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Projet de loi C-13 : le Parlement édicte la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale

Auteur(s) : Alexandre Fallon, Antoine Lefebvre

Le 20 juillet 2023

Le 20 juin 2023, le projet de loi C-13, qui apporte plusieurs changements visant à renforcer, à protéger et à promouvoir la langue française, a reçu la sanction royale. La première partie modifie la Loi sur les langues officielles, tandis que la deuxième partie édicte la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale (la Loi). Les dispositions de la Loi entreront en vigueur à la date fixée par décret.[1]

Depuis notre dernier article sur les nouveaux droits et les nouvelles obligations que la Loi prévoit en ce qui a trait à l’usage du français auprès des consommateurs et des employés des entreprises privées de compétence fédérale (entreprises fédérales) qui font affaire au Québec, le Comité permanent des langues officielles a étudié le projet de loi C-13 et a proposé certains amendements, qui ont par la suite été adoptés par le Parlement. Le présent article porte sur ces amendements, dont plusieurs ont été apportés afin que les obligations en matière d’emploi prévues par la Loi reflètent celles de la Charte de la langue française du Québec, qui a été récemment modifiée.

Il est à noter que la Loi permet aux entreprises fédérales de choisir d’être uniquement assujetties, en ce qui concerne leurs activités au Québec, à la Charte de la langue française du Québec. Étant donné que la Loi a été harmonisée avec la loi québécoise à bien des égards, la conséquence pratique d’un tel choix est que l’entreprise fédérale accepte ou non de se soumettre à un programme de francisation supervisé par l’Office québécois de la langue française. Le gouvernement du Québec est d’avis que les entreprises fédérales ont l’obligation de s’y soumettre de toute façon, ce qui soulève des questions constitutionnelles qui n’ont pas été tranchées par les tribunaux.

Droits en matière de langue de travail

En vertu de la Loi, les employés d’une entreprise fédérale qui occupent un poste dans un lieu de travail situé au Québec ou dans une région à forte présence francophone ou dont le poste est rattaché à un tel lieu de travail auront le droit d’effectuer leur travail et d’être supervisés en français.[2] Ils auront également le droit d’utiliser des instruments de travail et des systèmes informatiques d’usage courant et généralisé en français.[3] Les régions à l’extérieur du Québec qui sont considérées comme ayant une forte présence francophone seront déterminées par voie de règlement.

En outre, ils auront le droit de recevoir toute communication et toute documentation en français, notamment :

  • les formulaires de demande d’emploi
  • les offres d’emploi, de mutation ou de promotion
  • les contrats individuels de travail
  • les documents ayant trait aux conditions de travail
  • les documents de formation produits à leur intention
  • les préavis de licenciement
  • les conventions collectives et leurs annexes
  • les griefs[4]

Ce droit sera maintenu même après la cessation de l’emploi.[5] De plus, les syndicats représentant ces employés jouiront du même droit.[6]

Ce droit n’empêche pas de communiquer ou de fournir de la documentation en anglais ou dans toute langue autre que le français pourvu que l’usage du français soit au moins équivalent dans toute communication à large diffusion et dans toute documentation.[7]

Il sera également possible pour les entreprises fédérales et leurs employés de convenir que les communications et la documentation soient exclusivement en anglais ou dans une langue autre que le français, et ce, même après la cessation de l’emploi.[8]

Offre visant à pourvoir un poste

Les entreprises fédérales ayant des lieux de travail situés au Québec ou dans une région à forte présence francophone seront tenues de publier en français, au moins, les offres visant à pourvoir un poste rattaché à l’un de ces lieux de travail. Le cas échéant, elles devront veiller à ce que la publication des versions française et anglaise se fasse simultanément et par des moyens de transmission de même nature atteignant un public cible de taille comparable, toutes proportions gardées.[9]

Contrats individuels de travail

Une entreprise fédérale aura la possibilité de conclure un contrat de travail exclusivement en anglais ou dans toute langue autre que le français avec un employé de l’un de ses établissements situés au Québec ou dans une région à forte présence francophone si l’employé y consent. Néanmoins, dans le cas d’un contrat d’adhésion (contrat non négociable), il sera nécessaire de fournir à l’avance une version française du contrat à l’employé.[10]

Promotion du français

Les entreprises fédérales qui ont des lieux de travail situés au Québec ou dans des régions à forte présence francophone devront prendre des mesures en vue de promouvoir l’usage du français dans ces lieux de travail, notamment :

  • informer les employés du fait qu’elles sont assujetties à la Loi
  • informer les employés de leurs droits en matière de langue de travail et de leurs recours
  • établir un comité (le Comité) ayant pour mandat d’appuyer la haute direction dans la promotion et l’usage du français[11]

Le Comité devra élaborer des programmes ayant pour but la généralisation de l’usage du français à tous les niveaux de l’entreprise dans ces lieux de travail, par :

  • la possession d’une bonne connaissance du français par les membres de la haute direction et les employés
  • l’augmentation, s’il y a lieu, du nombre de personnes ayant une bonne connaissance du français
  • l’usage du français comme langue du travail et des communications internes
  • l’usage du français dans les documents et instruments de travail et les systèmes informatiques utilisés
  • l’usage d’une terminologie française
  • l’usage du français dans les technologies de l’information
  • tout autre moyen que le Comité estime indiqué[12]

Ces programmes n’empêcheront pas de communiquer ou de fournir de la documentation en anglais ou dans toute langue autre que le français pourvu que l’usage du français soit au moins équivalent dans toute communication à large diffusion et dans toute documentation.[13]

Traitement défavorable

Les entreprises fédérales qui ont des lieux de travail situés au Québec ou dans une région à forte présence francophone ne pourront pas traiter défavorablement un employé qui occupe un poste dans l’un de ces lieux de travail pour l’un ou l’autre des motifs suivants :

  • il ne parle que le français
  • il n’a pas une connaissance suffisante d’une langue autre que le français
  • il revendique la possibilité de s’exprimer en français
  • il a exercé les droits prévus sous le régime de la Loi ou a porté plainte devant le commissaire aux langues officielles du Canada (le Commissaire)
  • on cherche à le dissuader d’exercer de tels droits ou de porter plainte devant ce dernier
  • il a participé aux réunions du Comité ou de l’un de ses sous-comités ou a effectué des tâches pour eux
  • il a de bonne foi communiqué au Commissaire un renseignement relatif à toute plainte ou a collaboré à une enquête menée en raison d’une telle communication
  • on cherche à l’amener à souscrire à un document élaboré par le Comité ou à l’en dissuader[14]

Le traitement défavorable s’entend notamment du fait de congédier, de mettre à pied, de rétrograder, de déplacer ou de suspendre un employé. Il s’entend également du fait de le harceler, d’exercer à son endroit des représailles, de prendre des mesures disciplinaires contre lui ou de lui imposer toute autre sanction.[15]

Toutefois, les entreprises fédérales ne seront pas empêchées d’exiger d’un employé la connaissance d’une langue autre que le français si elles sont capables de démontrer que la connaissance de cette langue s’impose objectivement en raison de la nature du travail à accomplir. Dans toute offre visant à pourvoir un poste rattaché à l’un de leurs lieux de travail au Québec qui exige une telle connaissance, elles devront exposer les motifs justifiant cette exigence.[16] De plus, elles devront, au préalable, au moins remplir les conditions suivantes :

  • évaluer les besoins linguistiques réels associés au travail à accomplir
  • s’assurer que les connaissances linguistiques déjà exigées des autres employés sont insuffisantes pour l’accomplissement du travail
  • restreindre le nombre de postes auxquels se rattache le travail dont l’accomplissement nécessite la connaissance d’une langue autre que le français[17]

Ces dispositions de la Loi ne visent pas à imposer aux entreprises fédérales une réorganisation déraisonnable de leurs activités.[18]

Enfin, les entreprises fédérales devront prendre les moyens raisonnables pour prévenir tout traitement défavorable dans le milieu de travail.[19] Lorsqu’elles auront connaissance d’un traitement défavorable dans le milieu de travail, elles devront prendre les moyens raisonnables pour le faire cesser.[20]

Recours

Les employés pourront porter plainte devant le Commissaire si les entreprises fédérales ne respectent pas les obligations qui leur incombent.[21] La plainte devra être portée au plus tard le 90e jour suivant la première des dates suivantes : a) la date où l’employé a eu connaissance de l’acte ou de l’omission ; ou b) la date où l’employé aurait dû, selon le Commissaire, avoir eu connaissance de l’acte ou de l’omission.[22]

D’autres droits d’action peuvent ensuite être exercés devant le Conseil canadien des relations industrielles ou devant la Cour fédérale, selon la préférence de l’employé, et des dommages-intérêts et d’autres formes de redressement particulier peuvent être accordés à l’employé.


[1] Loi modifiant la Loi sur les langues officielles, édictant la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale et apportant des modifications connexes à d’autres lois (projet de loi C-13), par. 71(4). Tous les mots en italique entreront en vigueur au deuxième anniversaire de la date d’entrée en vigueur des dispositions de la Loi.

[2] Alinéa 9(1)a) de la Loi.

[3] Alinéa 9(1)c) de la Loi.

[4] Alinéa 9(1)b) de la Loi.

[5] Paragraphe 9(1.1) de la Loi.

[6] Article 9.2 de la Loi.

[7] Paragraphe 9(3) de la Loi.

[8] Paragraphe 9(6) de la Loi.

[9] Paragraphe 9(2.1) de la Loi.

[10] Paragraphes 9(4) et (5) de la Loi.

[11] Paragraphe 10(1) de la Loi.

[12] Paragraphe 10(1.1) de la Loi.

[13] Paragraphe 10(3) de la Loi.

[14] Paragraphe 11(1) de la Loi.

[15] Paragraphe 11(8) de la Loi.

[16] Paragraphe 11(3) de la Loi.

[17] Paragraphe 11(4) de la Loi.

[18] Paragraphe 11(5) de la Loi.

[19] Paragraphe 11(6) de la Loi.

[20] Paragraphe 11(7) de la Loi.

[21] Paragraphes 18(1), (1.1) et (2) de la Loi.

[22] Paragraphe 18(2) de la Loi.