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La Cour suprême du Canada redéfinit les recours collectifs de consommateurs et clarifie le critère de certification au Canada

Auteur(s) : Christopher Naudie, Sylvain Lussier Ad. E.

31 octobre 2013

La Cour suprême du Canada a publié aujourd’hui une trilogie de décisions en matière de certification de recours collectifs attendues depuis longtemps, qui a remanié les règles de base de certification des recours collectifs de consommateurs au Canada, en particulier les recours fondés sur un préjudice anticoncurrentiel. Certifiant deux des trois recours, la Cour suprême a accepté que les acheteurs indirects puissent présenter une demande en matière de concurrence, mais refusé aux défendeurs la possibilité de présenter une défense fondée sur le « transfert de la perte ». Plus généralement, la Cour suprême a clarifié le degré de preuve en vue de la certification prévue par les lois sur les recours collectifs dans les provinces de common law ainsi qu’au Québec. La Cour suprême a également comparé les normes de certification canadienne et américaine qui s’appliquent aux litiges transfrontaliers, a étudié la compétence des tribunaux du Québec sur les comportements à l’étranger et a autorisé la certification de certaines actions en restitution, y compris la renonciation au recours délictuel. Les décisions auront un effet immédiat sur les différends en matière d’antitrust en cours ainsi que sur d’autres recours collectifs de consommateur en instance au Canada, et auront des répercussions considérables sur les entreprises tant au Canada qu’à l’étranger.

Contexte

Au cours des dernières années, le nombre de recours collectifs intentés pour des consommateurs au Canada a monté en flèche, particulièrement en matière de concurrence. Avant 2011, les tribunaux de l’Ontario, du Québec et de la Colombie-Britannique ont certifié un certain nombre de recours collectifs contestés en matière de concurrence au Canada. Dans leurs décisions, les tribunaux ont certifié des recours portant sur des comportements verticaux et horizontaux prétendument anticoncurrentiels ainsi que des groupes composés d’acheteurs directs et d’acheteurs indirects, souvent réunis dans un groupe commun. Dans de nombreux cas, les recours collectifs faisaient suite à des enquêtes internationales d’envergure en matière d’antitrust, c’est‑à‑dire dans des circonstances où des entreprises demanderesses spécialisées au Canada intentaient en parallèle un recours collectif au Canada et aux États-Unis. Par exemple, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a certifié un groupe commun d’acheteurs directs et d’acheteurs indirects dans le litige relatif au peroxyde d’hydrogène en 2009, et la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a certifié un groupe commun d’acheteurs directs et d’acheteurs indirects dans le cas de la mémoire DRAM en 2009.

Toutefois, en 2011, une divergence d’opinions s’est accentuée entre les tribunaux de ces territoires quant à la validité des poursuites d’acheteurs indirects (p. ex. les consommateurs qui ont acheté le produit auprès d’intermédiaires du marché comme des détaillants et des revendeurs). Dans une décision de deux contre un, les juges de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique ont infirmé des ordonnances de certification dans deux causes : (i) Sun-Rype Products Ltd. c. Archer Daniels Midland Company (Sun-Rype), recours collectif proposé fondé sur une entente horizontale de fixation des prix contre des fabricants de sirop de maïs à haute tenue en fructose pour le compte d’un groupe commun d’acheteurs directs et indirects, et (ii) Pro-Sys Consultants Ltd. c. Microsoft Corporation (Microsoft), recours collectif proposé fondé sur une soi-disant entente verticale de fixation des prix et d’autres comportements prétendument anticoncurrentiels pour des acheteurs indirects de logiciels Microsoft. Ces décisions ont immédiatement créé une controverse juridique au Canada.

La controverse s’est poursuivie lorsque, sept mois après les décisions Sun-Rype et Microsoft, la Cour d’appel du Québec a infirmé la décision ayant rejeté une requête en autorisation de recours collectif pour des acheteurs directs et indirects au Québec qui prétendaient avoir subi des pertes à la suite d’un complot portant sur la fixation des prix entre les fabricants étrangers d’une puce de mémoire vive dynamique (DRAM). Dans Option Consommateurs c. Infineon (Option Consommateurs), recours collectif au Québec intenté parallèlement au recours collectif portant sur la DRAM déjà certifié en Colombie-Britannique, la Cour d’appel du Québec a repris expressément les motifs du juge dissident dans les décisions Sun-Rype et Microsoft et conclu que les acheteurs indirects avaient une cause d’action valide pour le préjudice subi par suite d’un soi-disant système de fixation des prix.

Dans ces causes, la Cour d’appel du Québec a également traité de questions plus larges de compétence et jugé que les poursuites contre des défendeurs étrangers, fondées sur un comportement à l’étranger et des préjudices subis au Québec, sont du ressort des tribunaux québécois. La Cour d’appel a estimé que, malgré l’existence de limites territoriales à l’application de l’infraction de complot prévue par l’article 45 de la Loi sur la concurrence, le tribunal pouvait quand même exercer sa compétence à l’égard des prétentions de « responsabilité extracontractuelle » étant donné la prétention du demandeur selon laquelle les membres de la catégorie avaient subi un préjudice au Québec.

De manière plus générale, les tribunaux d’appel ont également examiné, dans les affaires Sun‑Rype, Microsoft et Option Consommateurs, le degré de preuve requis en matière de certification de groupe dans les provinces de common law ainsi que la norme d’autorisation au Québec. Après la décision rendue en 2001 par la Cour suprême dans Hollick c. Metropolitan Toronto, qui a établi la nécessité d’« un certain fondement factuel » démontrant que les conditions de certification sont remplies pour que celle‑ci soit accordée, les tribunaux canadiens ont généralement appliqué un fardeau de preuve léger aux demandeurs dans le cadre de certification de recours collectifs. On s’est demandé si le léger fardeau de preuve respectait la décision Hollick et on a souligné le contraste entre celui-ci et la norme d’« analyse rigoureuse » élaborée aux États-Unis. Au Québec, les tribunaux ont formulé une norme peu élevée à la lumière du caractère unique de la législation du Québec.

Dans les recours collectifs en matière de concurrence, lorsque la preuve de préjudice constitue un élément essentiel des réclamations des membres du groupe, le principal débat porte sur la question de savoir si le demandeur a indiqué la méthode utilisée pour établir le préjudice à l’échelle du groupe. Dans le passé, les tribunaux canadiens ont appliqué uniformément une norme assouplie en ce qui a trait à la qualité de la méthode fournie par un expert. En Ontario, par exemple, il a été jugé, dans une décision qui a fait jurisprudence, que « [TRADUCTION] les demandeurs dans le cadre d’une motion en certification doivent respecter le critère du certain fondement factuel démontrant le préjudice dans la mesure où ils présentent une méthode proposée par une personne compétente dont les hypothèses se tiennent, aux yeux du profane. Lorsque les hypothèses font l’objet d’un débat d’experts, ces questions se règlent mieux dans le cadre d’un procès sur les questions communes ». De même, dans les décisions Sun-Rype et Microsoft, les juges qui ont entendu les motions ont déclaré que la présentation d’« une méthode valable ou acceptable » est une norme suffisante pour l’établissement du préjudice à l’échelle du groupe, déclaration qui n’a pas été critiquée en appel.

À la lumière des décisions divergentes rendues en appel et des points importants soulevés par ces décisions, la Cour suprêmea accordé l’autorisation d’en appeler dans les trois cas et a entendu les appels ensemble en octobre 2012. Bien que le principal point en litige ait été la validité de la cause d’action dans le cas d’acheteurs indirects, la Cour a entendu les parties sur toutes les questions de certification soulevées dans les appels, y compris le degré de preuve, la compétence et la certification d’actions en restitution comme la renonciation au recours délictuel.

Les décisions

La Cour suprême a différé pendant plus d’un an ses décisions dans ces dossiers, ce qui représente une durée inhabituellement longue dans son cas. Les juges ont rendu leurs décisions dans la matinée du 31 octobre 2013. Dans des décisions mixtes, la Cour suprême a certifié à l’unanimité le groupe d’acheteurs indirects dans Microsoft et autorisé à l’unanimité le groupe composé d’acheteurs directs et d’acheteurs indirects dans Option Consommateurs. Toutefois, la majorité des juges de la Cour (7 contre 2) ont refusé de certifier le groupe des acheteurs directs et des acheteurs indirects dans Sun-Rype. Voici leurs conclusions :

  • Les acheteurs indirects ont un droit d’action partout au Canada. Dans Microsoft, la Cour a conclu que les défendeurs en matière d’antitrust et d’autres recours collectifs ne peuvent pas soulever le moyen de défense fondé sur le transfert de la perte en droit de la restitution mais que cela n’empêche pas les acheteurs indirects de faire valoir un préjudice qui leur a été transféré par la chaîne de distribution au détail. Pour arriver à cette conclusion, la Cour suprême a pris en compte la critique continue de la règle impopulaire formulée dans Illinois Brick aux États-Unis, qui empêche les réclamations d’acheteurs indirects dans le cadre du droit antitrust fédéral. La Cour a confirmé, dans Option Consommateurs, que le droit civil du Québec permet également aux acheteurs indirects de recouvrer les pertes causées par un comportement anticoncurrentiel qui leur a été transféré par des acheteurs directs.
  • La responsabilité du défendeur relative à la fixation des prix est limitée au total de la majoration anticoncurrentielle. Dans Sun-Rype, la Cour a statué que, lorsque le groupe est composé d’acheteurs indirects et directs et que le témoignage des experts lors de l’examen au procès des questions communes permet d’établir le montant global de la majoration, il n’y a pas de recouvrement double ou multiple. Le recouvrement est limité à cette somme globale, peu importe comment elle sera finalement répartie entre les acheteurs directs et les acheteurs indirects.
  • Une mésentente entre les acheteurs indirects et les acheteurs directs n’empêche pas la certification d’un groupe commun. Dans Sun-Rype, la Cour a considéré que si les acheteurs indirects et les acheteurs directs faisant partie du même groupe ne s’entendent pas sur la répartition des dommages‑intérêts dans l’éventualité d’un règlement ou d’un gain de cause, ce problème ne regarde pas les défendeurs et ne justifie pas que l’on refuse aux acheteurs indirects le droit de participer au recours collectif.
  • Les défendeurs peuvent réduire le risque de recouvrement double à l’étape du procès. Dans Microsoft, la Cour a souligné le fait que, pour éviter le risque de recouvrement double dans un cas où les réclamations des acheteurs directs et des acheteurs indirects sont présentées dans la même action ou que des poursuites parallèles sont intentées dans d’autres ressorts, le défendeur peut présenter une preuve de ce risque au juge du procès et le juge peut rejeter la demande ou modifier l’octroi de dommages-intérêts en fonction des réparations sollicitées ou accordées dans les autres ressorts afin d’empêcher le cumul des indemnités.
  • Il suffit que les demandeurs démontrent « un certain fondement factuel » à l’étape de la certification, mais celle‑ci demeure un « mécanisme de filtrage efficace ». La Cour a confirmé le critère de l’existence d’« un certain fondement factuel » établi par Hollick et appliqué dans les territoires de common law canadiens. Elle a précisé que, suivant la norme énoncée dans Hollick, la question n’est pas celle de savoir si la demande a un certain fondement factuel, mais plutôt si suffisamment de faits permettent de convaincre le juge saisi des demandes que les conditions de certification sont réunies de telle sorte que l’instance puisse suivre son cours sous forme de recours collectif « sans s’écrouler » à l’étape de l’examen au fond. De plus, il a rejeté l’approche américaine adoptée dans Wal-Mart c. Dukes et In Re Hydrogen Peroxide Antitrust Litigation qui consiste à soumettre les recours collectifs à une analyse rigoureuse et à tirer des conclusions de fait à l’étape de la certification selon la prépondérance de la preuve. La Cour a toutefois confirmé « l’importance que revêt la procédure de certification comme mécanisme de filtrage efficace » qui « ne donne pas lieu non plus à un examen du caractère suffisant de la preuve qui soit superficiel au point d’être strictement symbolique ».
  • Les demandeurs doivent démontrer une « méthode valable ou acceptable » pour l’établissement des questions de responsabilité et de préjudice à l’échelle du groupe. Selon la Cour, la norme stricte et rigoureuse appliquée aux États-Unis aux méthodes proposées par les experts pour l’établissement d’un préjudice à l’échelle du groupe ne convient pas au régime canadien des recours collectifs. On doit plutôt démontrer une méthode d’expert suffisamment « valable ou acceptable » pour établir un certain fondement factuel aux fins de l’existence d’une question commune quant à la perte à l’échelle du groupe. Elle doit donc (i) offrir une possibilité réaliste d’établir la perte à l’échelle du groupe et (ii) être fondée sur des données qui existent. Il ne peut s’agir d’une méthode purement théorique ou hypothétique : elle doit reposer sur les faits du procès. Trancher entre des preuves d’expert contradictoires relève du juge du procès et cette question ne doit pas être soulevée à l’étape de la certification.
  • Au Québec, le tribunal exerce uniquement un rôle de filtrage des demandes frivoles à l’étape de l’autorisation. La Cour a souligné à plusieurs reprises qu’au Québec, le tribunal exerce un rôle de filtrage des demandes frivoles et s’assure que des parties ne soient pas inutilement assujetties à des litiges dans lesquels elles doivent se défendre contre des demandes insoutenables. La Cour a mentionné que le fardeau de preuve relatif à l’autorisation d’un recours collectif au Québec est moins exigeant que celui qui s’applique ailleurs au Canada. En particulier, contrairement à la situation qui existe ailleurs au Canada, il ne faut pas exiger, à l’étape de l’autorisation du recours au Québec, que le requérant présente des témoignages d’expert et propose une méthode permettant d’établir une perte à l’échelle du groupe. De fait, à cette étape, le requérant n’est même pas tenu de proposer une méthode qui pourrait être utilisée à l’étape du procès.
  • Les dispositions sur l’octroi de dommages-intérêts globaux ne peuvent permettre d’établir la responsabilité. La Cour a confirmé que les dispositions législatives sur l’octroi de dommages-intérêts globaux sont de nature procédurale et ne peuvent permettre d’établir la responsabilité, par exemple la preuve d’un préjudice dans des poursuites antitrust.
  • La renonciation au recours délictuel n’empêche pas la certification. Dans Microsoft, la Cour suprême a autorisé les demandeurs à maintenir leurs allégations de renonciation au recours délictuel et à demander la restitution des profits tirés du comportement prétendument fautif des défenderesses. La Cour a statué que, malgré l’incertitude et l’état contradictoire du droit sur l’existence de la cause d’action, il ne convenait pas de statuer plus avant, dans le cadre du pourvoi en matière de certification, sur le droit applicable en matière de renonciation au recours délictuel, ni sur le contexte particulier dans lequel on peut invoquer celle-ci.
  • Les tribunaux canadiens peuvent exercer leur juridiction sur les défendeurs étrangers relativement à des agissements en matière de concurrence à l’étranger. Dans une importante conclusion énoncée dans Option Consommateurs, la Cour a estimé que la Cour supérieure du Québec peut exercer sa juridiction en vertu du droit civil à l’égard d’ententes sur la fixation des prix conclues à l’extérieur du Canada, dans la mesure où il existe certaines indications de « préjudice économique » subi par un consommateur du Québec. De même, dans Sun-Rype, la Cour a décidé que s’il est allégué que les défendeurs font affaire au Canada, y réalisent des ventes et complotent en vue de fixer les prix de produits vendus au Canada, il n’est pas manifeste que les agissements anticoncurrentiels ne sont pas du ressort des tribunaux canadiens, et les recours fondés sur ces prétentions devraient être autorisés.
  • Les demandeurs doivent établir l’existence d’un groupe identifiable. La Cour a refusé la certification du recours collectif de l’acheteur indirect dans Sun-Rype, en grande partie pour le motif que les demandeurs n’avaient pas établi « un certain fondement factuel » de l’existence d’un groupe identifiable, puisqu’ils n’avaient pas présenté de preuve démontrant qu’une ou plusieurs personnes pouvaient prouver qu’elles avaient acheté un produit contenant du sirop de maïs à haute teneur en fructose pendant la période visée par le recours (c.-à-d. que les membres du groupe ne pouvaient pas être reconnus). La Cour a estimé qu’il était préférable, dans un tel cas, de laisser au commissaire de la concurrence le soin d’intenter des poursuites conformément aux objectifs de la Loi sur la concurrence.

Portée des décisions

Les décisions ont un certain nombre de répercussions notables tant pour les sociétés canadiennes que pour les sociétés étrangères visées par des recours collectifs canadiens, y compris les recours en matière de concurrence :

  • Les acheteurs indirects peuvent intenter des recours collectifs au Canada. Les recours collectifs proposés en matière de concurrence intentés tant par des acheteurs directs que des acheteurs indirects peuvent être autorisés dans la province de droit civil et certifiés dans les provinces de common law au Canada. Cette pratique est contraire à l’approche actuelle des tribunaux fédéraux des États-Unis, qui appliquent l’arrêt Illinois Brick de la Cour suprême des États-Unis en ne permettant pas les recours d’acheteurs indirects.
  • La coordination de la défense des recours collectifs en matière de fixation des prix dans plusieurs territoires est nécessaire pour réduire le risque de recouvrement double. Bien que le tribunal ait jugé que la responsabilité du défendeur se limite au montant global de la majoration, les défendeurs aux prises avec des recours fondés sur la fixation du prix dans plusieurs territoires doivent quand même produire en preuve les règlements conclus ou les jugements rendus dans d’autres territoires pour réduire le risque d’indemnisation excessive des demandeurs.
  • Le débat sur la renonciation au recours délictuel se poursuit. La Cour a certifié un recours comportant la renonciation au recours délictuel dans Microsoft, malgré la nature incertaine de la demande. La Cour a refusé de prendre une part importante au débat sur la validité de la cause d’action dans un cas de renonciation au recours délictuel, mais ce débat se poursuit, et les défendeurs peuvent s’attendre à ce que les demandeurs plaident une telle renonciation dans plusieurs types de recours collectifs pour contourner les difficultés de prouver le préjudice.
  • Les tribunaux canadiens peuvent exercer leur compétence sur les recours contre des défendeurs étrangers dont le comportement reproché a eu lieu à l’étranger. Les défendeurs étrangers qui ne sont pas présents au Canada pourraient devoir se défendre dans le cadre de recours collectifs en matière de concurrence au Québec, et peut-être dans d’autres provinces, intentés par des personnes qui prétendent avoir subi, dans ces territoires, un préjudice causé par un système de fixation des prix entièrement conclu à l’extérieur du Canada.
  • Les résultats de la certification dans des causes parallèles pourraient ne pas être identiques au Canada et aux États-Unis. Les directives de la Cour suprême suggèrent que les recours collectifs en matière de concurrence pourraient être certifiés au Canada, même si une affaire parallèle aux États-Unis ne pourrait pas l’être dans ce pays par les tribunaux fédéraux des États-Unis. Cela s’explique par le vif contraste entre, d’une part, le faible niveau de preuve exigé à l’étape de la certification au Canada et, d’autre part, les décisions Dukes and Comcast rendues récemment par la Cour suprême des États-Unis et dans lesquelles celle‑ci exige que les tribunaux de district des États-Unis procèdent à une « [TRADUCTION] analyse rigoureuse » pour établir si les exigences relatives à la certification sont remplies. En particulier, puisque les demandeurs devant les tribunaux fédéraux des États-Unis sont tenus de présenter une méthode « [TRADUCTION] juste et raisonnable » de calcul des dommages-intérêts à l’échelle du groupe, les statistiques ou les autres modèles soumis par les demandeurs à l’étape de la certification sont plus susceptibles de respecter les normes appliquées au Canada, même s’il est possible qu’ils ne soient pas acceptés dans les poursuites intentées parallèlement aux États-Unis.
  • Le critère de certification du groupe demeure un mécanisme de filtrage efficace. Bien qu’à l’étape de la certification, le seuil de preuve soit faible et que les tribunaux canadiens appliquent une norme moins rigoureuse que les tribunaux fédéraux des États-Unis aux méthodes proposées pour établir le préjudice à l’échelle du groupe, la Cour suprême a déclaré sans équivoque que la certification demeure un « mécanisme de filtrage efficace » et que la méthode des experts doit donc offrir « une possibilité réaliste » d’établir la perte à l’échelle du groupe. Les défendeurs ont donc toujours la possibilité de contester la facilité de gestion des recours collectifs et l’applicabilité des méthodes proposées par les demandeurs.
  • Les décisions risquent d’attiédir la volonté des défendeurs étrangers de participer à la politique de clémence du Bureau de la concurrence. Puisque les sociétés étrangères risquent maintenant d’être visées par des recours collectifs canadiens en matière de concurrence intentés pour des groupes élargis composés tant d’acheteurs directs que d’acheteurs indirects et que les tribunaux ont une approche plus souple à l’égard de la certification, les sociétés sont susceptibles d’être moins enclines à participer au programme de clémence des peines du Bureau de la concurrence en raison du risque accru de répercussions sur la responsabilité civile qui s’y rattache au Canada. Ces décisions, conjuguées à la décision de la Cour fédérale dans Maxzone, qui exige une large divulgation, par les sociétés, de leur plaidoyer de culpabilité, augmentent considérablement le risque de recours collectif pour les sociétés qui présentent une demande de clémence.
  • Incidence de l’application des dispositions pénales. Les responsables de l’exécution des dispositions pénales du Bureau pourraient être rassurés par l’approche libérale de la Cour relativement aux questions de juridiction en matière de comportement à l’étranger et la discussion approfondie sur le bien‑fondé de l’usage offensif de la doctrine du transfert par les acheteurs indirects.
  • L’exigence d’un groupe identifiable est significative. Le rejet du pourvoi par la Cour dans l’arrêt Sun-Rype indique aux tribunaux et aux parties qu’il doit exister une preuve selon laquelle les membres du groupe peuvent démontrer qu’ils répondent à la définition du groupe, ce qui pourrait avoir une incidence sur les recours collectifs en matière de fixation du prix ou de responsabilité du produit mettant en cause des matières premières ou des composantes. Dans un tel cas, les membres du groupe pourraient n’avoir aucun moyen de prouver qu’ils ont acheté un produit contenant l’ingrédient ou la composante en litige, et l’arrêt de la Cour suprême établit que l’absence de cette preuve relativement à au moins deux membres du groupe exclut la certification.

En résumé, cette trilogie de décisions revêt un caractère avantageux tant pour les demandeurs que pour les défendeurs. Les tribunaux canadiens ont tracé sans équivoque un chemin différent de la voie empruntée par les tribunaux des États-Unis.

 

Par Christopher Naudie, Evan Thomas, Sandeep J. Joshi, Sylvain Lussier Ad. E., Graham Reynolds Q.C.