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L’AMF ne réussit pas à convaincre la Cour d’appel dans un dossier de manipulation de marché

Auteur(s) : Fabrice Benoît, Frédéric Plamondon

Le 18 septembre 2018

Tout récemment, la Cour d’appel s’est prononcée sur les éléments constitutifs de l’infraction qu’est la manipulation de marché prévue à l’article 195.2 de la Loi sur les valeurs mobilières (« LVM »). Selon la Cour d’appel, cette infraction ne se conçoit pas sans un élément de la malhonnêteté. Autrement, un nombre significatif de transactions boursières tomberaient sous le coup de cet article du seul fait que ces transactions ont ou pourraient avoir un impact sur le cours d’un titre.

La Cour d’appel, à l’instar de la Cour supérieure ainsi que de la Cour du Québec, refuse les arguments avancés par l’Autorité des marchés financiers (« l’AMF ») et confirme l’acquittement des intimés.

Bref historique judiciaire du dossier

Dans cette affaire, l’AMF avait déposé deux constats d’infraction contre Clément Forget (« Forget ») pour avoir influencé ou tenté d’influencer les actions de la société Les technologies Clémex inc. (« Clémex »).  L’AMF avait également déposé un constat d’infraction contre Claude Parent (« Parent »), le représentant en valeurs mobilières de Forget, pour avoir aidé Forget, par acte ou omission, à influencer ou tenter d’influencer les actions de Clémex. L’AMF reprochait notamment à Forget, fondateur, président et initié de Clémex, d’avoir acheté, par le biais du compte de courtage de son épouse, des actions de Clémex afin de favoriser la conclusion d’un placement privé. Le 5 mars 2015, le juge Marco LaBrie, de la Cour du Québec (chambre criminelle et pénale), acquitte Forget et Parent des trois chefs d’accusation. 

L’AMF en appelle de cette décision devant la Cour supérieure (premier niveau d’appel dans les affaires criminelles et pénales). Le 22 décembre 2016, la juge Sophie Bourque rejette l’appel de l’AMF et confirme le jugement de la Cour du Québec.

L’AMF décide de tenter de nouveau sa chance devant la Cour d’appel du Québec. L’AMF reproche principalement à la Cour supérieure d’avoir erré en concluant que la mauvaise foi de l’accusé constituait un élément essentiel de l’infraction prévue à l’article 195.2 de la LVM.

L’arrêt de la Cour d’appel

Le premier moyen d’appel soulevé par l’AMF est, selon nous, le plus intéressant. Il s’agissait, entre autres, de déterminer si la mauvaise foi d’une personne accusée d’avoir manipulé le marché en vertu de l’article 195.2 de la LVM constitue un élément essentiel de cette infraction, lequel article se lit comme suit :

195.2 Constitue une infraction le fait d’influencer ou de tenter d’influencer le cours ou la valeur d’un titre par des pratiques déloyales, abusives ou frauduleuses.

D’entrée de jeu, la Cour d’appel précise que le texte de l’article 195.2 de la LVM indique qu’il s’agit d’une infraction de mens rea et qu’une intention coupable est nécessaire. Plus particulièrement, selon la Cour d’appel, l’objet de la législation, le libellé particulier de l’article 195.2 de la LVM et la gravité de la peine (en l’espèce, cinq ans moins un jour d’emprisonnement, en sus d’une amende) militent en faveur d’une infraction d’intention et non de responsabilité stricte.

L’AMF a plaidé devant la Cour d’appel, toujours sans succès, qu’il n’était pas nécessaire de démontrer la mauvaise foi (ou la malhonnêteté) d’un accusé pour qu’il puisse être condamné en vertu de l’article 195.2 de la LVM. Selon l’AMF, les termes « pratiques déloyales, abusives ou frauduleuses » signifient plutôt des pratiques objectivement répréhensibles et nuisibles à l’intégrité du marché. D’ailleurs, devant la Cour supérieure, l’AMF soutenait que les termes « pratiques déloyales, abusives ou frauduleuses » de l’article 195.2 de la LVM étaient inutiles et superflus.

À l’instar de la Cour supérieure et la Cour du Québec, la Cour d’appel rejette les arguments avancés par l’AMF et conclut plutôt que les termes « pratiques déloyales, abusives ou frauduleuses » ne se conçoivent pas sans un élément de malhonnêteté. Or, l’AMF n’a pas démontré hors de tout doute raisonnable l’existence d’une pratique malhonnête, et ce, aux yeux d’une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances.

Comme le précise la Cour d’appel, il n’était pas suffisant, du moins pas dans cette affaire, d’établir que le cours de l’action avait été influencé par les transactions de Forget afin de prouver l’existence d’une pratique déloyale, abusive ou frauduleuse. À cet égard, la Cour rappelle que toute transaction boursière est de nature à influencer le cours d’un titre, particulièrement lorsqu’il s’agit d’un titre peu actif et lorsque le marché est instable, et que cet élément est insuffisant afin de déclarer coupable une personne accusée de manipulation de marché.

Commentaire

Il s’agit d’un arrêt important et il servira, nous l’espérons, de guide pour le régulateur québécois en valeurs mobilières dans le cadre de ses enquêtes en cours et futures en matière de manipulation de marché.

Cet arrêt pourrait faire l’objet d’une demande de permission d’en appeler devant la Cour suprême du Canada.