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La Cour de l’Ontario « exerce des pressions » sur les franchiseurs et leurs documents d’information

Auteur(s) : Jennifer Dolman, Andraya Frith, Amanda Arella

Le 20 mai 2021

Le 26 mars 2021, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a rendu sa décision dans la plus récente affaire de résolution d’un contrat de franchisage, soit 2611707 Ontario Inc., et al v. Freshly Squeezed Franchise Juice Corporation, et al., 2021 ONSC 2323 (Freshly Squeezed). Cette décision fournit de l’information sur la nature de lacunes importantes, qui donnent un droit de résolution dans un délai de deux ans, aux termes de la Loi Arthur Wishart de 2000 sur la divulgation relative aux franchises, L.O. 2000, ch.3 (la LAW), selon laquelle, si ce droit est accordé, un contrat de franchisage est annulé et le franchiseur est tenu, entre autres choses, de rembourser toutes les sommes reçues du franchisé et d’indemniser celui-ci pour toute perte subie dans le cadre de l’acquisition, de l’établissement et de l’exploitation de la franchise.

La décision de la Cour dans l’affaire Freshly Squeezed cite longuement une autre affaire de résolution, soit Raibex Canada Ltd. v. ASWR Franchising Corp., 2018 ONCA 62 (« Raibex »). Dans Raibex, le franchisé s’est vu remettre un document d’information et a conclu un contrat de franchisage avant que l’emplacement de la franchise n’ait été sélectionné. Les coûts de développement de la franchise se sont révélés plus élevés que ce à quoi le franchisé s’attendait, et celui-ci a tenté de résilier le contrat, en alléguant notamment qu’en raison de l’absence de bail principal dans le document d’information, ce document comportait des lacunes importantes. La Cour d’appel a statué que l’absence de bail principal dans le document d’information sur la franchise ne justifiait pas la résolution de celle-ci, en vertu de l’article 6(2) de la LAW.

La Cour d’appel a conclu que le contrat de franchisage procurait au franchisé deux importantes mesures de protection qui constituaient une « réponse complète » à la demande de résolution du franchisé. Premièrement, le contrat de franchisage comportait une clause de sélection collaborative de l’emplacement, qui prévoyait la participation active du franchisé à la sélection du bail principal. Deuxièmement, le contrat de franchisage comportait une clause de « désengagement » qui permettait au franchisé de résilier le contrat et le sous-bail sans pénalité si le franchisé était en désaccord avec les modalités du bail principal, une fois qu’il avait été négocié. Comme nous l’avions noté dans notre bulletin d’Actualités Osler sur cette affaire, Raibex confirmait qu’il est pratique courante que les franchiseurs fournissent aux éventuels franchisés un document d’information et concluent une convention de franchise avant d’avoir déterminé un emplacement précis pour la franchise et négocié le bail principal.

Contexte

En l’espèce, le franchisé a conclu un contrat de franchise avec Freshly Squeezed Franchise Juice Corporation pour une franchise située au RioCan Food Hall du Mount Sinai Hospital. La franchise a commencé son exploitation en mars 2018. À peine six mois plus tard, soit en septembre 2018, le franchisé a déposé un avis de résolution en vertu de l’article 6 (2) de la LAW.

Le franchisé alléguait que le document d’information comportait un certain nombre de lacunes, notamment quatre « vices fondamentaux », des lacunes importantes dont chacune donnait au franchisé le droit de résoudre le contrat de franchisage et de réclamer des dommages-intérêts. Les lacunes alléguées étaient les suivantes :

  • dans le certificat de franchiseur exigé aux termes de l’article 5 de la LAW , il manquait le nombre de signatures requis;
  • l’information dans les états financiers était inadéquate;
  • le franchiseur n’avait pas divulgué le fait qu’il n’avait pas encore conclu de bail principal quant à l’emplacement de la franchise;
  • la divulgation était faite de façon fragmentaire. 

Le critère permettant de déterminer si les lacunes alléguées dans un document d’information sont assez graves pour mettre en jeu le droit de résolution est le fait que le franchisé est, ou non, privé de la capacité de prendre une décision de placement éclairée. À la suite de la décision de la Cour d’appel dans l’affaire Raibex, la Cour a confirmé que ce critère demeure objectif, et a conclu que deux des quatre lacunes importantes alléguées étaient suffisantes en elles-mêmes pour donner lieu au recours à la résolution dans un délai de deux ans.

Les notes auxquelles il est fait renvoi dans les états financiers doivent figurer dans une divulgation complète

La Cour a accueilli l’allégation du franchisé selon laquelle les états financiers figurant dans le document d’information comportaient d’importantes lacunes, car ils ne contenaient pas les notes de l’auditeur auxquelles il était fait renvoi dans certains postes. Même si le franchisé n’a pas présenté de preuve selon laquelle il fallait que les notes soient fournies pour que les états financiers satisfassent aux principes comptables standards, la Cour a souligné l’importance fondamentale du fait que les franchisés soient au courant de la situation financière globale de l’entreprise du franchiseur, afin de pouvoir prendre une décision de placement éclairée. Le fait que les notes financières étaient mentionnées dans les états financiers figurant dans le document d’information, mais qu’elles n’y figuraient pas elles-mêmes, suffisait pour que l’information dans les états financiers du franchiseur soit incomplète. La Cour a statué que le défaut de divulguer une version complète des états financiers dans le document d’information constitue une lacune importante qui, en elle-même, donne lieu à une résolution aux termes de l’article  6(2) de la LAW.

La Cour s’appuie sur les exigences de divulgation particulières à l’emplacement énoncées par la Cour d’appel dans Raibex

Le franchisé a allégué que la divulgation du franchiseur à l’égard de l’emplacement comportait une lacune importante, car le document d’information ne divulguait pas l’absence du bail principal, et le franchisé ne s’était pas vu offrir l’occasion de se retirer du contrat de franchisage et du sous-bail si les conditions du bail principal étaient inacceptables. Le franchisé soutenait également que le franchiseur avait omis de divulguer deux faits importants :

  • l’existence d’un bail exécuté en partie entre le locateur et le franchiseur;
  • la franchise était la première du réseau de franchises à ne pas être située dans un point de vente au détail d’un centre commercial.

La Cour a accueilli les allégations du franchisé et a statué que la divulgation du franchiseur à l’égard de l’emplacement comportait une lacune importante. Premièrement, la Cour a conclu que, même si un bail principal n’avait pu être incorporé au document d’information puisqu’il n’existait pas encore, le franchiseur était tenu de divulguer l’absence de bail principal. Deuxièmement, la Cour a conclu que le franchiseur aurait dû divulguer l’existence d’une convention en vue d’un bail qui avait été négociée et signée par le franchiseur avant la remise du document d’information et qui contenait des modalités importantes qui auraient dû être divulguées au franchisé.

La Cour a fait une distinction entre les circonstances de cette affaire et celles de Raibex où, même si le bail principal n’avait pas, non plus, fait l’objet d’une divulgation parce qu’il n’existait pas encore, le contrat de franchisage comportait des clauses de sélection collaborative de l’emplacement et, fait important, un droit de désengagement et de résiliation en faveur du franchisé, s’il n’était pas possible de négocier un bail principal acceptable. La Cour a souligné que ces clauses s’étaient vu attribuer beaucoup de poids par la Cour d’appel dans l’affaire Raibex. La Cour a statué qu’en l’absence d’une clause qui procurerait au franchisé « l’aisance contractuelle de disposer d’une option de résiliation » du contrat de franchisage et du sous-bail, ou toute autre mesure de protection, le défaut de divulgation du franchiseur constituait une lacune importante.

En résumé, le défaut de divulguer l’absence de bail principal et le défaut de divulguer l’exécution partielle du contrat constituent, chacun en soi, des lacunes importantes qui donnent lieu au recours à la résolution dans un délai de deux ans. Cependant, il pourrait être remédié à ces deux « vices fondamentaux » en incorporant au contrat de franchisage une clause de « désengagement », comme il a été fait dans l’affaire Raibex, ou une autre forme de protection contractuelle.

Par ailleurs, la Cour a conclu que l’omission, par le franchiseur, de divulguer que sa franchise serait la première du réseau à ne pas être située dans un centre commercial constituait un fait important qui aurait dû être divulgué dans le document d’information. La Cour a jugé que le fait qu’il n’existait pas d’« antécédents de la réussite de cette franchise à un emplacement autre qu’un centre commercial... pouvait poser un risque pour la viabilité financière de cette entreprise particulière ». Même si ce fait était pertinent quant à la capacité du franchisé de prendre une décision de placement éclairée, la Cour a conclu que le défaut de divulguer ce fait important suffisait en lui-même à donner au franchisé un droit de résolution. C’est seulement en conjugaison avec les lacunes importantes susmentionnées que le franchisé avait un tel droit.

Des modifications rétroactives pourraient combler les lacunes relatives au certificat de franchiseur

La Cour a rejeté les allégations du franchisé selon lesquelles le certificat de franchiseur ne comportait pas le nombre de signatures requis. C’est une exigence obligatoire, aux termes du Règlement pris en vertu de la LAW, que le certificat de franchiseur soit signé par au moins deux dirigeants ou administrateurs de la franchise dans les cas où un franchiseur est constitué en société et qu’il compte plus d’un dirigeant ou administrateur.

La Cour a conclu que le deuxième administrateur avait démissionné en septembre 2014, mais que son nom était resté inscrit par inadvertance au registre du profil d’entreprise du franchiseur. La Cour a accueilli comme preuve l’Avis de changement daté du 11 septembre 2020 qui rectifiait l’erreur rétroactivement au 3 septembre 2014. La Cour a statué que le certificat était donc dûment signé par l’unique administrateur et dirigeant du franchiseur.

Absence de divulgation fragmentée

Dans l’affaire 1490664 Ontario Ltd. v. Dig this Garden Retailers Ltd., 2005 CanLII 25181 (ON CA) (« Dig This Garden »), l’une des premières en matière de résolution, la Cour d’appel de l’Ontario a noté qu’une divulgation fragmentaire (c.-à-d. le fait de ne pas divulguer l’information dans un unique document en une seule fois) est une lacune importante qui donne lieu au recours à la résolution dans un délai de deux ans, aux termes de l’article 6(2) de la LAW. C’est que la divulgation fragmentaire ne satisfait pas aux exigences de la LAW en matière de divulgation exhaustive au moyen d’un unique document. Nonobstant l’affaire Dig This Garden, la Cour a rejeté l’allégation du franchisé selon laquelle la divulgation avait été fragmentaire. La Cour a statué qu’étant donné que le franchiseur avait stipulé qu’il se reposait uniquement sur le document d’information comme source de divulgation requise en vertu de la LAW, il n’y avait pas de divulgation fragmentaire. Comme la décision ne fournit aucun détail factuel concernant la manière dont le franchiseur a procédé à la divulgation auprès du franchisé, ou la nature de la divulgation fragmentaire alléguée par le franchisé, il est difficile de rapprocher cette décision de celle de Dig This Garden. Le manque de détails pourrait découler d’une entente entre les parties visant à faire poursuivre l’affaire au moyen d’une requête, selon laquelle le franchisé ne s’appuierait que sur la preuve du franchiseur et sur sa propre preuve dans les cas où elle n’entre pas en conflit avec celle du franchiseur.

Conclusion

La décision de la Cour montre que l’absence d’états financiers complets et que la divulgation relative à l’emplacement continuent d’être traitées comme des vices fondamentaux qui donnent lieu à un recours à la résolution dans un délai de deux ans.

De plus, il est clair, d’après cette affaire et les motifs de la Cour d’appel dans Raibex, que le fait qu’un bail principal ait été signé, ou non, est un élément important qui doit figurer dans le document d’information. Cependant, dans ses motifs, la Cour souligne que, même dans les cas où la divulgation relative à l’emplacement présente des lacunes importantes, elle peut être préservée en offrant aux franchisés une clause de « désengagement » ou une autre forme de protection contractuelle, en cas de désaccord sur les modalités définitives du bail principal. 

Cette décision est troublante pour les franchiseurs, car elle démontre que les tribunaux de l’Ontario pourraient avoir involontairement étendu l’obligation de divulgation précontractuelle en vertu de la LAW de façon à exiger une forme de divulgation négative, particulièrement en ce qui a trait à l’information relative à l’emplacement (p. ex., « il n’existe pas de bail principal », ou « nous n’avons jamais accordé de franchise hors d’un centre commercial », ou « nous n’avons pas encore terminé nos négociations relativement au bail »). Sans doute, le simple fait que le franchiseur ne fournisse pas d’exemplaire du bail principal, ni de description du processus de sélection de l’emplacement, fournirait suffisamment d’information au candidat franchisé pour qu’il puisse prendre une décision de placement éclairée. Même si les franchiseurs peuvent actualiser leurs documents d’information de façon à y incorporer ce type de divulgation négative expresse à propos de la non-existence de bail principal, il est difficile de prévoir la façon dont les arguments invoqués par la Cour dans l’affaire Freshly Squeezed pourraient être interprétés à l’avenir par les tribunaux à l’égard d’autres renseignements sur le réseau ou la franchise.

Il est tout aussi troublant que la Cour laisse entendre que cette lacune par ailleurs importante aurait pu être comblée si le contrat de franchisage avait comporté un droit de résiliation à la « Raibex » en faveur du franchisé. Non seulement ce raisonnement dépasse-t-il la portée de l’évaluation, à savoir si « tous les faits importants, y compris les faits importants comme prescrits » ont été divulgués, mais cela frayerait de trop près avec une évaluation du fait que l’accord commercial conclu par les parties (ou offert par le franchiseur) satisfait à une norme minimale de protection contractuelle du franchisé. Comme le franchiseur a interjeté appel de la décision auprès de la Cour d’appel de l’Ontario, il est à espérer que ce soit là une occasion de clarifier ces importantes questions de divulgation.