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La décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Univar fournit des lignes directrices quant à l’application de la RGAE

Le 25 octobre 2017

Dans ce bulletin d’Actualités 

  • La Cour d’appel fédérale a rendu sa décision très attendue dans l’affaire Univar le 13 octobre 2017.
  • La Cour a conclu que la règle générale anti-évitement (RGAE) ne s’appliquait pas aux opérations de contribuables.
  • Le présent bulletin présente un résumé des lignes directrices de la Cour sur la façon d’appliquer la RGAE. 

Le 13 octobre 2017, la Cour d’appel fédérale a rendu sa décision très attendue dans l’affaire Univar, selon laquelle la règle générale anti-évitement (RGAE) ne s’appliquait pas aux opérations de contribuables. Cette décision fournit des lignes directrices supplémentaires aux contribuables sur la façon dont les opérations de remplacement, les modifications subséquentes et les notes techniques afférentes aux lois devraient (ou ne devraient pas) être prises en compte dans une analyse relative à la RGAE.

Contexte factuel

D’après l’article 212.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR), il existe des dividendes réputés à verser à l’égard de certaines opérations lorsque les actions d’une société canadienne détenues par un actionnaire non résident sont vendues à une autre société canadienne qui a un lien de dépendance avec l’actionnaire non résident.

En 2007, CVC Capital Projects (CVC) a fait une offre publique d’achat visant Univar NV, société ouverte néerlandaise. Univar NV contrôlait Univar Holdco Canada (Univar), et il y a donc eu acquisition indirecte du contrôle d’Univar. Si CVC avait utilisé une structure de planification fiscale canadienne standard et constitué une société canadienne pour acquérir directement les actions d’Univar (l’« opération de remplacement »), l’article 212.1, qui était en cause en l’espèce, ne se serait pas appliqué. L’opération de remplacement n’était pas réalisable d’un point de vue commercial, alors CVC a commencé par acheter les actions d’Univar NV, puis a effectué une série d’opérations comportant le transfert avec lien de dépendance des actions d’Univar (les opérations réelles) qui reproduisaient le résultat qui aurait été obtenu par les opérations de remplacement. Les opérations réelles étaient structurées de façon à éviter les dividendes réputés aux termes du paragraphe 212.1(1), à la suite de l’application d’une disposition d’allégement au paragraphe 212.1(4).

Neuf ans après les opérations réelles, le paragraphe 212.1(4) a été modifié de façon que si les opérations réelles avaient été réalisées après la mise en œuvre de la modification, il y aurait eu un dividende réputé aux termes de l’article 212.1. Les Renseignements supplémentaires accompagnant le budget annexés à cette modification le décrivaient comme un éclaircissement de la disposition existante. La question en litige dans le recours en appel de l’affaire Univar était de savoir si la RGAE s’appliquait, au motif que les opérations réelles constituaient un abus de l’application du paragraphe 212.1.

La juge de première instance a rendu une décision défavorable au contribuable, en statuant que la série d’opérations constituait un abus de la Loi.[1] La juge de première instance a conclu que le fait que le même résultat aurait pu être obtenu au moyen d’un plan fiscal différent n’était pas pertinent, étant donné qu’il ne s’agissait pas du plan fiscal mis en œuvre par le contribuable.[2] Elle s’est également appuyée sur les modifications apportées au paragraphe 212.1(4) en 2016 (y compris les renseignements supplémentaires préparés par le ministère des Finances)[3] , après l’audience de l’affaire Univar, pour étayer sa conclusion selon laquelle les opérations étaient abusives. Elle a cité l’affaire Water’s Edge comme précédent jurisprudentiel quant à la pertinence de la modification législative. Elle a noté que dans l’affaire Water’s Edge, la Cour avait conclu que le législateur avait agi rapidement pour combler les lacunes en matière de planification fiscale abusive. [4]

En annulant la décision de première instance et en concluant que la RGAE ne s’appliquait pas aux opérations en cause, la Cour d’appel fédérale a confirmé, comme le notait la Cour suprême du Canada dans l’affaire Copthorne[5], qu’il incombe au ministre d’établir s’il y a eu abus manifeste de la LIR. La Cour d’appel fédérale en est arrivée à des conclusions supplémentaires dignes de mention :

1. Lorsqu’il existe une voie de remplacement qui est dans l’esprit de la LIR et qui donne les mêmes résultats que les opérations en cause, cela appuie le point de vue selon lequel les opérations en cause ne sont pas touchées par la RGAE :

… Que le surplus de la société canadienne soit retiré par la réalisation des opérations de remplacement décrites à l’article 17 ci-dessus ou par la réalisation des opérations effectuées dans le cas présent, le même surplus sera retiré du Canada. Par conséquent, à mon avis, ces opérations ne vont pas à l’encontre de l’article 212.1 de la LIR. [6]

2. L’article 212.1 établit une nette « ligne de démarcation » entre la vente d’actions avec lien ou sans lien de dépendance. Il ne visait pas à empêcher l’acheteur d’une société canadienne sans lien de dépendance à retirer du Canada le surplus qu’il avait accumulé avant l’acquisition. S’appuyant en partie sur l’opération de remplacement, la Cour notait ce qui suit :

… Le libellé de l’article 212.1 et les opérations de remplacement décrites ci-dessus illustrent clairement la ligne de démarcation entre la vente d’actions sans lien de dépendance et la vente d’actions avec lien de dépendance. Si les actions d’une société canadienne ayant accumulé un surplus sont vendues par un non-résident à une autre société canadienne avec laquelle le vendeur traite sans lien de dépendance, l’article 212.1 de la LIR ne s’applique pas. Une personne non résidente pourrait fournir des fonds à l’acheteur canadien afin de financer l’achat des actions et, à la suite de la conclusion de l’opération, utiliser le surplus de la société canadienne qui a été acquise pour rembourser au non-résident les fonds qu’il avait avancés. À mon avis, l’objet de l’article 212.1 de la LIR n’était donc pas d’empêcher la sortie du Canada, par un acheteur sans lien de dépendance d’une société canadienne, de tout surplus accumulé par cette société canadienne avant l’acquisition de contrôle. [C’est nous qui soulignons.][7]

3. Les modifications subséquentes apportées à la LIR qui empêchent d’autres contribuables de réaliser le plan fiscal ne laissent pas nécessairement entendre que les opérations en cause sont touchées par la RGAE. Le moment de la mise en œuvre des modifications subséquentes est un important facteur à prendre en compte à cet égard.[8] La Cour d’appel fédérale notait que dans l’affaire Water’s Edge, la Cour était parvenue à une conclusion relative à la politique sur les dispositions en cause avant de prendre en compte les modifications subséquentes.[9] La Cour d’appel fédérale a fait une mise en garde quant au fait de s’appuyer sur une modification subséquente comme preuve que les opérations examinées par un tribunal sont abusives :

[L’affaire Water’s Edge] n’appuie pas la thèse selon laquelle les modifications subséquentes à la LIR renforceront ou confirmeront nécessairement le fait que les opérations touchées par les modifications seraient considérées comme abusives avant que les modifications soient promulguées.10]

La Cour d’appel fédérale a porté une attention particulière au moment de la promulgation des modifications subséquentes en cause, et a conclu que les modifications ne pouvaient pas être utilisées pour étayer l’évaluation relative à la RGAE :

Dans l’affaire qui nous occupe, les modifications ont été promulguées environ 9 ans après la conclusion des opérations. À mon avis, les opérations n’allaient pas manifestement à l’encontre de l’esprit et de l’objet de l’article 212.1 de la LIR rédigé en 2007; par conséquent, les modifications qui y ont été apportées en 2016 ne peuvent pas être utilisées pour conclure que l’opération d’évitement était abusive. [11]

4. Il faut soigneusement soupeser les notes techniques et le commentaire sur le budget formulé par le ministère des Finances afin d’éviter qu’ils ne soient pris hors contexte pour étayer une allégation d’abus :  

Les notes techniques et les Renseignements supplémentaires accompagnant le budget auxquels le juge de la Cour de l’impôt renvoyait ne concernent que la vente d’actions avec lien de dépendance. Ils ne font aucunement état des préoccupations suscitées par la sortie des surplus si les actions de la société canadienne sont vendues à un acheteur sans lien de dépendance.[12]

Les modifications apportées en 2016 (et les Renseignements supplémentaires accompagnant le budget) ont été publiées quelque 40 ans après la promulgation de l’article 212.1, neuf ans après la conclusion des opérations en cause, et après que la Cour de l’impôt a eu entendu l’appel d’Univar. De nombreux fiscalistes ont été troublés du fait que la juge de première instance semblait s’appuyer, en l’espèce, sur un commentaire relatif au budget formulé par le ministère des Finances. Cette décision fixe d’importantes limites quant à la pertinence de modifications législatives subséquentes (et de Renseignements supplémentaires accompagnant le budget) dans une affaire portant sur la RGAE.

Pour plus de renseignements sur cette décision ou sur d’autres questions fiscales, n’hésitez pas à communiquer avec un membre du groupe de droit fiscal d’Osler.

 

[1]       Décision de première instance (2016CCI159), alinéa 101.

[2]       Ibid., alinéas 104-106.

[3]       Ibid., alinéa 96.

[4]       Ibid., alinéa 98.           

[5]       Copthorne Holdings Ltd. c. Canada, [2011] 3 RCS 721, 2011 CSC 63, alinéa 123.

[6]       Décision de la CAF (2017 FCA 207), article 22.

[7]       Ibid., alinéa 31.

[8]       Ibid., alinéas 24-29.

[9]       Ibid., alinéa 27.

[10]     Ibid., alinéa 28.

[11]     Ibid., alinéa 29.           

[12]     Ibid., alinéa 23.