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Les clauses de réserve en faveur du propriétaire sont compatibles avec l'intérêt à bail aux fins de la Loi sur l'évaluation foncière

Auteur(s) : Julianne Gu

2 mars 2015

Dans l’affaire Exchange Corporation Canada Inc. c. Mississauga (City)1, Exchange Corporation Canada Inc. (« Exchange ») exploite des kiosques dans différentes aérogares de l’aéroport international Pearson de Toronto (l’« aéroport ») dans le cadre d’une convention conclue en 2003 (la « convention ») entre l’Autorité aéroportuaire du Grand Toronto (« GTAA »). Exchange offre des services de change de devises et des services d’assurance-voyage. 

En 2006, la ville de Mississauga (la « Ville ») et la Société d’évaluation foncière des municipalités ont délivré des avis d’évaluation omise à Exchange relativement à des impôts fonciers municipaux fondés sur la valeur de la superficie (le « local ») occupée par Exchange en vertu de l’article 33 de la Loi sur l’évaluation foncière2. Exchange a allégué que, même si la convention s’appelait un « bail » et que les termes « propriétaire » et « locataire » y étaient utilisés, compte tenu des nombreuses réserves en faveur du propriétaire, la convention ne devrait pas être qualifiée de bail. Ainsi, Exchange ne devrait pas être considérée comme un « locataire » au sens de la Loi sur l’évaluation foncière ni être assujettie à l’impôt foncier. En revanche, Exchange a allégué que, si elle y est assujettie, le local devrait être évalué à un taux nettement plus avantageux à titre de « bien admissible », conformément à l’article 331 de la Loi de 2001 sur les municipalités3.

De la question de savoir si Exchange est un « locataire » aux termes de la Loi sur l’évaluation foncière

La Loi sur l’évaluation foncière de l’Ontario permet aux municipalités de prélever des impôts fonciers auprès des propriétaires fonciers situés dans les limites de leur ville. Cependant, les biens appartenant au gouvernement fédéral sont exonérés de tels impôts fonciers. Même si, en règle générale, les locataires ne paient pas d’impôts fonciers municipaux aux termes de la Loi sur l’évaluation foncière, le locataire d’un terrain appartenant à la Couronne fait l’objet d’une évaluation et est assujetti à l’impôt foncier comme s’il était le propriétaire, si un loyer ou toute autre contrepartie de valeur est payé à l’égard du terrain4. En outre, le terrain dont une administration aéroportuaire désignée est propriétaire ou locataire est exonéré d’impôt foncier si l’administration aéroportuaire désignée effectue des « paiements tenant lieu d’impôts » (« PTLI »)5. Toutefois, cette exonération d’impôt foncier ne s’applique pas aux parties de l’aéroport louées par le locataire qui n’est pas une administration aéroportuaire désignée6. L’aéroport est la propriété du gouvernement fédéral, mais il est loué à GTAA, qui est une administration aéroportuaire désignée et effectue des PTLI à la Ville. Tous les locataires de GTAA qui occupent un local à l’aéroport et paient un loyer pour ce local font l’objet d’une évaluation i) selon un numéro de rôle d’évaluation distinct et ii) en fonction de la valeur du local qu’ils occupent.

Pour déterminer si Exchange est un « locataire » ou n’en est pas un aux termes de la Loi sur l’évaluation foncière, le juge de première instance a axé son analyse sur les contrôles et les réserves de GTAA prévus dans la convention relativement à l’utilisation du local par Exchange, y compris le droit de GTAA de faire ce qui suit :

  1. résilier la convention moyennant un préavis de 60 jours en vue du réaménagement de l’aéroport (à la condition que GTAA paie des frais de rupture correspondant à la fraction non amortie du coût des améliorations locatives d’Exchange);
  2. approuver les panneaux et les autres annonces visibles de l’extérieur du local d’Exchange;
  3. obliger Exchange à cesser toute conduite ou pratique commerciale qui pourrait porter préjudice aux activités ou à la réputation de GTAA;
  4. exiger d’Exchange qu’elle occupe et utilise le local conformément aux usages prévus, soit la vente d’assurance, le change de devises et les usages connexes, et qu’elle n’incite personne à faire affaire ailleurs;
  5. imposer des limites aux prix facturés par Exchange;
  6. obliger Exchange à exercer ses activités pendant des heures déterminées;
  7. avoir accès au local aux fins d’inspection et de réparation;
  8. approuver les modifications devant être apportées au local;
  9. déménager Exchange à un autre endroit dans le terminal, au besoin, pour des raisons d’exploitation ou de réaménagement;
  10. consentir à la cession de la convention.

Le juge de première instance a qualifié la convention de « convention de concession » et non de bail et a conclu que Exchange était un titulaire de licence et non le « locataire » du local. Selon le juge de première instance, puisque le local d’Exchange ne constituait pas « une partie du bien‑fonds dont est preneur à bail un locataire » au sens du sous-alinéa 3(1)(24)iv) de la Loi sur l’évaluation foncière, le local d’Exchange devrait être exonéré d’impôt.

La Cour divisionnaire a infirmé la décision du juge de première instance : en effet, elle a déclaré que le juge de première instance avait erré en droit en axant son analyse sur certaines clauses uniquement sans tenir compte de la convention dans son ensemble. Elle a également indiqué que le juge de première instance avait omis de tenir compte d’importantes clauses de la convention qui indiquaient la prise à bail, y compris une clause de jouissance paisible et une clause de désignation accordant un droit sur le bien. Citant la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Re B.A. Oil Co. & Halpert7, la Cour divisionnaire a statué que « [Traduction libre] un élément essentiel de la relation [propriétaire-locataire] est que le propriétaire accorde la possession exclusive au locataire relativement aux fins pour lesquelles l’occupation est prévue. De plus, il y a lieu de considérer si les restrictions imposées au locataire viennent limiter ou compromettre l’exclusivité de la possession8 ».

La Cour d’appel était d’accord avec la Cour divisionnaire sur le fait que le juge de première instance avait omis de considérer la convention dans son ensemble et, plus particulièrement, avait omis de tenir compte des clauses de désignation et de jouissance paisible, en plus des caractéristiques suivantes de la convention : 

  1. la convention est appelée un « bail » dans lequel GTAA est désignée à titre de « propriétaire » et Exchange à titre de « locataire »;
  2. la convention stipule expressément qu’elle établit la relation de propriétaire et de locataire;
  3. GTAA a déclaré qu’elle bénéficiait d’un intérêt à bail suffisant dans le bien-fonds pour lui permettre d’accorder à Exchange l’intérêt à bail prévu par la convention;
  4. la convention « [Traduction libre] est un bail complètement sans souci absolument net pour le propriétaire », sous réserve de ce qui est prévu dans la convention;
  5. Exchange est obligée de payer un loyer;
  6. Exchange est tenue de payer l’impôt attribuable à son local, si celui-ci fait l’objet d’une évaluation distincte, ou si tel n’est pas le cas, comme GTAA peut le déterminer;
  7. le local d’Exchange est décrit avec précision;
  8. Exchange est tenue de rendre le local au moment de l’expiration ou de la résiliation de la convention;
  9. la convention lie les successeurs et ayants droit autorisés.

En définitive, la Cour d’appel a conclu que, même si la convention « [Traduction libre] contenait effectivement d’importantes réserves de droits en faveur de GTAA, lorsqu’on l’examinait à la lumière d’un bail dans son ensemble, les droits en question étaient conformes au statut juridique d’Exchange à titre de locataire. Les droits que GTAA se réservait étaient similaires à ceux que l’on trouve couramment dans les baux commerciaux [et étaient] conformes au degré de possession exclusive requis pour constituer le statut juridique de locataire9 ».

De la question de savoir si le local d’Exchange constitue un « bien admissible » aux termes de la Loi de 2001 sur les municipalités

L’adoption de l’article 331 de la Loi de 2001 sur les municipalités visait à atténuer ce qui aurait pu autrement constituer des augmentations d’impôt excessives pour certains biens à la suite de la modification du régime d’évaluation foncière. Si un bien constitue un « bien admissible », l’impôt à son égard est limité au taux d’imposition effectif moyen établi en fonction d’au plus six biens comparables.

Exchange s’est fondée sur l’alinéa b) de la définition de « bien admissible » du paragraphe 331(20) de la Loi de 2001 sur les municipalités, qui visent tout bien qui « [cesse] d’être exonéré d’impôt pour 2001 ou une année ultérieure », et a allégué que son local constituait un « bien admissible » puisque le local était exonéré d’impôt tant qu’il était occupé par GTAA et a cessé de l’être lorsqu’il l’a été par Exchange à partir de 2003. Les tribunaux des trois instances ont établi que le local d’Exchange ne constituait pas un « bien admissible » puisque le terme « bien », tel qu’il est utilisé, doit s’appliquer à des parcelles complètes, c.-à-d. à tout le bien-fonds de l’aéroport, et non seulement à des espaces individuels occupés par divers locataires. Par conséquent, la Cour d’appel a confirmé la conclusion de la Cour divisionnaire selon laquelle l’évaluation d’Exchange en qualité de locataire aux termes de la Loi sur l’évaluation foncière ne créait pas un « bien » distinct et n’accordait pas au local d’Exchange un traitement de faveur en vertu de l’article 331 de la Loi de 2001 sur les municipalités.

Points clés

Dans cette affaire, la décision a mis en évidence plusieurs facteurs à considérer pour déterminer si une convention constitue un bail aux termes de la Loi sur l’évaluation foncière :

  1. la clause de jouissance paisible et la clause de désignation sont deux indicateurs importants de l’existence d’un bail;
  2. les réserves imposées à un locataire se retrouvent couramment dans des baux commerciaux et ne sont pas mutuellement exclusifs du degré de possession exclusive requis pour la prise à bail;
  3. les réserves en faveur d’un propriétaire doivent être considérées à la lumière du bail pris dans son ensemble.

1 2014 ONCA 113 [Exchange].

2 L.R.O. 1990, c. A.31.

3 L.O. 2001, c. 25.

4 Loi sur l'évaluation foncière, alinéa 18(1)a).

5 Ibid, sous-alinéa 3(1)(24)ii).

6 Ibid, sous-alinéa 3(1)(24)iv).

7 [1960] O.R. 71 aux paragraphes 80-81.

8 Exchange Corporation Canada Inc. c. The Corporation of the City of Mississauga et al, 2012 ONSC 6221 au paragraphe 23.

9 Exchange, voir note 1 ci-dessus au paragraphe 28.