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La Cour suprême du Canada clarifie le sens du terme « Indien »

Auteur(s) : Thomas Isaac, Heather Weberg, Jeremy Barretto

15 avril 2016

La décision de la Cour suprême du Canada (CSC ou la Cour) dans l’affaire Daniels c. Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 CSC 12, (la décision) confirme que le terme « Indiens » au paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 englobe tous les peuples autochtones, y compris les Indiens non inscrits et les Métis. La décision est importante, car par le passé, les gouvernements fédéral et provinciaux ont débattu de l’ordre de gouvernement qui avait le pouvoir de légiférer à l'égard de ces groupes. Même si la conclusion de la CSC ne crée aucune obligation de légiférer, elle met un terme à un conflit de compétence de longue date qui a perpétué les désavantages auxquels les peuples autochtones sont confrontés au Canada.

Résumé des faits

En 1999, année où le litige a pris naissance, Harry Daniels, Gabriel Daniels, Leah Gardner, Terry Joudrey et le Congrès des peuples autochtones (les appelants) ont demandé trois jugements déclaratoires, portant respectivement : (1) que les Métis et les Indiens non inscrits sont des « Indiens » visés au paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867; (2) que la Couronne fédérale a une obligation de fiduciaire envers les Métis et les Indiens non inscrits; et (3) que les Métis et les Indiens non inscrits ont droit à ce que le gouvernement fédéral les consulte et négocie avec eux de bonne foi sur une base collective, par l’entremise de représentants de leur choix, relativement à l’ensemble de leurs droits, intérêts et besoins, en tant que peuples autochtones.

Le juge de première instance a conclu que le mot « Indiens », au paragraphe 91(24), est un terme général faisant référence à tous les peuples autochtones au Canada, y compris les Indiens non inscrits et les Métis. Il a toutefois refusé de rendre les deuxième et troisième jugements déclaratoires demandés. La Cour d’appel fédérale (CAF) a accepté les conclusions de fait du juge de première instance, notamment que le terme « Indiens » au paragraphe 91(24) vise tous les peuples autochtones en général. Cependant, la CAF a restreint la portée du premier jugement déclaratoire afin d’exclure les Indiens non inscrits et d’inclure seulement les Métis qui répondent aux trois critères énoncés dans l’arrêt de la CSC R c. Powley, 2003 CSC 43. La CAF a également refusé de prononcer les deuxième et troisième jugements déclaratoires demandés. En appel, les appelants ont sollicité le rétablissement du premier jugement déclaratoire tel qu’il a été rendu par le juge de première instance, et ont demandé que soient prononcés les deuxième et troisième jugements déclaratoires.

La CSC a accueilli le pourvoi en partie, annulant la conclusion de la CAF selon laquelle le premier jugement déclaratoire devrait exclure les Indiens non inscrits ou ne s’applique qu’aux Métis qui satisfont aux critères énoncés dans l’arrêt Powley. La Cour a confirmé les décisions du juge de première instance et de la Cour d’appel fédérale de ne pas rendre les deuxième et troisième jugements déclaratoires.

La décision de la CSC

La CSC a commencé par examiner si le fait de rendre les deuxième et troisième jugements déclaratoires présenterait une utilité pratique. Par le passé, ni le gouvernement fédéral, ni les gouvernements provinciaux n’ont reconnu leur responsabilité sur le plan constitutionnel à l'égard des Indiens non inscrits et des Métis. La Cour a conclu qu’accorder le premier jugement déclaratoire garantirait à la fois la certitude et la responsabilité à cet égard, et présenterait l’utilité pratique de régler un conflit de compétence de longue date.

La Cour a conclu que les ambiguïtés dans les définitions de « Métis » et d’« Indiens non inscrits » n’empêchaient pas de décider si les deux groupes sont visés au paragraphe 91(24). Elle a reconnu que les contours de la définition du terme « Indien non inscrit » sont imprécis et peuvent désigner soit les Indiens qui n’ont plus le statut d’Indiens visés par la Loi sur les Indiens, soit les membres de collectivités d’ascendance mixte que le gouvernement fédéral n’a jamais reconnus comme Indiens. À l’instar du juge de première instance, la Cour est d’avis que les contextes historique, philosophique et linguistique établissent que les « Indiens » visés au paragraphe 91(24) englobent tous les peuples autochtones, y compris les Indiens non inscrits et les Métis.

L’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 ne définit pas la portée du paragraphe 91(24); cependant, il énonce que les Indiens, les Inuit et les Métis sont des peuples autochtones pour l’application de la Constitution. La Cour a conclu que le terme « Indien » ou « Indiens » a, dans un contexte constitutionnel, deux sens : un sens large, au paragraphe 91(24), qui inclut tant les Métis que les Inuit et que l’on peut assimiler à celui de l’expression « peuples autochtones du Canada » employée à l’article 35, et un sens plus restreint, qui distingue les bandes indiennes des autres peuples autochtones. Puisque le gouvernement fédéral a concédé que le paragraphe 91(24) vise les Indiens non inscrits, la CSC a déclaré qu’il serait anormal, d’un point de vue constitutionnel, que les Métis constituent le seul peuple autochtone à être reconnu et inclus à l’article 35, tout en étant par ailleurs exclu du champ d’application du paragraphe 91(24). La Cour a conclu que les Métis et les Indiens non inscrits sont des « Indiens » visés au paragraphe 91(24) puisqu’ils sont tous des peuples autochtones. La Cour a indiqué que la question de savoir si des personnes données sont des Indiens non inscrits ou des Métis visés au paragraphe 91(24) est une question de fait qui devra être décidée au cas par cas dans le futur. 

Prenant en compte les critères de l’arrêt Powley, la CSC a souligné que l’objectif constitutionnel du paragraphe 91(24), qui a trait aux relations du gouvernement fédéral avec les peuples autochtones, est très différent de celui de l’article 35. Dans l’arrêt Powley, la Cour s’est fondée sur des critères pour définir qui peut être considéré comme un Métis pour l’application du paragraphe 35(1). La CSC n’a trouvé aucune raison logique justifiant de priver arbitrairement les Métis de la protection qu’offre le pouvoir de légiférer du Parlement sur la base des critères de l’arrêt Powley. La Cour a aussi établi clairement que les Métis qui peuvent être considérés comme « Métis » pour l’application du paragraphe 91(24) ne sont pas systématiquement considérés comme « Métis » pour l’application de l’article 35. Ces articles de la Loi constitutionnelle sont reliés, mais distincts, l’un ayant trait à la compétence (paragraphe 91(24), et l’autre portant sur la reconnaissance constitutionnelle et l’affirmation des droits ancestraux et issus de traités (article 35).

Conséquences

La décision confirme que le gouvernement fédéral a compétence à l'égard des Indiens non inscrits et des Métis. Cependant, cela ne signifie pas que toute mesure législative provinciale concernant les Indiens non inscrits et les Métis est intrinsèquement ultra vires, ou qu'elle ne relève pas de la compétence des gouvernements. Cela est conforme au point de vue adopté par la CSC dans l’arrêt Première Nation de Grassy Narrows c. Ontario (Ressources naturelles), 2014 CSC 48, qui confirme que les lois provinciales d’application générale s’appliquent aux droits issus de traités et aux terres qui y sont associées, et que les gouvernements provinciaux peuvent réglementer et enfreindre les droits issus de traités lorsque c’est justifié de le faire.

De plus, la décision ne modifie en rien l’obligation de la Couronne de consulter les groupes autochtones. La CSC a reconnu que les arrêts Nation haïda c.  ColombieBritannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, Nation Tsilhqot’in c. ColombieBritannique, 2014 CSC 44, et Powley reconnaissent déjà l’existence d’une obligation de négocier lorsque des droits ancestraux sont en jeu, obligation qui est fonction du contexte particulier. L’obligation de consulter de la Couronne ne s'applique pas nécessairement à tous les groupes; il faut toujours une analyse au cas par cas et la revendication de bonne foi d’un droit ancestral ou issu de traités.

La décision soulève la question du rôle qui devrait être imparti au gouvernement fédéral dans le financement de programmes et services (qui relèveraient autrement de la compétence provinciale, par exemple dans les domaines tels que la santé et l’éducation dans les réserves) au groupe élargi d’Indiens, aux termes du paragraphe 91(24), et des raisons pour lesquelles un groupe d’Indiens au paragraphe 91(24) reçoit des programmes et services fédéraux (notamment les Indiens vivant dans des réserves), tandis que d’autres groupes ne reçoivent aucun service ou reçoivent des services restreints (p. ex. les Métis, les Indiens non inscrits, les Indiens inscrits vivant hors réserve, les autres collectivités mixtes, etc.).

Il est à noter que la décision fournit dorénavant une base fondamentale au gouvernement fédéral, ainsi qu’aux gouvernements provinciaux et territoriaux, pour s’engager auprès de tous les peuples autochtones à l’égard de la question plus vaste de la réconciliation.