question, la majorité a déclaré que la CFC avait appliqué de façon inadéquate la norme d’examen et avait ultimement imposé sa propre vision plutôt que de donner adéquatement déférence à l’égard de la commission d’examen conjoint. Dans son application de la norme de la décision raisonnable à la question, le tribunal « doit tenir compte de la décision [de la commission d’examen conjoint] dans son ensemble, dans le contexte du dossier sous-jacent, afin de déterminer si la conclusion implicite [de la commission d’examen conjoint] selon laquelle elle respectait les exigences d’examen est raisonnable ».

La majorité a déclaré que le type et le niveau d’examen devant être imputés à un effet environnemental, comme la question liée aux émissions de substances dangereuses, en vertu des alinéas 16(1)a) et b) de la LCEE de 1992, doivent être établis par la commission d’examen conjoint. La majorité a cité le juge Pelletier dans l’affaire Inverhuron & District Ratepayers’ Association c. Canada (Ministre de l’Environnement)3, où il a été conclu que le faible critère de « quelque examen » des effets environnementaux est suffisant pour satisfaire aux exigences de la loi. Sans lignes directrices du législateur, la commission d’examen conjoint avait « la liberté de choisir le type et le niveau d’examen qu’il était requis d’imputer aux effets de la question liée aux émissions de substances dangereuses sur l’environnement dans le cadre de l’évaluation environnementale ».

 

1     La LCEE de 1992 a été remplacée par la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) (L.C. 2012, ch. 19, art. 52) le 6 juillet 2012.

2     Aussi appelée « l’approche limitative » ou le « scénario limitatif ».

3     2000 CanLII 15291 (CF) au par. 71, 191 FTR 20, [2000] FCJ no 682 (QL).