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La Cour d’appel de l’Ontario signale que les jugements sommaires partiels pourraient devenir une rareté en Ontario

Auteur(s) : Jennifer Dolman, Lindsay Rauccio, Lauren Harper

Le 29 novembre 2017

Dans ce bulletin d’actualités

  • Dans l’arrêt Butera v Chown, Cairns LLP (Butera), la Cour d’appel de l’Ontario a annulé un jugement sommaire partiel.
  • La Cour a mis en garde les parties et les juges à l’égard des problèmes potentiels associés aux requêtes en jugement sommaire partiel.
  • Les motifs de la Cour confirment qu’une partie qui envisage une requête en jugement sommaire partiel devrait procéder avec beaucoup de prudence.
  • Les juges du Tribunal de pratique civile (TPC) peuvent jouer un rôle plus direct en refusant d’accueillir des requêtes en jugement sommaire partiel.

Dernièrement, la Cour d’appel de l’Ontario a rendu une décision soulignant que les jugements sommaires partiels pourraient devenir une rareté en Ontario. Dans l’affaire Butera v Chown, Cairns LLP, 2017 ONCA 783, la Cour d’appel de l’Ontario a annulé un jugement sommaire partiel, statuant qu’il y avait une véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’un procès, et que le prononcé d’un jugement sommaire partiel, en l’espèce, ne ferait que créer des problèmes, au lieu d’en résoudre.

Le virage culturel en matière de jugements sommaires

Dans l’arrêt Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7 (Hryniak) (qu’Osler a commenté auparavant), la Cour suprême du Canada a déclaré qu’un « virage culturel » s’imposait, dans le recours aux requêtes en jugement sommaire comme moyen d’améliorer l’accès à la justice et de régler les litiges d’une manière proportionnée, expéditive et abordable.

Dans une décision unanime, la juge Karakatsanis a établi qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’un procès lorsque le juge de la requête est en mesure de statuer justement et équitablement sur le bien-fondé de la requête en jugement sommaire. Ce sera le cas lorsqu’un jugement sommaire :

  • permet au juge de tirer les conclusions de fait;
  • lui permet d’appliquer les règles de droit aux faits;
  • constitue un moyen proportionné, plus expéditif et moins coûteux d’arriver à un résultat juste.

Comme le mentionne la juge Karakatsanis, la « norme d’équité consiste non pas à déterminer si la procédure visée est aussi exhaustive que la tenue d’un procès, mais à établir si cette procédure permet au juge d’être certain de pouvoir établir les faits nécessaires et d’appliquer les principes juridiques pertinents pour régler le litige ».

Lorsqu’il existe une véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’un procès, le juge de la requête doit établir s’il serait dans « l’intérêt de la justice » d’user de son pouvoir accru en matière de recherche des faits pour éviter un procès. Le recours aux pouvoirs accrus en matière de recherche des faits ne va généralement pas à l’encontre de l’intérêt de la justice, s’il aboutit à un résultat juste et équitable et permet d’atteindre les objectifs de célérité, d’accessibilité économique et de proportionnalité, compte tenu du litige dans son ensemble.

En ce qui concerne les requêtes en jugement sommaire partiel, la juge Karakatsanis a mis en équilibre les risques d’inefficience, de procédures faisant double emploi et le manque d’uniformité des conclusions de faits par rapport au potentiel de résolution d’une demande importante à l’encontre d’une partie clé.

Les requêtes en jugement sommaire partiel risquent de saper les objectifs fixés dans Hryniak

Depuis l’arrêt Hryniak, les vannes proverbiales se sont ouvertes, et un Tribunal de pratique civile (TPC) a été établi à Toronto pour se charger du volume accru de requêtes en jugement sommaire. Le juge qui préside le TPC « surveille l’accès » et doit approuver l’inscription au rôle de toute requête en jugement sommaire.

La Cour d’appel de l’Ontario a récemment eu l’occasion d’établir l’à-propos des requêtes en jugement sommaire, ce qui sera déterminant relativement à certains enjeux, mais qui ne fera pas éviter une action en justice dans son ensemble. Tout dernièrement, dans l’affaire Butera v. Chown, Cairns LLP (Butera), la Cour d’appel de l’Ontario a fait une mise en garde à l’intention des parties et des juges à propos des limites et des problèmes liés aux requêtes en jugement sommaire partiel. Cette affaire s’appuie sur la jurisprudence de la Cour d’appel dans le contexte des requêtes en jugement sommaire partiel, notamment Baywood Homes Partnership v. Haditaghi, 2014 ONCA 450 et Canadian Imperial Bank of Commerce v. Deloitte & Touche, 2016 ONCA 922.

Dans l’arrêt Butera, les appelants, un concessionnaire Mitsubishi et son mandant, ont intenté une action contre leurs anciens avocats. Les intimés avaient agi pour le compte des appelants contre diverses entités de Mitsubishi dans une poursuite en dommages-intérêts de 5 millions de dollars pour rupture de contrat, déclaration trompeuse, rupture de garantie accessoire, négligence et violation de la Loi Arthur Wishart de 2000 sur la divulgation relative aux franchises, rejetée par le juge Hambly qui a accueilli la défense fondée sur le délai de prescription. Osler a déjà commenté l’action sous-jacente ici. Après que leur appel eut été rejeté, les appelants ont intenté une action contre les intimés en dommages-intérêts pour négligence des avocats et perte de possibilités. Au début, les intimés avaient déposé une requête en jugement sommaire total, mais ils ont finalement penché en faveur d’un jugement sommaire partiel, afin de ne pas tenir compte de la partie de la réclamation en dommages-intérêts des appelants qui avait trait à la déclaration trompeuse. Le jugement a été rendu de telle sorte que les autres réclamations d’indemnité devraient faire l’objet d’un procès.

La Cour d’appel de l’Ontario a accueilli l’appel, statuant qu’il existait une véritable question litigieuse en ce qui concernait les déclarations trompeuses. Même si cette détermination en elle-même était suffisante pour faire annuler la décision, la Cour a également conclu que le juge de la requête avait commis une erreur de principe isolable en n’examinant pas si un jugement sommaire partiel était approprié dans le contexte du litige dans son ensemble.

Le juge Pepall, s’exprimant au nom de la Cour, a expliqué que les requêtes en jugement sommaire partiel ont tendance à contrecarrer les objectifs fixés de procédures proportionnées, expéditives et abordables citées dans l’arrêt Hryniak. Plus particulièrement, la Cour a mis en lumière quatre problèmes liés aux jugements sommaires partiels :

1. Retard : Au mieux, une requête en jugement sommaire partiel résoudra un élément de l’action, et au pire, fera augmenter les frais et les retards, surtout si la requête fait l’objet d’un appel.

2. Dépenses : Les requêtes en jugement sommaire partiel peuvent être très coûteuses. Le juge Pepall a noté que « la disposition relative à l’attribution de dépens présumés en cas de rejet d’une requête en jugement sommaire partiel aux termes de l’ancienne règle sur le jugement sommaire a été abrogée, ce qui supprime une mesure dissuadant de déposer des requêtes en jugement sommaire partiel ».

3. Gaspillage de ressources judiciaires : Les juges qui sont déjà submergés de requêtes en jugement sommaire depuis l’arrêt Hryniak entendent des requêtes en jugement sommaire partiel et rédigent de longs motifs sur des questions qui ne tranchent pas l’action.

4. Conclusions contradictoires : Le dossier du jugement sommaire partiel ne sera pas aussi détaillé que le dossier de première instance, ce qui fait augmenter les risques de conclusions contradictoires.

Le juge Pepall a noté qu’une requête en jugement sommaire partiel devrait être considérée comme une « procédure rare », réservée aux questions qui peuvent facilement faire l’objet d’une disjonction par rapport à l’action principale et qui peuvent être tranchées promptement et de manière efficiente. La Cour a établi que cette approche est entièrement compatible avec les commentaires de la Cour suprême dans l’arrêt Hryniak et avec l’ordonnance selon laquelle les Règles de procédure civile sont interprétées de façon à assurer la solution au litige la plus juste, la plus expéditive et la plus économique possible.

Répercussions futures

L’arrêt Butera confirme qu’une partie qui envisage de présenter une requête en jugement sommaire partiel devrait faire preuve d’une grande prudence. Les quatre facteurs susmentionnés (retard, dépenses, gaspillage de ressources judiciaires et risque de conclusions contradictoires) devraient être soigneusement pris en compte lorsqu’on évalue si une telle requête serait avisée dans le contexte d’une action dans son ensemble. Par exemple, une question d’interprétation de contrat, qui aura une influence déterminante sur l’issue de la cause, pourrait être appropriée pour une requête en jugement sommaire partiel, mais il faudrait tenir compte des possibilités d’appel, surtout si la question en litige est nouvelle. De plus, à la lumière de la décision Butera, on pourrait s’attendre à ce que les juges du TPC assument un rôle plus actif dans le filtrage des requêtes présumées inappropriées pour un jugement sommaire, et en fait, certaines questions font déjà l’objet d’ordonnances d’instruction au TPC.